Lot n° 174
Sélection Bibliorare

CHIRICO (Giorgio de). Un récit [Monsieur Dudron]. Manuscrit autographe signé, daté Paris - mai 1939,

Estimation : 8 000 / 12 000 €
Adjudication : Invendu
Description
21 pages in-4 (page de titre comprise), sous chemise demi-maroquin noir.

Remarquable manuscrit littéraire.

Peintre "métaphysique" puis néo-classique, Chirico est aussi un véritable écrivain, auteur de l'admirable Hebdomeros (1929). Le manuscrit présenté ici contient un Récit non moins original, composé durant le second séjour parisien de l'artiste. Ecrit dans une orthographe parfois fantaisiste, il s'agit d'une première mise au net, avec de nombreuses ratures et corrections, de ce qui s'intitulera finalement Monsieur Dudron (in Deux Fragments inédits, Parisot, 1938).
C'est l'histoire, contée sur un ton mi-ironique mi-désabusé, d'un peintre, Monsieur Dudron : Le 17 avril 1939, vers deux heures de l'après-midi, monsieur Dudron, bien enfoncé dans un fauteuil pliant, faisait la sieste dans son atelier-bureau. Comme celà lui arrivait souvent quand il ne travaillait pas, ses pensées allaient vers la peinture. "Les peintres - se disait-il -, aujourd'hui et même depuis quelque temps déjà, ne font plus de la peinture ; ils ne peignent pas ; ils mettent des couleurs à sécher sur la toile. Or une belle peinture n'est jamais de la couleur sèche mais de la belle matière teinte. (…) Ils sentent tous, d'une façon très confuse, c'est vrai, mais ils le sentent quand même que celà ne va pas, que celà ne va plus… Voilà ce qui plaît aujourd'hui le plus aux gens qui s'occupent de la peinture (…). Pour eux la peinture n'est qu'une question d'images… Ils ne comprennent pas que l'image ne signifie rien du tout et la seule chose qui sauve une peinture de l'oubli, qui la valorise, qui l'immortalise c'est sa qualité… Puis, il se met au lit et fait un rêve étrange, longuement décrit et qui semble sorti d'une toile "métaphysique" de Chirico. Réveillé en sursaut, il pense à son fils Bruno, jadis disparu de la maison : Maintenant là-bas, dans la grande ville blanche et sollennelle où veillaient dans leurs uniformes sévères les noirs tribuns militarisés et intransigeants, Bruno grandi, Bruno arrivé, se penchait sous la voûte des vastes coupoles pour écouter les vagues sonores et polyphoniques qui montaient et montaient sans cesse des cavernes mélogènes, de ces cavernes où s'abritaient en rangs serrés et disciplinés des orchestres formidables, conduits par des chefs chevelus et crispés (…). Puis, décidé à affronter la vie quotidienne, il se mit tranquillement à peindre.

L'étonnante fantaisie de ce Récit se double de nombreuses réflexions sur la peinture, qui donnent à penser que ce texte est aussi une confession et que Chirico a mis beaucoup de lui-même dans le personnage de M. Dudron.

Les manuscrits littéraires de Chirico sont d'une grande rareté.
Partager