Lot n° 62

Jules BARBEY D’AUREVILLY — L.A.S., Valognes, Hôtel de Grandval-Caligny Jeudi 5 [août 1875, à Mlle Annette Coppée]

Estimation : 800 - 1000 €
Adjudication : 2 250 €
Description
4 pages in-8, lieu et date à l’encre rouge. « Le cachet qui va fermer cette lettre porte la mauvaise devise de ma vie. Tout ce qui m’est arrivé d’heureux est arrivé toujours trop tard. Et tenez ! C’est pour moi un bonheur que de vous écrire, et c’est trop tard aussi que je vous écris.
Mais c’est la faute de la vie éparpillée que je mène ici. […] je suis toujours par voies et chemins. Je me dépense en plein air et je mène la vie la plus désordonnément extérieure. Je ne sais pas si votre frère travaille beaucoup sur son rivage, mais je sais bien que je ne fais pas grand’chose sur les miens, car j’en ai trois (moi !) au bord de trois mers différentes. Cependant, j’agite encore ma cliquette d’articles pour n’en pas perdre l’habitude ». Quant à son dernier article : « Vous vous souciez bien de l’Empire romain ! Les femmes ne se soucient que du leur. Mais votre frère, qui est un bonapartiste […] a dû comprendre la portée du livre de Fustel de Coulanges, lequel est un fûté et qui, je vous le jure, ne se coulera pas ! Il est inouï que les journaux Bonapartistes n’aient pas fait tapage autour d’un livre qui, sans avoir l’air d’y toucher, établit une tradition superbe à l’Empire des Bonaparte. Ils n’ont rien vu dans ce livre... L’ont-ils même lu ? et d’ailleurs c’est toujours la même bêtise qui règne sur le monde, et son empire, à celle-là, est encore le plus grand de tous les Empires ! »
Il lui enverra bientôt un autre article : « C’est une dissection du vieux cœur de Mme Geoffrin. J’ai découvert que c’était un reliquaire d’amour »…
Sa santé est « raffermie. Les nerfs sont solides et l’épigastre d’acier comme un busc, – le busc que vous ne voulez pas porter, et qui est pour moi le sabre de Mahomet pour les femmes ! C’est avec cela qu’elles pourraient faire la conquête de l’Univers ! La vie que je mène me rend fort comme un Turc. Je bois du cidre comme un Normand, de l’air comme un cheval Arabe, et de l’odeur des roses comme un poète Persan. J’en ai dans mon jardin, Mademoiselle, à vous en faire un matelas, si un matelas pouvait s’offrir ». Mais la santé de son « pauvre frère » empire : « Il n’est pas même intellectuellement le fantôme de lui-même. Il meurt du cerveau, sans voir qu’il en meurt (heureusement !). L’ombre monte vers sa cime, qui était éblouissante autrefois, et le rayon qui y tremble encore va tout à l’heure s’évanouir. » [L’abbé Léon d’Aurevilly mourra le 14 novembre.]
Il demande des nouvelles de François Coppée : « Comment va sa bile, à ce doux morose ? Son Olivier avance-t-il, dans ce pays de sable où il est et où ne poussent guères d’oliviers ? Il doit engranger des poésies pour le temps où il reviendra à Paris, – dans cet exécrable et pied-plat de Paris !! S’il est comme moi, le pays où il vit lui plaira davantage quand il n’y sera plus. Se retourner par le souvenir vers les choses laissées derrière soi les rend plus charmantes. Je le sens, en vous écrivant »… Correspondance générale, t. VII, p. 277.
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