Lot n° 30

Jean-François RAFFAËLLI (1850-1924) — Manuscrit autographe signé, [1890]

Estimation : 1000 - 1200 €
Adjudication : 2 125 €
Description
17 pages in-fol. Conférence sur l’art et les artistes.
Une note au crayon indique que cette conférence a été prononcée à Bruxelles, Liège, Bruges, Charleroi et Anvers.
Le manuscrit présente de nombreuses ratures et corrections, et des additions au crayon bleu.
Raffaëlli insiste sur la nécessité de la vocation, car l’art n’est pas vraiment une carrière, ni un gagne-pain. Il distingue la voie indépendante, suivie par « les grands artistes de 1830, les Corot, les Millet, les Delacroix », de la « voie administrative » qui aboutit à l’Institut : « les Cabanel, les Boulanger, les Bouguereau étaient liés ou sont aujourd’hui les chefs de bureau de cette véritable administration ». L’artiste véritable doit affronter la calomnie, l’ironie ou même l’insulte, et faire face à l’incompréhension du public devant la nouveauté de son œuvre. Il évoque les penseurs et artistes méprisés, « comme Jean-François Millet qu’on accusa de socialisme, sous l’Empire une époque où il ne faisait pas bon l’être ». Seuls quelques-uns trouveront le succès, et beaucoup auront perdu leur jeunesse ; il cite Émile Zola, « chargé de gloire aujourd’hui et riche » qui lui disait : « Ah ! avoir vingt ans, il n’y a que ça ». Il évoque les vicissitudes des grands génies, qui, sans fortune, ne vécurent que pour leur art : Millet, Corot, Delacroix, Berlioz, Carpeaux, etc. Degas a dit « De mon temps, on n’arrivait pas ! » Il existe des centaines d’artistes « qui envient et recherchent d’atteindre par l’art, la situation tranquille et sans souci d’un sous-chef de bureau au ministère des finances ». L’art en France est actuellement organisé comme une véritable armée, avec ses généraux, ses avancements, et les artistes sont ses subordonnés, qui suivent une filière toute tracée et attendent des récompenses. Pour ce qui est du gagne-pain « je ne connais pas dix artistes véritables qui, en faisant de l’art, aient gagné une honorable aisance et pu doter leurs filles. […] Toute la dispute artistique, à notre époque, se fait sur ces deux mots : êtes-vous pour le beau absolu, ou bien êtes-vous pour le caractère qui est le beau relatif. Le beau appartient à l’art académique, quant au beau des caractères on lui barre le chemin et on l’appelle le laid, pour le disqualifier ». Boulanger dit enseigner le beau : « Comme si le beau s’enseignait ! ». Raffaëlli rappelle une conférence de Whistler sur l’art industriel, sa naissance, son développement et sa chute : le peuple « vécut dans les merveilles de l’art, mangea et but dans des chefs-d’œuvre par ce qu’il n’y avait rien d’autre dans quoi boire et manger » ; puis arrivèrent « le clinquant, le commun, la camelotte […] Le goût du commerçant supplanta alors la science de l’artiste et tous acceptèrent la chose […]. La civilisation entraîne l’abaissement des caractères et par réflexe, l’abaissement dans les œuvres d’art ». Il cite le livre de Lamennais, De l’Art et du Beau, où le Beau est joint à l’Utile : ce mot d’utilité « contient les plus merveilleuses choses à commencer par l’amour […] puisque sans lui, il n’aurait plus rien debout autour de nous […] Le beau est dans la raison, dans l’utilité des choses, soit dans ce qui les sépare ». Il en donne de nombreux exemples : les fleurs ne sont belles que pour attirer les insectes ; il y a de la beauté dans le buste de Socrate « avec son nez écrasé en pomme de terre », dans le lion qui peut être considéré comme un animal inutile, mais reste un symbole de courage, et dans tant d’autres animaux vus comme
Partager