Lot n° 754

Anna de NOAILLES (1876-1933) poétesse ; née princesse Bibesco Bassaraba de Brancovan, elle épousa en 1897 le comte Mathieu de Noailles (1873-1942). Lettre autographe signée « Anna de Noailles », [1920 ?, à Mireille Havet] ; 5 pages et...

Estimation : 500 / 700
Adjudication : 1 400 €
Description
demie in-4 obl. numérotées. Très belle et longue lettre élogieuse à la jeune poétesse.« Je gardais le souvenir de votre ravissant livre ingénu, La Maison dans l’œil du chat, quand vous m’avez fait connaître le manuscrit de vos nouveaux poèmes écrits de seize à vingt ans, et où toutes les promesses sont devenues fleurs. Je savais bien qu’un surprenant livre de petite fille serait suivi d’une œuvre plus remarquable encore, mais heureusement vous vous continuez, et je retrouve dans votre récent recueil cette même vérité mystérieuse d’enfant magicienne, qui m’avait tant frappée. C’est votre don particulier et le cadeau que vous nous faites, de composer si naturellement de légères ébauches qui sont en même temps tout achevées. Puisque vous avez dit dans quelques uns de vos vers que vous étiez cruelle, – ce qui m’épouvanterait sans la grâce de la confidence – je constate que vous arrachez d’une main précise et avisée l’aile du papillon, qu’elle étincelle et chatoie sur la page où vous nous l’offrez, et que vous laissez au lecteur le soin de reconstituer le bijou martyr, et d’imaginer son vol illimité dans le pur éther : car tous vos poèmes sont des départs. […] Le mérite des plus belles œuvres est de suggérer ; voyez avec quelle aisance vous avez atteint le but toujours convoité. Votre poème à trois voix [Le Départ], avec La Maison, l’Espace, le Voyageur, ne s’est pleinement révélé à moi que lorsque je l’ai fait glisser de l’écriture à la musique. Rien n’est plus tentant et ne semble plus juste que d’essayer de donner un essor unanime aux sentiments simultanés qui occupent toujours une même rêverie, mais le regard se trouble à suivre ce vol de pigeons, aux vives arabesques. Deux yeux c’est peu pour l’attrait que vous nous proposez, – et comment réveiller ce troisième œil invisible, non exercé, que l’on suppose caché sous le front opaque de l’homme ? Pourtant cette curieuse et habile tentative est la marque même de votre esprit, qui cherche sans cesse à libérer le nombre, à diriger la multiplicité. Vous chantez l’espace, moins avec nostalgie qu’avec la certitude de le contraindre à vous être favorable ; et, comme tous ceux que sollicite l’infini, vous comblez aussitôt de gratitude et de tendresse l’abri, la maison, ce faible point du monde où vient atterrir et se consoler l’âme prodigue »…Vente 12 mars 1975 (n° 107).
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