Lot n° 198
Sélection Bibliorare

Max JACOB (18761944). 11 L.A.S., Saint-Benoït-sur-Loire juillet-décembre 1942, à Jean-Bertrand Pontalis ; 7 pages in-4, 11 pages in-8 et une carte postale, 4 enveloppes.

Estimation : 7000 / 8000
Adjudication : Invendu
Description
Magnifique correspondance littéraire, pleine de fantaisie et de conseils amicaux, mais aussi d'inquiétudes. [Le jeune Jean-Bertrand Lefèvre-Pontalis a été présenté à Max Jacob par JeanPierre Bourla (1924-1944), ancien élève de Sartre au lycée Pasteur avec Pontalis, et auteur de quelques poèmes ; arrêté comme juif avec sa famille, interné à Drancy dix jours après la mort de Max Jacob, il fut déporté à Auschwitz où il mourut en avril 1944]. Pontalis, jeune philosophe et écrivain débutant, se confie à Max Jacob et sollicite ses conseils. De son cöté, Max Jacob livre des confidences à son jeune ami, parle de ses travaux et de littérature. 30 juillet, au « cher brancardier qui m'a relevé et aidé à passer un fleuve. Les travaux sont avancés, le portrait de Picasso a touché ou non les épaules mais il est parti emportant sur les dites épaules Apollinaire vaincu et Jarry néant ». Amusante digression sur une histoire de sucre vanillé qui se révèle être du sulfate de soude. Il conseille le jeune homme sur sa vocation littéraire et l'attitude de sa famille : « À mon avis ce serait une erreur grave que de donner au quadragénaire des regrets littéraires. Quand vous mettrez-vous tous dans la tête que personne ne vous ressemble, [...] qu'il est vain de créer des êtres qui vous ressemblent, animal étrusque ! L'intérêt de l'épilogue sera que précisément il n'a plus aucune sensibilité littéraire. [...] Il faut que ses enfants à lui soient pareils à ce qu'il était, lui, exactement et qu'il ne les comprenne pas plus que la terre ne comprend la lune. Exemple : il surprend son fils de quinze ans en train d'écrire des vers. Il sera surpris, épouvanté, désolé, ne se souvenant nullement qu'il avait à cet âge la même idée », et se glorifiant « du sens réaliste des Lefèvre-Pontalis »... Et il plaisante sur le « vieillard » (le grand-père de J.B.) dont il imagine un raisonnement de « philosophie grotesque ». Il ajoute : « Il pleut des grenouilles sur l'asphalte de St Benoit : elles sautent je crains que cette plaie d'Égypte ne vous empêche d'exécuter un retour stratégique vers Châteauneuf avec votre frère ». 3 aout. « L'art de l'épistolier est de trouver des mérites là où il n'y en a que peu. Ce n'est pas le fait que vous trouviez des mérites au vieux mendiant de St Benoit qui me remplit d'aise mais c'est que ce soit “vous” qui les trouviez. [.] Je suis collectionneur de grands hommes -entre autres amours j'ai celui-là : l'amour du talent des autres - or votre lettre et votre personne me certifient qu'il y a une nouvelle perle dans ma collection et non des moindres ». Il loue sa sensibilité juste, sa profondeur, même s'il se trompe sur lui : « Je ne suis pas aussi flatté d'être pris pour ce que je ne suis pas que d'être pris par vous pour ce que je voudrais être ». Qu'il ne lui parle pas de sa simplicité : « hélas ! l'homme le plus compliqué au monde je le suis et mon apparence contraire n'est que l'habitude de la pauvreté ou la compagnie habituelle des “grands”. Dites aussi à Jean Cocteau ma fidélité admirative et tendre, et la joie que me donnent ses succès si “réelles”. Valéry disait à Gide “nous sommes à l'âge où l'on reconnaït le talent des autres”. J'ai toujours eu cet âge là quand il s'agit de Jean : je l'enviais sans amertume, je continuerais à l'envier si je n'avais pas renoncé à tout ce qui n'est pas “utilité de mon prochain”. Dites à Bourla que je l'aime infiniment et l'apprécierai toujours ». Il évoque l'histoire d'un Traité d’esthétique perdu, et avec quelques avis sur le style et l'écriture : « Le style est précisément l'art de rapprocher la plume et l'esprit ». Etc. 20 aout. Il est charmé des lettres de son ami, mais voudrait qu'il