Lot n° 750

Marcelle TINAYRE née Chasteau (1872-1948) romancière, épouse (1889) du peintre-graveur Julien Tinayre (1859-1923).29 lettres autographes signées, 1913-1925, à Louis Doynel, commissaire de la Marine à Toulon ; 94 pages formats divers et une...

Estimation : 600 / 800
Adjudication : 900 €
Description
carte postale (timbre découpé), quelques adresses (plus 2 lettres incomplètes).Intéressante correspondance, principalement pendant la Grande Guerre. Elle donne des nouvelles de sa famille et de ses amis, évoque l’atmosphère de Paris pendant les hostilités, parle de ses conférences et de ses travaux en cours qui lui prennent beaucoup de temps, etc. Plusieurs sont écrites de sa maison de La Clairière à Grosrouvre (Seine-et-Oise).21 février, elle est « happée par un vrai tourbillon : articles, conférences, voyages, etc. » ; elle part en Suède et Norvège faire une tournée de conférences pour l’Alliance Française... 8 octobre 1913. Elle pense voir Doynel en février à Toulon, après une conférence à Nice. « J’ai beaucoup de travail et le petit roman dont je vous ai parlé avance lentement vers le dernier chapitre. Il me faut défendre mon temps contre le journalisme qui essaie de le dévorer »... 4 décembre [1913] : « la vie est aussi tranquille qu’elle peut l’être à Paris. Je travaille beaucoup, je vais quelquefois au théâtre et peu dans le monde ». Elle a été surprise par le vote de l’Académie Goncourt [Le Peuple de la Mer de Marc Elder], dont elle avait lu Marthe Rouchard, qui « m’avait paru très médiocre, inspiré par un faux réalisme bien retardataire et fâcheusement écrit en charabia. Demain, on votera le prix de la Vie heureuse. Je défendrai Daguerches tant que je pourrai mais je crains qu’il n’ait pas de chances sérieuses. Il y a tellement d’intrigues autour de ces prix, que cela devient fatiguant et dégoûtant »...6 mai [1915] : « l’atmosphère de Paris n’est rien moins que réconfortante. Les pessimistes et les décourageurs sont nombreux. Ils ne feraient pas grand mal, car le moral de la population est excellent ; si les événements [...] ne donnaient un sentiment de déception. On a trop parlé de “l’offensive de printemps”. Nous voilà en mai. Rien ne change. Les bonnes gens sont bien excusables d’être un peu troublés. [...] On ne sait rien ici des Dardanelles, mais il est avéré que le général d’Amade est remplacé par Gouraud »... 23 septembre, après la mort du fils Doynel [Jean-Philippe, tué en juin] : « C’est seulement à mon amour pour mon fils que je peux mesurer votre peine. [...] Il est trop facile de faire de belles phrases quant on est encore parmi ceux que la guerre a épargnés. Je ne sais plus que pleurer avec ceux qui pleurent ». L’atmosphère calme du village lui fait du bien et elle espère se remettre bientôt au travail. Elle passe parfois à Paris, qui a « une physionomie très particulière. [...] si quelques parties du centre sont animées par les Anglais et les Belges qui s’amusent en galante compagnie, le reste de la ville est fort triste, tristesse résignée, discrète, mêlée d’une grande angoisse, et d’un vague sentiment de déception ». Les permissionnaires repartent « bravement, mais dans un déchirement terrible, et cela non plus ne ressemble pas à la légende du “joyeux poilu” que propagent les journaux »... 12 janvier [1916]. Longue lettre sur leur amitié, sur l’horreur de la guerre, et ses profondes condoléances pour le fils mort au combat : « L’amitié reste la seule douceur permise à ceux qui pleurent l’absent qui ne reviendra pas, et l’absent qui reviendra... peut-être ! Chacun de nous ne vit plus dans sa propre vie et ne sait plus regarder qu’au loin [...] Toutes les valeurs morales sont en train de se renverser. La guerre que des brutes et des sots déclaraient divine, ou tout au moins utile ! – décomposera le monde et détruira pour longtemps l’édifice lentement élevé [...]. La bête féroce s’est réveillée au fond du civilisé ». Les soldats ont changé, et elle a entendu des récits d’atrocités abominables : « Voilà ce qu’a fait la guerre, par sa longueur plus dangereuse que son horreur même, et qui sait voir la réalité déformée par la légende du conventionnel optimisme de la presse, n’a pas lieu de se réjouir. La guerre est le plus grand des maux. Elle est laide, immonde et diabolique »... Salonique 8 [août]. En tournée de conférences à Salonique, elle rentre en France la semaine suivante, le cœur bien triste, pour aller embrasser son fils qui va être incorporé. « Je partirai la conscience satisfaite, car j’ai travaillé ici à une tâche que j’ai été seule à faire. La propagande française n’existe pas. [...] J’ai fait douze conférences dans les écoles, hôpitaux, dépôts, etc. J’ai collaboré à quelques journaux et n’ai pas mesuré mon effort. Je rapporte un volume de notes. Voilà trois mois bien employés »... Salonique 23 août. Elle a finalement prolongé son séjour : « la crise actuelle est extrêmement intéressante à suivre et [....] des événements importants peuvent arriver d’ici quelques jours »... 26 septembre. Elle a fait bon voyage et a eu le bonheur de pouvoir embrasser son fils : « Il est le plus gentil petit soldat qu’on puisse imaginer, mais il a l’air d’un enfant déguisé en militaire ». Elle a vu Doumic « qui va publier bientôt mes notes, et Berthelot à qui j’ai rendu compte de ma mission »... 10 décembre. La disparition du Suffren et de tout son équipage lui a causé une vive douleur, « ce drame maritime est enveloppé d’un tel mystère qu’il apparaît plus effrayant. Paris est triste et nous vivons des jours d’angoisse [...]. Nous voici à un point critique de la guerre », mais il faut garder confiance...6 juillet 1924. Elle évoque le terrible accident qui a failli tuer sa fille, la vie avec sa vieille mère, le prochain mariage de sa fille, son futur gendre, etc.3 janvier 1925. Avec ses vœux, elle lui envoie un conte dédicacé, La Sirène : « Je ne vous avais pas parlé de mon petit conte, voulant vous laisser la surprise de cette dédicace, qui est une faible marque de notre grande amitié. La Sirène paraîtra dans un volume qui aura pour titre Histoires de l’autre monde »... 11 mai. Elle ne partira à Toulon qu’après avoir terminé la longue nouvelle dont elle lui a parlé, « et que vous-même m’aiderez à mettre au point. Il y est beaucoup question de Toulon et de Bormes, c’est une histoire amoureuse et triste – l’histoire de gens qui sont faits pour s’aimer, qui s’aiment, qui ne savent pas qu’ils s’aiment et qui s’en aperçoivent au moment de se séparer – trop tard ! »... 23 septembre. Elle marie sa fille, fait des projets de vacances, etc. « Mon Drame de famille a beaucoup plus de succès que je ne l’avais espéré. Cela vient à propos, au moment d’un mariage. Mais je n’y pense déjà plus et je suis toute au prochain livre »... Etc.On joint un poème autographe (incomplet, au crayon) ; un relevé de ventes de Flammarion pour Le Bouclier d’Alexandre (1939) ; et divers documents, dont une carte d’invitation à ses vendredis rue du Cherche-Midi.
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