Lot n° 325
Sélection Bibliorare

[Louis XVI]. CLÉRY, Jean-Baptiste Hanet, dit Journal de ce qui s'est passé à la Tour du Temple Pendant la captivité de Louis XVI, Roi de France. Par M. Cléry, Valet de chambre du Roi. [Manuscrit] Paris [Vienne], 1793-[1797]

Estimation : 30 000 / 50 000 €
Adjudication : 54 096 €
Description
TRÈS PRÉCIEUX MANUSCRIT PERSONNEL DE CLÉRY AUQUEL IL PORTA DE NOMBREUSES ADDITIONS ET CORRECTIONS AUTOGRAPHES :

• CELUI QU'IL VOULUT PUBLIER À VIENNE EN 1797 MAIS QUE LA CHANCELLERIE REFUSA (LONGUE ANNOTATION MANUSCRITE DU CENSEUR).

• CELUI QU'IL VOULUT OFFRIR À LOUIS XVIII LE 21 JANVIER 1798, QUI AJOUTA DE SA MAIN SUR LA PAGE DE TITRE DU PRÉSENT MANUSCRIT LE VERS DE L'ÉNÉIDE : "ANIMUS MEMINISSE HORRET" ("MON ÂME TREMBLE D'HORREUR À CE SOUVENIR").

CE MANUSCRIT SERVIT À L'IMPRESSION DE L'ÉDITION ORIGINALE ET PROVIENT DIRECTEMENT DES DESCENDANTS DE CLÉRY ; IL EST CONNU ET CITÉ DEPUIS 1896, DATE À LAQUELLE IL SORTIT DE LA FAMILLE

MANUSCRIT de 144 pages en 6 cahiers in-4 (270 x 206mm). Ce "manuscrit au net", selon la terminologie du partage notarié des héritiers de Cléry datant de février 1896, est de la main d'un secrétaire. Son écriture est fort proche de celle de Cléry lui-même, si bien que ses héritiers le pensaient entièrement autographe. Ce manuscrit et les fameux objets de la succession Cléry ont été étudiés par P. Le Verdier dans la Revue des Questions historiques en 1896 (voir infra).

En 1798, ce manuscrit servit à l'impression du célèbre journal du fidèle serviteur de Louis XVI et de sa famille. Il est de l'écriture d'un secrétaire mais porte d'importantes CORRECTIONS ET ADDITIONS AUTOGRAPHES DE

CLÉRY. L'édition originale de 1798 en a tenu compte et en suit très exactement le texte, à part quelques passages restés inédits ou de légères variantes.

CORRECTIONS AUTOGRAPHES DE CLÉRY : elles sont très nombreuses et se distinguent des corrections que le copiste a lui-même portées. Nous ne donnerons ici d'abord que quelques numéros de page où ces corrections de Cléry figurent, rétablissant le texte primitif oublié par le copiste ou ajoutant quelques mots à ce texte : pp. 3, 5, 6, 7, 10, 11, 13, 16, 18, 20, 21, 30, 31, 37, 38, 48, 53, 66, 67, 69, 70, 80, 104, 114, 117, 124, 125, 126, 127, 131

IMPORTANTES ET PRINCIPALES ADDITIONS AUTOGRAPHES DE CLÉRY :
p. 32 : c'est la plus importante des additions, elle a trait au programme d'éducation et aux lectures des Enfants royaux. Ils ne correspondent pas à ce que la Convention souhaite. Il s'agit de deux longs béquets et d'une correction représentant PLUS DE 31 LIGNES DE TEXTE. Cléry est revenu sur le texte primitif
p. 50 : addition de 12 lignes
p. 56 : addition d'une note de bas de page
p. 75 : plusieurs lignes sur le Dauphin. Il reconnaît l'un des gendarmes qui les avait identifiés à Varennes : "c'est lui dit-il à voix basse [à la Reine], dans notre Voyage de Varennes"
p. 81 : touchante anecdote INÉDITE CAR NON REPORTÉE dans l'édition originale, à propos d'une partie d'échecs entre le Roi et Madame Élisabeth : "Prenez garde, ma Sœur, lui dit sa Majesté, votre Roi va se trouver enfermé. Je n'ai pas à craindre un pareil coup de votre part, lui répondit-elle, vous êtes trop bon françois pour cela"
p. 103 : quelques mots sur le procédé de correspondance secrète par les fenêtres, entre la Reine et Louis XVI
p. 133 : quelques lignes

