Description
Très longue et magnifique lettre du Portugal à sa femme, dont un passage est cité approximativement par la duchesse d’Abrantès dans ses Mémoires, avec cette note : « Cette lettre a 8 pages […] Elle était fort importante, en ce qu’elle parlait des affaires privées de Junot et en même temps des affaires de l’armée. Je la donnai en 1819 à S.M. Louis XVIII… et depuis elle est devenue un autographe assez curieux, parce que le roi souligna à l’encre rouge tout ce qui lui parut mériter quelque attention relativement à Masséna et à mes propres affaires. Cette lettre fut ensuite envoyée à M. de Villèle […] Jamais depuis je n’ai pu la ravoir. [...] Comment une lettre de 8 pages peut-elle s’égarer ? »... « Depuis notre séparation ton ami a plus souffert de la peine de t’avoir quittée et de la pensée de te savoir si mal, de l’inquiétude qu’il devait avoir, d’ignorer ta situation dans l’état où il t’avait laissée, que des privations auxquelles il a été condamné et des tracasseries qu’il a dû essuyer ; tu peux l’en croire ma Laure, l’objet de ton bonheur à venir est le seul qui l’occupe aujourd’hui, et s’il regrette quelquefois la fortune afin de satisfaire tous tes goûts et enrichir sa famille, l’espoir de passer sa vie au milieu de ses enfants, entre son père et sa Laure qui l’aimeront, est maintenant le seul vœu de son cœur. La méchanceté des hommes ne pourra lui faire perdre l’estime des honnêtes gens et si quelques erreurs ont apporté quelques taches dans l’histoire de sa vie, il aura du moins pour lui la voix des malheureux qu’il a secourus, ceux des peuples qu’il a gouvernés, sa conscience qui ne lui reproche rien envers la probité, son honneur qui le trouva toujours dans le chemin direct qu’elle enseigne à tout militaire, à tout homme, et son cœur qui, fidèle et constant envers son Souverain qu’il aimât avec passion, le portat toujours à le servir avec un dévouement enthousiaste »... Son cœur appartint toujours « à sa Laure, à sa meilleure amie, à la mère de ses enfants [...] unique objet de toutes ses affections », pour laquelle il renonce à toutes les femmes du monde entier... Il lui explique les nombreuses rumeurs, attaques et querelles dont il fait injustement l’objet, depuis « la sotte et insignifiante querelle » qu’il eut avec le Prince [d’Essling, Masséna, commandant en chef de l’Armée du Portugal]à Salamanca, que ce dernier visiblement ne lui pardonne pas. Il ne veut pas entrer dans le détail des opérations de l’armée, mais tout le monde s’est plaint : « J’ai gardé mon opinion pour moi, pour l’Empereur s’il me la demande, et pourtant on a cru ou voulu croire que j’étais mécontent et que je le disais hautement ». On complote à Paris « afin de faire retomber sur moi et sur Ney les bévues que l’on pourra un jour reprocher à l’armée » : il est prêt à affronter cela, en demandant une explication « que la justice, la grandeur et l’ancienne amitié de l’Empereur ne peut me refuser. Je sçaurai confondre mes ennemis et sortir victorieux d’une lutte que j’ai méprisée depuis plusieurs années ». Il espère passer le reste de sa vie loin des intrigues et des jalousies de la Cour, avec sa famille. Il souffre de cette situation, ayant même lu dans les journaux anglais « que l’on s’était plaint de mon insubordination, et que l’on avait demandé mon rappel », et la rumeur court même qu’il est emprisonné au château de Vincennes... Il s’excuse de cette bien longue et triste lettre, mais il se sent seul et incompris : « personne ici ne comprend ce que peut désirer un homme décoré des plus beaux titres et pourvu des places les plus enviées et les plus honorables. Quand je dis que je préfère à tout cela une retraite tranquille, et jouir du bonheur d’être avec ma famille, quand je dis que je préfère à la fortune que j’aurais pu avoir comme tant d’autres, le calme de ma conscience et ma pauvreté, il semble ma chère Laure que je parle hébreu. Ce langage est si loin de l’opinion de tout ce monde, que l’autre jour les deux hommes que j’estime le plus ici [...] m’ont quitté intimement persuadés que j’étais fou, ou bien que je leur en imposais, lorsque je leur ai dit que je ne possédais pas trois mille livres de rente, que je n’avais pas un pouce de terre, pas un écu à placer et que malgré cela, je préférais être ainsi », plutôt que de devoir sa fortune à d’autres qu’à Napoléon, qu’à « celui à qui je dois tout jusqu’à ce jour, à celui que j’ai toujours chéri et fidèlement servi, à celui enfin qui m’ayant élevé au rang où je suis, doit me procurer les moyens d’y exister dignement [...] je saurai encore me distinguer par quelques qualités peu communes aujourd’hui, et surtout par mon attachement et ma fidélité inviolables pour lui, comme par mes vœux pour son bonheur »... Il rêve à un avenir tranquille : « Entouré de mes enfants, caressé par ma Laure, je pourrai passer encore des jours heureux [...] Encore quelques mois de patience et nous pourrons être réunis [...] et nous pourrons encore être heureux longtemps. Toi, ma Laure, tu es jeune. Tu as bien des années devant toi » [1ls avaient 13 ans d’écart et étaient à cette date âgés de 40 et 27 ans]... Il la prie d’embrasser leur fille Joséphine dont c’est aujourd’hui l’anniversaire, lui témoigne toute sa reconnaissance pour les beaux enfants qu’elle lui a donnés et pour tout le bonheur qu’elle lui apporte… Etc.