Lot n° 331

Manon Phlipon, Madame ROLAND (1754-1793) l’égérie des Girondins ; femme (1780) de Jean-Marie Roland de la Platière (1734-1793), elle fut guillotinée.Lettre autographe, 27 janvier 1780, à Mlle Sophie Cannet, à Amiens ; 3 pages et demie in-4,...

Estimation : 2 000 / 3 000
Adjudication : 1 800 €
Description
adresse avec cachet de cire rouge à son chiffre (brisé, petit trou par bris de cachet).Très belle lettre à son amie de jeunesse, annonçant son mariage avec Roland. [Manon Phlipon avait fait ses études avec les sœurs Cannet au couvent de la Congrégation ; c’est par elles qu’elle fit la connaissance de Jean-Marie Roland de la Platière, inspecteur des manufactures de Picardie, de vingt ans son aîné ; ils se marièrent le 4 février 1780.]« Eh bien ! ma chère Sophie, sais-tu comme la scène du monde se change quelquefois avec rapidité ? Pourras-tu soutenir encore ta foi en ma franchise contre les apparences ? […] Dois-je me flatter que le voile qui restera toujours sur le comment d’un événement innattendu, ne diminuera rien à la confiance, ou même à l’estime sentie que tu avois pour moi ? » Elle espère qu’elle ne lui en voudra pas, et ne l’accusera pas de dissimulation… Elle est restée « fidelle aux loix de l’Amitié […] La droiture de mon cœur ma soutenue uniquement dans les épreuves terribles et au milieu des chagrins les plus violens. J’ai, à peu près, épuisé les douleurs. Oppressée par elles et les dévorant en silence, j’étois enfin parvenue à ce terme de modération, et presque d’insensibilité ou l’on n’a plus rien à craindre parce qu’on ne se sent rien à perdre à quoi l’on tienne fortement : un nouvel horizon se découvre, le bonheur me sourit et ma situation change. Pénétrée intimement, sans être enyvrée, étourdie ; j’envisage ma destination d’un œil paisible et attendri ; des devoirs touchans et multipliés vont remplir mon cœur et mes instans. Je ne serai plus cet être isolé, gémissant de son inutilité, cherchant à déployer son activité d’une manière qui prévint les maux de la sensibilité aigrie. La sévère résignation, le fier courage qui servent d’appui dans le malheur aux ames fortes qu’il éprouve, seront remplacés par la jouissance pure et modeste des vrais biens du cœur. Femme chérie d’un homme que je respecte et que j’aime, je trouverai ma félicité dans le charme inexprimable de contribuer à la sienne ; enfin, j’épouse Mr Roland. Le contrat est passé, les publications se font dimanche, et avant le carême je suis à lui. Je vais former cet engagement si saint à mes yeux et si doux lorsqu’une estime profonde suivie d’un sentiment plus tendre encore fait de ses obligations autant de plaisirs. C’est ma disposition ; je te la peins avec franchise, persuadée que ton âme honnête et vraiment attachée n’éprouvera que de la satisfaction malgré l’espèce de mécontentement de n’en avoir pas connu plus tôt l’occasion. Il m’eût été difficile, même indépendament de toute considération particulière, de m’en ouvrir plus promptement. […] je ne reviendrai jamais sur le passé, en aucune façon. Quant aux conditions présentes, elles sont telles qu’un homme délicat généreux peut les faire pour un objet qui l’intéresse. […] Dans cette révolution, je n’oublie pas, ma bonne amie, que c’est par toi que j’eus la connoissance de celui auquel je vais unir à jamais mon sort. Je me plais à me représenter que tu es ainsi la cause de mon bonheur et que je suis redevable de ce dernier à ton amitié. […] Je suis depuis quelques jours dans l’espèce d’embarras que tu peux te représenter ; je vais incessamment quitter le couvent et retourner chez mon père, pour aller de chez lui à l’Autel ». Elle ira voir « ta sœur » Henriette dimanche, et lui remboursera « les 350ll dont ton amitié et la sienne m’avoient obligée, non pas que je croye ni prétende m’acquitter envers elle ni toi […] c’est une simple restitution aux personnes de ta connoissance qui pourroient avoir besoin d’un même service. […] Sois persuadée qu’aucun des actes de ta tendresse ne s’efface de mon souvenir […] Nous serons rapprochées, ma chere Sophie ; tu me verras heureuse, tu savoureras mon bonheur qui s’augmentera par ta participation; et nous dirons qu’enfin la vertu n’est pas inutile, ni dévouée sans retour aux souffrances. […] je t’estime et t’aime autant que jamais et je suis toujours la même, ton amie vraie et fidelle »…Lettres en partie inédites de Madame Roland (Mademoiselle Phlipon) aux demoiselles Cannet… (Plon, 1867), t. II, p. 422 (texte fautif).Ancienne collection Alfred Morrison (t. V, p. 309).
Partager