y parle plus de lui-même : « j'aimerais vous connaïtre davantage, pénétrer votre vie, me renseigner sur votre but et le chemin si intéressant de votre pensée ». Bourla, sans doute un peu jaloux, s'est vexé : « Je suis bouleversé, surpris, intensément stupéfait. J'ai offensé Bourla ? J'ai commis une “crasse” ?!! [.] Je sais que je suis une brute bien intentionnée. Mais je ne croyais pas qu'il eut à se plaindre de cela. Il est vrai que, comme il vous avait amené, j'ai cru devoir m'occuper très spécialement de vous [...] je suis chagriné d'avoir chagriné Bourla. Je vous trouve sévère dans vos jugements sur lui. C'est un littérateur, c'est pourquoi il aime les mots à effets ». 24 aout. « C'est moi qui suis un vieil imbécile. J'aurais du comprendre. À la vérité je suis si accoutumé à mes propres gaffes et à mes inconsciences que je vis toujours disposé à “encaisser” leurs conséquences ». Il peut venir sans Bourla : « Si vous êtes triste nous pleurerons ensemble, si vous êtes gai vous m'égaierez - j'ai tant besoin de l'être ! - Si vous parlez de poèmes, apportez-en, nous discuterons le coup. J'ai eu 3 numéros de revues ! Poésie 42, Confluences et Fontaine. Je trouve le mouvement poétique absolument remarquable en zone libre et nous lirons des vers ensemble ». Il signale la nouvelle d'Henri Thomas, Le Précepteur, à la N.R.F., qui lui a plu : « C'est tout aussi bien qu'Elsa Triollet ou Sartre si ça ne vaut pas du Dominique Rollin ». 1er septembre. « Très précieux frère et fils ami. Sartre n'est qu'un peintre de mreurs, peintre très discret. Sa discrétion vient d'une grande culture car ses reuvres valent non par elles même et ce qu'elles contiennent mais par ce qui est alentour et qu'elles ne disent pas. [...] Avant que l'auteur ait refait son auréole il faudra attendre qu'elle ait atteint l'âge de Cervantès ou celui du Jean-Jacques des Confessions. À moins d'être Shakespeare on ne refait pas deux chefs d'reuvre (Hugo n'en a pas fait un seul). Rimbaud l'a bien compris qui n'a pas voulu tenter une deuxième chance [...]. L'Auréole ! l'auréole ! C'est ce qui compte. [...] On tolère le prosaïsme d'Apollinaire parce qu'on sent que ça vient d'un homme d'allure. Les petits moineaux qui l'imitent font rire. Conclusion : il faut se faire une culture formidable, insister sur son moi (chapitre à creuser, lire Kierkegaard là-dessus), se séparer pour rejoindre, avoir une grande mémoire et alors écrire n'importe quoi. Exemple : les gros contes de Balzac ne seront jamais des chefs d'reuvre, la moindre chansonnette de Musset est immortelle. Tant vaut la source, tant vaut le fleuve. Ce qui est triste à la Sorbonne, c'est qu'ils dissèquent les reuvres, alors que c'est l'auréole qu'il faut étudier. J'aime que tu parles de la noblesse de Sartre. On ne peut mépriser les pièces du Divan de Goethe parce que venant de l'arbre elles ont le parfum de l'arbre. Le folklore ne sera jamais que du folklore, c'est-à-dire rien ». Homère n'appartient pas au folklore : « c'est un monsieur comme Virgile en mieux, un prêtre de la Kabbale très informé, aussi informé que l'auteur du Cantique des Cantiques. Homère savait l'astronomie, mieux que je ne sais l'astrologie [...] c'est de l'occultisme habillé en mythes ». Il l'encourage à continuer à se former, « et n'écris pas de roman avant d'être sur que ton roman sera un des rayons de ton soleil. Aujourd'hui c'est très difficile de faire une reuvre d'art littéraire [...] à moins de vouloir être un amuseur, ce qui n'est pas ton cas. Tu vas te compromettre avant d'être prêt ». Ils parleront de tout cela lors de sa prochaine visite. 11 septembre. Il attend ses dates pour réserver une chambre, mais on lui trouvera toujours un lit. « Bien sur tu ne prendras pas toutes mes journées mais je pense que je te les donnerai [...] Tu travailleras sur mes tables ». Il lui conseille d'envoyer son manuscrit à Jean Denoël, « excellent critique et conseiller, bienveillant, sévère, et indulgent. [...] Adorable Denoël. Dévouement, certitude. Je considère l’Étranger [de Camus] comme la plus remarquable étude que j'aie lue depuis Oblomoff. Incursion nouvelle des régions inexplorées et roman amusant que je voudrais avoir écrit - hélas ! ce livre ne peut être apprécié que par des gens capables de l'écrire ». 