AVEC UNE TRÈS PRÉCIEUSE ADDITION AUTOGRAPHE DE LA MAIN DU COMTE DE PROVENCE, FUTUR LOUIS XVIII, SUR LA PAGE DE TITRE : ce vers de Virgile, tiré de l'Énéide (II, 12), lorsque Énée dit à Didon : Animus meminisse horret... Virg (soit : "mon âme tremble d'horreur à ce souvenir"). Comme Michaud l'atteste dans l'article Cléry de sa Biographie universelle : "ce fut ce Prince [Louis XVIII] qui écrivit sur le manuscrit l'épigraphe : Animus meminisse horret"
MENTIONS manuscrites de la chancellerie de Vienne. La première en allemand sur la page de titre datée du 9 novembre 1797. La seconde à la fin du dernier cahier, que l'on peut traduire ainsi : "L'impression de ce manuscrit ne peut être permise ni à Vienne ni dans les états héréditaires, ni même dans les endroits dépendants de ces états, où il se trouverait des imprimeries. Cependant l'auteur est libre de le faire imprimer hors les états autrichiens. Vienne, ce 30 novembre 1797. Signé : Oliva. Manu propria"

NOTE manuscrite par un notaire sur la page de titre du premier cahier

ATTESTANT EN 1896 LA PROVENANCE CLÉRY : "Inventaire dressé après le décès de Mme Vve Le Besnier née de Gaillard, dite Cléry de Gaillard, par Me Carré, notaire à Rouen, le treize février mil huit cent quatre vingt seize. Cote première. Pièce unique"

PIÈCE JOINTE :
•portait gravé de Cléry d'après le tableau de Danloux

Le manuscrit a été placé dans une chemise de papier marbré puis dans une boîte de maroquin à grain long orné d'un décor doré d'inspiration néo-classique
PROVENANCE : Jean-Baptiste Cléry -- Mme Édouard de Gaillard, née Cléry -- Mme Le Besnier, sa fille, d'où la vente de 1896 -- acquis en 1972 par André Tissot-Dupont

Le Journal de Cléry est l'un des textes les plus foudroyants de la littérature révolutionnaire. Il met en scène avec une grande sobriété de style un moment tragique de l'histoire de France qui court de la prise des Tuileries le 10 août 1792 au 21 janvier 1793. Le Journal constitue une source irremplaçable sur le procès du Roi. Le livre connut un succès éclatant. Le tirage à 6000 exemplaires de l'édition originale fut vendu en trois jours. L'ouvrage fut sept fois réédité en français la même année, traduit en anglais et en italien.

Jean-Baptiste Cléry, après la mort du Roi le 21 janvier 1793, ne fut définitivement libéré qu'avec Thermidor, le 27 juillet 1794. Madame Royale, seule survivante, quitta la prison du Temple en décembre 1795 pour être échangée et envoyée à Vienne. C'est là que Cléry la rejoint. Il lui lut son Journal et chercha à publier dans la capitale des Habsbourg ce présent "manuscrit au net". En atteste la mention de refus du censeur impérial le 30 novembre 1797. La Cour de Vienne n'éprouvait aucune sympathie pour les Français exilés puisqu'elle signait en même temps la paix avec les révolutionnaires ; elle ne voulait pas donner écho aux malheurs d'un monarque. Cléry s'en fut alors à Blankenburg, en Allemagne, pour lire ce manuscrit et l'offrir au comte de Provence : "Étant parti de Vienne pour me rendre en Angleterre, je passai à Blankembourg dans l'intention de faire hommage au Roi de mon manuscrit". C'est la mention qui clôt l'édition originale du livre en 1798. Il le lut le 21 janvier 1798 au frère de Louis XVI qui, bouleversé, ajouta de sa main le vers de Virgile sur la page du titre du présent manuscrit, donnant ainsi à Cléry une sorte d'imprimatur royal. L'un des textes majeurs de l'histoire de France était né.

Le manuscrit demeura dans la famille jusqu'en 1896 où, à la faveur de l'extinction d'une branche des héritiers de Cléry, il passa en vente à Rouen. P. Le Verdier eut alors accès à la totalité des souvenirs familiaux et put dans un article de la Revue des Questions historiques éclaircir la genèse de ce texte majeur.

Le fidèle Cléry était enfermé avec son maître. L'usage des crayons et du papier leur fut assez vite retiré. Il ne pouvait donc rédiger que des notules. Elles constituent ce que l'on appelle le "manuscrit brouillon" (Le Verdier, p. 275). Ce manuscrit est fragmentaire. Dès 1896, Le Verdier écrivait : "il n'en reste plus que quelques cahiers". À la fin de 1795, Cléry résidait à Strasbourg chez une certaine Mlle Kugler. Elle "lui fit passer à Vienne une copie qu'elle transcrivit sur de minces feuilles de papier" ; ce manuscrit est appelé en 1896 le "Livre-journal de Cléry". Il était tout aussi fragmentaire que sa matrice. Il servit de support au présent "manuscrit au net" que Cléry composa et acheva à Vienne. À la fin de l'automne 1796, il le soumit à la Chancellerie impériale puis au comte de Provence. Ce manuscrit et le succès du livre contribuèrent à donner aux derniers Bourbon la légitimité du malheur.
RÉFÉRENCES : P. Le Verdier, "Les reliques de la famille royale et les descendants de Cléry", Revue des Questions historiques, Paris, juil. 1896, pp. 264-280 -- H. Becquet, Marie-Thérèse de France. L'orpheline du Temple, Paris, Perrin, 2012
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