Description
in-4 et 28 pages in-8, enveloppes.Très longues et vivantes lettres sur la Grande Guerre. 8 mars. Elle se réjouit que son fils Thierry [de Martel] ait eu la Croix « pour les journées de la Marne et pour avoir sauvé, sous le feu, les blessés de la ferme de la Tour incendiée ». Il est maintenant chirurgien à Chaptal, transformé en annexe du Val-de-Grâce... Elle revient sur les causes et les origines de cette guerre : l’armement de l’Allemagne par l’Empereur, le rôle de l’Archiduc d’Autriche François-Ferdinand, « dont la seule pensée était l’écrasement des Français, parce que révolutionnaires, mauvais catholiques » ; tous deux, souhaitant « une Allemagne énorme et envahissante », ont cherché un prétexte pour déclencher la guerre ; elle ignore lequel, mais « ce n’était certainement pas l’assassinat de François-Ferdinand ! [...] Et quand, à la fin de juin, ce pandour et cette intrigante avaient été assassinés – par les Hongrois ! – je m’en étais réjouie doublement, d’abord parce qu’ils me faisaient horreur, et surtout parce que je croyais que la guerre allait être enrayée de ce fait. Le 26 juillet, je ne voulais pas encore y croire !... Et puis, nous avons assisté à ces grotesques incidents de Paris, [...] et à cette merveilleuse mobilisation, sans un accroc, sans une défaillance »... Elle relate avec humour la rencontre, le 5 septembre, au pont de Neuilly, d’un vieux laitier qui lui a dit avoir « rencontré les Z’Uhlans à Argenteuil » !... Elle-même a vu les Allemands, « tant en Normandie, pendant la guerre [de 1870], qu’en Lorraine, pendant l’occupation, du 14 septembre 70 à la fin d’août 73 !... Et c’était dur à avaler ! Pendant huit jours, à partir de cette rencontre, j’ai été tout à fait le “cochon de pessimiste”. Le 13, quand les communiqués sont arrivés, que j’ai vu l’ordre du jour de Joffre, la victoire, la lettre à l’armée, j’ai pensé que puisqu’on les avait battus une fois, (les Allemands), on pouvait les battre toujours. Et je suis devenue l’optimiste à tout crin, qui ne veut rien savoir. Il me semble d’ailleurs que ça marche de façon inespérée, en Champagne, sur mer, partout ! ». Elle est, devant les grands chefs militaires, « en état d’admiration, de confiance, et d’humilité – avec, toutefois, une sympathie spéciale et spontanée pour Foch, que je ne connais pas plus que les autres »...24 novembre. Son état de santé est inquiétant : « je ne pèse plus que 103 livres, et je ne peux, ni manger, ni dormir. D’où une faiblesse pénible, et un total ahurissement, que je secoue avec peine ». Elle est prudente dans sa correspondance, car une lettre adressée au capitaine Manancourt, dans laquelle elle faisait « des réflexions peu bienveillantes », a été interceptée par le ministère de la Guerre ; elle avertit Cazanave : « on chope des lettres, et il est bon de le savoir ». Puis elle commente la désignation du nouveau ministère Aristide Briand, et l’arrivée à la Guerre de Joseph Gallieni, « “le grand homme” de la bande », sur lequel elle rapporte d’intéressants propos d’un « officier qui a marché avec lui […] On appelle le nouveau ministère : “La pouponnière” parce que Freycinet, Méline et Combes naviguent entre 88 et 80 ans », et Freycinet a fait une note remarquable « pour les neutres ». Échos du « petit jeu des surnoms » : Pajot, « qui a pris deux grades à Berne, depuis la guerre », est “l’attaché d’embuscade” ; Henri de Rothschild, dont la femme malade mène une vie exemplaire, est appelé : “Rien de nouveau sur le front”. Elle rapporte les propos d’un blessé sur l’accueil réservé au Président Raymond Poincaré quand il va sur le Front : « Ça dépend !... des fois, on ne fait pas attention, des fois on rigole... […] Méfiance, v’la l’c... r’tranché d’Paris qui s’amène ! »... Elle raconte une visite de Mme Caillaux dans un hôpital militaire du Mans, qui a dégénéré…Son fils Thierry est encore sur le Charles-Roux, où il opère beaucoup, et son petit-fils Aymar est au 7e Spahis de Marche : « Il vient d’être nommé brigadier. Ça n’est pas encore très reluisant mais il n’a que 17 ans ½... Il est ravi, et trouve qu’il n’y a pas d’occupation plus charmante que de poser des fils de fer barbelés, tandis qu’on est un peu canardé par les Boches »... Les Neuf Muses, 2004.