Lot n° 190

PROUST (Marcel). Lettre autographe signée «Marcel Proust» à Mme Jean Vittoré, belle-sœur …

Estimation : 1 000 - 1 500 EUR
Adjudication : 6 760 €
Description
PROUST (Marcel). Lettre autographe signée «Marcel Proust» à Mme Jean Vittoré, belle-sœur d'Alfred Agostinelli. S.l., «27mai» [1915]. 4pp. in-12; document défraîchi avec fentes aux pliures. «Madame, j'ai prié des amis que j'ai à Nice [madame Catusse] de s'occuper de fleurs pour l'anniversaire du pauvre Alfred, et je me permets de les faire envoyer chez vous. On les remettra 50rue de la Paix le 30 de ma part et vous aurez la bonté d'indiquer au porteur où se trouve la tombe, à moins que ne vouliez vous charger de les déposer vous-même, comme je sais, parce qu'Alfred m'a toujours dit, que vous avez le culte du souvenir et vous vous rendez pieusement au cimetière. Cette affreuse guerre qui m'a enlevé presque tous mes amis, tués à la fleur de l'âge, et deux cousins, les inquiétudes que j'ai pour mon frère et d'autres parents qui sont sur le front, rien de tout cela n'affaiblit en moi le souvenir si triste et si tendre que je garde d'Alfred. je pense constamment à lui, mon amitié et mon regret ne font que devenir de plus en plus profonds. Certes sa présence me manque infiniment, j'aimais tant son esprit et son cœur! Mais si sans le voir jamais, je le savais du moins vivant, heureux quelque part, pouvant obtenir de la vie tout ce que ses beaux dons méritaient, je me consolerais aisément de cette séparation. Mais penser qu'il n'est plus, qu'une mort injuste et stupide a anéanti de si belles espérances, c'est à cela que je ne m'habituerai jamais. Je vous prie d'exprimer à sa famille les sentiments si douloureux avec lesquels je serai de cœur avec eux, le30. Sans la guerre, j'aurais voulu cette année visiter sa tombe. Je vous demande du moins de la fleurir pour moi. Veuillez agréer, Madame, tous mes hommages...» Un des modèle d'Albertine dans la Recherche, Alfred Agostinelli était mort dans un accident d’avion le 30 mai 1914, au large d’Antibes. Il avait servi à Marcel Proust de chauffeur en Normandie en 1907 et 1908, puis de secrétaire en 1913. Son départ au bout de quelques mois avait meurtri l'écrivain, qui l'aimait profondément. Pour tenter de le faire revenir, en vain, Marcel Proust avait financé le rêve de celui-ci d'apprendre à piloter des avions: l'accident de 1914 mit un terme à ses espérances de réunion, mais joua un rôle décisif dans sa décision de composer un cycle d'Albertine dans la Recherche.
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