Lot n° 253

George SAND (18041876). Manuscrit autographe signé « G. Sand », Le Toast, [1832] ; 7 pages et quart in-8.

Estimation : 7000 / 8000
Adjudication : 7 000 €
Description
Manuscrit complet, de premier jet, de ce conte romantique, un des tout premiers textes de George Sand romancière. Il a paru dans les Soirées littéraires de Paris, recueil publié chez Janet en décembre 1832, peu après les romans Indiana et Valentine ; il a été recueilli dans La Coupe chez Calmann-Lévy en mars 1876. « L'action se passe aux Pays-Bas au XVIIe siècle. Le vieux gouverneur de Berg-op-Zoom, Sneyders a épousé une jeune et belle Espagnole, Juana. La pauvre Juana, qui a grandi sous le soleil de l'Andalousie, s'ennuie et languit dans ce pays humide et triste, entourée de Hollandais lourds et prosaïques. “Joignez à l'influence du climat la société d'un mari fort riche, fort sensé, fort entendu en ce qui touche ses affaires et son gouvernement, mais fort ennuyeux, il faut bien le dire, et vous comprendrez que la belle et tendre Juana pouvait bien avoir le mal du pays...” Elle a, comme on peut s'y attendre, les yeux noirs et tristes, la pâleur mate et l'air mélancolique de la soumission, traits d'une femme bien connue de George Sand, qui avait le malheur de vivre depuis neuf ans avec un mari qui, quoiqu'il ne fut pas gouverneur de Berg-op-Zoom, n'en était pas moins aussi prosaïque que l'honorable Sneyders. Heureusement pour la pauvre Juana, il se trouvait dans la maison du gouverneur un jeune page aux yeux noirs, Ramiro, né aussi dans la chaude Espagne, amateur de musique, chantant parfaitement les anciennes romances espagnoles ; il était, en outre, “d'une noble et antique maison, ce qui, dans ce temps-là, ne gâtait rien”, ajoute l'auteur, qui, de la première à la dernière ligne de cette gentille bluette, ne se départit pas d'un ton gai, léger, plein d'humour et d'entrain le plus parfait. Sneyders aurait pu, semblerait-il, ne pas avoir trop d'inquiétudes, vu la conduite irréprochable de sa jeune femme et la chaste innocence de son page de seize ans, et compter, en plus, sur “le climat refroidissant de la Flandre”. Il n'aurait donc du avoir aucun motif de jalousie, “ce dont il était contrarié parfois autant que flatté car il y a certaines liaisons pures, discrètes, mystérieuses, qui font plus de tort au repos d’un mari que de franches et loyales infidélités”. En vain Sneyders essaye-t-il d'espionner les jeunes gens, il perd son temps. “On peut surprendre en flagrant délit des coupables, découvrir les manèges de la passion, - on ne peut surprendre ou démasquer un amour pur, profond et innocent”. Sneyders se met à railler le page, se moque de sa musique et de ses empressements ; peine inutile ! Alors, il recourt au crime, déguisé de la plus belle façon. Sous prétexte d'une mission urgente, Sneyders envoie le jeune page chez le gouverneur d'Anvers, son parent, espérant qu'il y sera retenu comme otage espagnol ou même tué (l'action se passe à l'époque de la lutte des Pays-Bas contre l'Espagne), d'autant plus que le gouverneur est l'ennemi juré du père et de toute la famille de Ramiro. Mais le vieux Sneyders se réjouit trop tot d'avoir éconduit le jeune homme ; il a trop compté sur la perfidie de son parent, homme d'honneur ; il a oublié que le petit dieu capricieux protège ses fidèles adorateurs et se moque des vieillards, ses ennemis. Un jour, après un bon diner et après avoir aiguisé sa langue sur l'“Espagne, les femmes, les romances, les petits chiens et les pages, joueurs de guitare ”, Sneyders veut méchamment faire boire Juana à la santé du gouverneur d'Anvers. Il triomphe perfidement de sa victoire sur Ramiro et se réjouit déjà de sa mort, lorsque Juana, au désespoir du péril que court le jeune homme, prend le verre en main et, bouleversée par la cruelle plaisanterie de son mari, s'écrie : “Si la confiance des Anversois dans leur gouverneur est si aveugle, dit-elle, c'est qu'apparemment ils le savent incapable d'une action lâche et d'un crime inutile”. Tout à coup une jeune voix se fait entendre sous la fenêtre, chantant le refrain d'une romance favorite de Juana, et celle-ci boit joyeusement à la santé de “son ami et parent, le glorieux gouverneur d'Anvers”. Après avoir calmé sa bien-aimée, Ramiro se cache pour échapper à la vengeance du très cher Sneyders, qui, cette fois, aurait certainement tout fait pour le perdre. La victoire reste à la jeunesse. Ramiro et Juana ne se reverront peut-être plus, mais ce moment de bonheur a compensé tous leurs chagrins. L'amour a vaincu et se rit des vieux maris, des chaïnes, des proscriptions, des défenses, des lois et des sévices. Vive l'amour, vive tout sentiment pur et humain, voilà ce que nous dit ce petit conte gracieux et gai, écrit d'une plume alerte et avec une verve et un entrain tout à fait surprenants. » (W. Karénine, George Sand, sa vie et ses №uvres, t. I, p. 379-382). Rédigé à l'encre brune sur 7 feuillets (les deux premiers doubles, filigrane J. Whatman 1832), très remplis de sa toute première écriture, très petite, le manuscrit a servi pour l'impression ; il présente de nombreuses ratures et corrections. Il est signé en fin « G. Sand ». Une note de sa main en tête a été soigneusement biffée avant la composition du texte : « Mme Tastu voudra bien intituler le conte à son gré. Si elle trouve l'histoire trop longue, elle trouvera bien le moyen d'y faire des coupures ».
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