Lot n° 17
Sélection Bibliorare

Georges BERNANOS (1888-1948). MANUSCRIT autographe signé, [L'esprit de parti, 1945] ;

Estimation : 2000 / 2000
Adjudication : 2800 €
Description
7 pages in-4 sur papier ligné, reliure demi-chagrin rouge. REMARQUABLE ARTICLE POLITIQUE publié (comme l'indique une carte de Mme Bernanos) dans le journal La Bataille le 18 octobre 1945, et recueilli dans Français, si vous saviez... (Gallimard, 1961). Il est inspiré par le prochain référendum sur la nouvelle Constitution et les élections législatives (21 octobre 1945). Le manuscrit, d'une belle écriture soignée, présente des ratures et corrections, avec deux passages biffés. " La prochaine consultation électorale est le souci capital d'un grand nombre de Français. J'ai bien le droit de penser à ceux qui s'en fichent. Oh ! rassurez-vous, je ne veux parler que de ces très jeunes Français dont le bon plaisir des électeurs va demain régler le sort, et qui ne s'en doutent même pas. J'avoue que cette idée me hante. Je l'ai déjà exprimée de mon mieux, j'y reviens encore. Les générations qui ont perdu la victoire, perdu la guerre, et viennent de manquer la révolution, s'apprêtent - comme on dit - à organiser l'avenir. Elles mentent. Elles ne se proposent que de liquider leur propre faillite, elles ne sont visiblement d'accord que pour cette besogne indispensable. Car l'esprit de parti n'a jamais divisé les Français qu'en apparence, il les met au même niveau de médiocrité, il les lie entre eux par une espèce de complicité analogue à celle des joueurs d'un même tripot. L'esprit de parti est un admirable dérivatif de l'esprit révolutionnaire, Une démocratie révolutionnaire, cela ne s'est jamais vu, n'est-ce pas, mon cher Staline ? La démocratie est revendicatrice et non révolutionnaire. Son aveugle passion égalitaire la rend même facilement liberticide [.] Aucune mémoire, aucun exemple n'a pu résister longtemps à l'insincérité, à la banalité, à la bêtise des hommages officiels. [.] C'est ainsi, déjà, qu'il y a vingt-cinq ans, les Politiques ont volé notre victoire aux jeunes Français. Je veux dire qu'en écartant et humiliant les vainqueurs, ils ont volé aux jeunes Français la conscience et la fierté de notre victoire. Les Politiques redoutaient l'esprit de victoire autant qu'ils redoutent aujourd'hui l'esprit de Résistance ". Bernanos évoque sa propre jeunesse et celle des " enfants d'une victoire sans vainqueurs ", et comment " l'esprit de victoire fut jadis sacrifié non pas à la réconciliation des Français, mais à la réconciliation des Politiques " ; puis la déroute militaire de 1940, " coïncidant avec le plus grand effondrement moral dont l'Histoire de France fasse mention ", et la conduite des " gens de Vichy " ; les procès du maréchal Pétain et de Jean Hérold-Paquis. Et il conclut : " Ce qui restait d'honneur aux Français de 1940 n'était certainement pas capable de leur donner le vertige, voilà précisément pourquoi nous devons garder cette part intacte pure - dure et pure, est-ce que ces mots ne vous font pas sourire maintenant ?... Qu'importe ? Au mois de juin 1940, la France nous a posé un cas de conscience, et elle ne l'a pas seulement posé à nous. Au terme d'une longue période d'abandons et de reniements, elle l'a posé aux jeunes Français à venir. Nous ne pouvons reconnaître à personne le droit de rompre le contact entre la France libre d'hier et les générations libres de demain ".
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