17 septembre. « Je coupe une mèche de votre chevelure et je la mets dans mon portefeuille. Ce geste me semble une salutation angélique. [.] Les cheveux sont le siège des anges. Et si j'ai un cheveu de vous, j'ai “par là même” un ange vous appartenant. La raison pour laquelle les rois mérovingiens ne pouvaient être admis au tröne, si le ciseau était entré dans leur chevelure, la voici : changer d'anges inspirateurs c'est changer de nature et renier son origine. C'est donc aussi n'être plus purement de sa race. C'est donc encore être déchu. La chevelure considérée comme titre de noblesse. Je ne plaisante pas plus que Samson. Tous ces héros de la Bible sont des images d'une vertu du Seigneur. Samson représente la vigueur native de Dieu en opposition avec les jeunes, méditations et pénitences de St Jean Baptiste qui sont des forces acquises. [.] J'attends la mèche de vos cheveux et vous embrasse sur votre photographie ». [Au dos, note a.s. de Lefèvre-Pontalis : « J'ai fait un chemin de croix avec Max Jacob. Je l'aime du plus profond de moi-même ».] 19 septembre. « Vos lettres sont si exquises que je rougis de mes réponses ». Il a réussi à arracher 2 chambres à l'hötelière. Il a lu Armes et bagages de Michel Manoll : « c'est très beau mais il paraït que je dois le répéter pour la réclame. Avec la poésie moderne on ne sait jamais si c'est très beau ou si c'est galimatias double. Les bourreurs de crâne misent tout sur cette incertitude. Tout le monde n'est pas Rimbaud ». 28 octobre. « Votre petit hötel sur le Pont Neuf me laisse rêveur. Apollinaire me montrant une fenêtre au coin du quai Malaquais et de la place St Michel me dit “Bonaparte a habité là”. Et moi, je le crus fervemment. J'ai su depuis que le général après Toulon habita rue de la Chaussée d'Antin [.] Apollinaire mentait intelligemment. Ce qui est peut-être mieux que de dire des vérités bêtes »... On l'accable d'envois de livres à lire, et de tâches. Il aimerait recevoir de Jean-Bertrand « un aperçu des gouts de l'époque universitaire et des rebelles en matière de philosophie ». Avant, on lisait Tissié, Féré, le fils Janet. « Et puis il y a eu Bergson ou Nietzsche. Où en est-on ? ».. Il conclut : « J'aime qui m'aime mais toujours un peu plus qu'on ne m'aime ». 3 décembre. « La quotidienneté au sein des catastrophes ? Oui, c'est un thème qui m'a toujours préoccupé. Fabre d'Églantine écrivant des gaudrioles en 93, André Chénier griffonnant des vers la veille de sa mort ! [.] les prisonniers de la Bastille s'offrant le thé de salon à salon ! etc. les exemples sont infinis ». La vérité pure n'existe pas : « Il n'y a que des vérités relatives [.] Décidément il n'y a de vérités qu'humaines, ou individuelles en tous cas. C'est pourquoi il n'y a en matière d'art d'autre critérium que celui-ci : plaire ou ne pas plaire, toucher ou ne pas toucher. Le tout est de savoir à qui on veut plaire et qui on veut atteindre. Quant à atteindre le Beau idéal, . il faudrait d'abord le connattre : il change avec le temps et les frontières et ce n'est que par des démarches incidentes que nous aimons l'art gothique, roman ou grec. Culture ! Bourrage de crâne ! Soyons humains et c'est tout le moyen de plaire ». 16 décembre : « l'essentiel est que le héros du Mythe sera là puisqu'il l'annonce lui-même et que votre introduction n'est qu'une introduction c'est-à-dire un prologue, une préface ». On joint une grande page avec P.A.S. : « modeste homme a / des maux d'estomac / Max Jacob. 43. 13 avril » ; et la copie dactylographiée d'une lettre de Max Jacob à Christian Dotremont, 27 juillet 1942.
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