Lot n° 153

CLAUDEL (Paul). Manuscrit autographe, intitulé «Mes idées sur la manière générale de jouer …

Estimation : 600 - 800 EUR
Adjudication : 780 €
Description
CLAUDEL (Paul). Manuscrit autographe, intitulé «Mes idées sur la manière générale de jouer mes drames». [1912]. 4pp. in-4, fentes aux pliures. Instructions à l'usage des acteurs, dans un manuscrit originellement paru en fac-similé dans le numéro d'octobre-décembre 1912 de la revue L'Œuvre, à l'occasion de la création de L'Annonce faite à Marie en décembre 1912 au théâtre de L'Œuvre dans une mise en scène d'Aurélien Lugné-Poe. C'était la première fois qu'une des pièces de Paul Claudel était porté à la scène. «1.L'acteur est un artiste et non pas un critique. Son but n'est pas de faire comprendre un texte, mais de faire vivre un personnage. Il doit donc tellement se pénétrer de l'esprit et du sentiment du rôle qu'il incarne, que son langage sur la scène n'en paraisse plus que l'expression naturelle. Il ne s'agit pas de détailler et de nuancer et colorier le rôle également et indifféremment, mais de s'attacher dans chaque scène aux sommets d'expression qui commandent tout le reste. Souvent, ce qui émeut le plus chez un acteur, ce n'est pas tant ce qu'il dit, c'est ce qu'on sent qu'il va dire. C'est une chose complètement différente que de comprendre en homme intelligent et de comprendre en artiste et en créateur. C'est par un juste sentiment de l'importance relative de ses diverses parties qu'un rôle est vraiment composé. 2. Ce qu'il y a de plus important pour moi, après l'émotion, c'est la musique. Une voix agréable articulant nettement et le concert intelligible qu'elle forme avec les autres voix dans le dialogue, sont déjà pour l'esprit un régal presque suffisant, indépendamment même du sens abstrait des mots. La poésie avec son sens subtil des timbres et des accords, ses images et ses mouvements qui vont jusqu'à l'âme, est ce qui permet à la voix humaine de pleinement s'employer et de se déployer. La division en vers que j'ai adoptée, fondée sur les reprises de la respiration et découpant pour ainsi dire la phrase en unités non pas logiques, mais émotives, facilitera à mon avis l'étude de l'acteur. Quand on prête l'oreille à quelqu'un qui parle, on entend qu'à un point variable vers le milieu de la phrase la voix s'élève, et s'abaisse vers la fin. Ce sont les deux temps et les modulations intermédiaires qui constituent mon vers... En raison de ce principe musical, je me défie de tout ce qui, dans le débit, serait trop violent, trop saccadé, trop abrupt. Il ne faut pas rompre cette espèce d'enchantement qui unit les personnages les uns aux autres. Sans violences excessives, il me semble qu'il y a moyen de porter au cœur du spectateur et d'atteindre l'aigre et le mordant. Les cris, s'il en faut, pour être rares, n'en feront que plus d'effet... 3.De même dans le jeu et dans les gestes, il faut éviter tout ce qui est brusque, violent, artificiel, saccadé, et ne jamais perdre un certain sentiment du groupe et de l'attitude. J'ai particulièrement en horreur ce que j'appelle la marche scénique: deux grands pas et un petit pas suivis d'un arrêt. Pas de grimaces ni de convulsions. Dans les moments pathétiques, la lenteur tragique d'un mouvement qui se déploie vers son terme est préférable à toutes les explosions... Le principe du grand art est d'éviter sévèrement ce qui est inutile. or les évolutions des acteurs qui se promènent continuellement de long en large sur la scène sous prétexte de la remplir, qui se lèvent, qui se retournent, qui s'assoient, sont parfaitement inutiles. Rien ne m'agace comme l'acteur qui essaie de peindre en détail sur sa figure chacune des émotions que le discours de son partenaire lui procure. Qu'il sache rester tranquille et immobile quand il le faut, fût-ce au prix d'une certaine gaucherie dont le spectateur au fond lui saura gré. Àchaque moment du drame correspond une attitude, et les gestes ne doivent être que la composition et la décomposition de cette attitude. Ce n'est pas pour le public qu'il faut jouer: il faut que l'acteur soit capable du désintéressement d'un grand artiste et se préoccupe non pas du succès, mais de la meilleure réalisation de l'œuvre d'art à laquelle il doit donner la vie. –Etc'est précisément peut-être dans cette insouciance du public qu'est le meilleur secret de l'atteindre et de l'émouvoir.» Joint: Barrault (Jean-Louis). Lettre autographe signée [à Max Brun]. S.l., 5février 1964. «C'est avec une grande joie que j'ai pris ce jour-même connaissance des idées de Claudel sur la manière générale de jouer ses drames. Et je vous remercie d'avoir pensé à moi. Ce document est important pour ceux qui l'aborderont, particulièrement pour ceux qui, par déformation intellectuelle, font dévier l'art en didactisme. J'ai bien retrouvé ce que Claudel nous disait, et le goût que je partageais avec lui. Comme lui, j'évolue de plus en plus dans le sens de la musique. C'est par le rythme que la puissance peut s'
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