Lot n° 110

BRETON (André). Équation de l'objet trouvé (L'Amour fou). Manuscrit autographe signé, daté 5 mai 1934,

Estimation : 9 000 / 12 000 €
Adjudication : Invendu
Description
4 pages in-4, sous chemise demi-maroquin noir.

Beau manuscrit complet d'un chapitre de L'Amour fou.

Constituant le chapitre III de L'Amour fou (1937), ce texte fut d'abord publié en juin 1934 dans la revue belge Documents 34, à l'exception du second post-scriptum, qui, comme le précise Breton, fut écrit deux ans plus tard. Se situant dans le prolongement de Nadja mais aussi des Vases communicants, il constitue une remarquable méditation sur un thème surréaliste essentiel, celui de la rencontre et du "hasard objectif" (qui est aussi le sujet même de L'Amour fou).

Breton commence par exalter le hasard, qui, selon lui, est une richesse fondamentale : … Aujourd'hui encore je n'attends rien que de ma seule disponibilité, que cette soif d'errer à la rencontre de tout, dont je m'assure qu'elle me maintient en communication mystérieuse avec les autres êtres disponibles… Indépendamment de ce qui arrive, n'arrive pas, c'est l'attente qui est magnifique. Suit le récit de la rencontre non d'un être, mais de deux objets : d'abord un mystérieux masque, trouvé lors d'une promenade au marché aux puces en compagnie de son ami le sculpteur Giacometti : … un demi-masque de métal frappant de rigidité en même temps que de force d'adaptation à une nécessité de nous inconnue. Giacometti l'achète, tandis que Breton, lui, acquiert une grande cuiller en bois d'exécution paysanne, mais assez belle, me sembla-t-il, assez hardie de forme… Il décrit les deux objets, sur la fonction desquels il s'interroge longuement, les rapprochant d'une sculpture récente de Giacometti. Pour lui, il s'agit d'un "hasard objectif", et ces deux objets ne sont que le symbole des désirs cachés de leurs acquéreurs respectifs : La trouvaille d'objets remplit ici rigoureusement le même office que le rêve, en ce sens qu'elle libère l'individu de scrupules affectifs paralysants… Revenant sur la cuiller, il y voit une analogie frappante avec la pantoufle de Cendrillon, qui le hantait justement alors : …la pantoufle merveilleuse en puissance dans la pauvre cuiller. Sur cette idée se fermait idéalement le cycle des recoupements. Dans un premier post-scriptum, Breton revient sur ces trouvailles, où il distingue un contenu sexuel et une égalité objective : pantoufle = cuiller = pénis = moule parfait de ce pénis. Le second post-scriptum, plus tardif, prolonge cette idée, en insistant sur certaines théories de Freud : "D'Eros et de la lutte contre Eros !" Dans sa forme énigmatique, cette exclamation de Freud parvient certains jours à m'obséder comme le font certains vers…

Manuscrit de premier jet, très corrigé et très dense. Il est particulièrement intéressant de voir comment Breton a fait suivre son texte d'un premier post-scriptum, d'une écriture très serrée, puis, deux ans plus tard, d'un second post-scriptum, qui le prolonge et le complète. Le tout constitue une véritable enquête, qui nous conduit au centre même de la doctrine surréaliste du hasard, des rêves et de l'amour.

Le présent manuscrit est resté inconnu de l'éditeur des Œuvres complètes, Marguerite Bonnet, qui précise n'avoir retrouvé que le manuscrit du chap. VI du livre (voir O. C., Pléiade, t. II, p. 697-709 et p. 1705).
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