Lot n° 149

Proust (Marcel). Lettre autographe signée à André Chaumeix, datée 102 boulevard Haussmann, samedi soir [24 janvier 1914], 8 pages in-12, sous chemise demi-maroquin moderne. SUPERBE LETTRE LITTÉRAIRE, INÉDITE, sur Du cóté de chez Swann, sa...

Estimation : 18000 / 25000
Adjudication : 32,000 €
Description
composition et ses personnages. André Chaumeix, célèbre critique, avait publié dans le Journal des Débats du 25 janvier 1914 un long article, assez mitigé, sur Du Cóté de chez Swann, publié chez Grasset en novembre 1913. Le critique convient que le livre est « plein de rares mérites » mais il le trouve « déconcertant par la forme, par la composition, par l'abondance et la complexité ». Choqué par certaines affirmations du critique, Proust s'emploie, dans sa longue lettre, à souligner une de ses grandes idées : toute son reuvre est composée selon une architecture rigoureuse. Cela lui donne aussi l'occasion de réfuter, avec une étonnante habileté polie, d'autres reproches de Chaumeix, qu'il juge tout aussi peu fondés. Proust s'affirme très touché du long morceau de littérature philosophique que son correspondant vient de consacrer à Swann. Il va cependant répondre à certaines critiques, et, à cet égard, l'essentiel de sa lettre constitue bien une réplique. Chaumeix lui a objecté Flaubert ? Je ne suis pas du tout certain que si le 1 er tiers de l'"Education Sentimentale" paraissait aujourd'hui. on y saisirait si aisément un plan. Il en vient à son livre, et demande d'emblée : N'est-ce pas composer encore, que ne pas laisser apercevoir la "composition" ? Suivent ces très importantes précisions sur la suite de la Recherche : Des lecteurs trouveront banale la situation de Swann laissant aveuglément sa maìtresse aux mains de M. de Charlus qu'ils supposent être l'amant de creur. On verra dans le 3 e volume, on pourra lire dans le second, que M. de Charlus est un homosexuel à qui Swann sait qu'il peut confier une femme sans danger. N'est-ce pas de la probité artistique de ma part de ne pas l'avoir "annoncé". Tout au plus le lecteur du 2 e volume, s'il se reporte au 1er, y verra, la 1ere fois que j'aperçus M. de Charlus, à Tassonville, qu'il me regarda fixement. D'ailleurs, ajoute Proust, la table qui précède mon volume n'indique-t-elle pas une suite que la fin du 1 er volume interrompt seulement, puisque l'un des chapitres du 1er volume s'appelle Noms de Pays : le Nom, et l'un des chapitres du 2e volume Noms de Pays : le Pays... Soulignant alors la dissemblance du réel et de l'imaginé, il parle d'un autre personnage : ... avoir présenté un bourgeois risible (Vinteuil) sans laisser soupçonner qu'il a fait une sublime sonate, n'est-ce pas, cela aussi, de la composition ? Il se défend ensuite des coquilles de l'édition : ... je suis étonné que les terribles fautes d'impression dont fourmille mon livre, aient pu vous paraìtre des fautes d'ignorance, des fautes "contre la langue". Il donne des exemples : Pourquoi penser alors, partout où mes accents circonflexes remplacés par des i ont substitué un imparfait à un subjonctif nécessaire, que j'ignore la concordance des temps ? Il lui demande ensuite de remercier Mme Chaumeix, dont des amis lui ont dit qu'elle admirait fort le livre, et il ajoute, de manière très habile et piquante, que ce témoignage fut pour lui un grand réconfort, peut-être le plus grand qui me soit venu (avec une merveilleuse lettre de Francis Jammes), ce qui lui permet de revenir à la charge : Ah ! celui-là ne trouve pas que je pèche contre la langue ; si ce n'était pécher contre la modestie et la discrétion je transcrirais ici ce qu'il dit de ma "forme" ! Mais l'excès même de sa louange ne me permet pas de la divulguer. Il revient à l'article de Chaumeix, en des termes soigneusement choisis et assez savoureux : Peut-être cette grande bienveillance qu'on m'avait dit que vous aviez tous deux pour mon reuvre a-t-elle été cause qu'en certains passages votre article m'ait légèrement déçu. Mais cette impression n'a été que d'un instant. Il m'est maintenant infiniment doux de penser que votre opinion intime m'est peut-être encore plus favorable. Il termine en renouvelant ses remerciements. Cette lettre est ENTIÈREMENT INÉDITE. L'édition Kolb de la Correspondance de Marcel Proust n'en donne qu'un résumé, d'après un catalogue d'autographes (t. XIII, p. 72). Loin d'être un banal message de remerciements pour un article, cette lettre remarquable est DU PLUS VIF INTÉRÊT LITTÉRAIRE , car on y voit Proust défendre son livre avec autant d'habileté que de fermeté - preuve qu'il était parfaitement conscient de toute l'originalité et de la valeur de sa création.
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