Lot n° 116

George SAND. 1804-1876. Femme de lettres. L.A.S. "Ton vieux troubadour qui t'aime" [Gustave Flaubert]. Nohant, 21 décembre (1867). 8 pp. in-8, à son chiffre. Longue lettre à Gustave Flaubert. Sand évoque d'abord vigoureusement le discours de...

Estimation : 4 000 / 5 000 €
Adjudication : Invendu
Description
Thiers en faveur du Pape et contre l’unité italienne [auquel Flaubert avait réagi : "Peut-on voir un plus triomphant imbécile, un croûtard plus abject, un plus étroniforme bourgeois !"] :
Enfin ! voilà donc quelqu'un qui pense comme moi sur le compte de ce goujat politique. Ce ne pouvait être que toi, ami de mon cœur. Etroniformés est le mot sublime qui classe cette espèce de végétaux merdoïdes. J’ai des camarades et de bons garçons qui se prosternent devant tout symptôme d'opposition quelqu'il soit et d'où qu'il vienne et pour qui ce saltimbanque sans idées est un Dieu. Ils ont pourtant la queue basse depuis ce discours à grand orchestre. Ils commencent à trouver que c'est aller un peu loin, et peut être est-ce un bien que, pour conquérir la royauté parlementaire, le drôle ait vidé son sac de chiffonnier, ses chats morts et ses trognons de chou devant tout le monde. Cela instruira quelques uns. Oui, tu feras bien de disséquer cette âme en baudruche et ce talent en toile d’araignée ! Malheureusement quand ton livre arrivera, il sera peut être élagué et point dangereux, car de tels hommes ne laissent rien après eux : mais peut-être aussi sera-t-il au pouvoir. On peut s'attendre à tout (…).

Dans son prochain roman [Mademoiselle Merquem], elle exposera une croyance qu'elle adopte pour son usage et qu'elle croit bonne pour le plus grand nombre :
Je crois que l'artiste doit vivre dans sa nature le plus possible. A celui qui aime la lutte, la guerre, à celui qui aime les femmes, l'amour, au vieux qui, comme moi aime la nature, le voyage et les fleurs, les roches, les grands paysages, les enfants aussi, la famille, tout ce qui émeut, tout ce qui combat l’anémie morale. Je crois que l’art a besoin d’une palette débordante de tons doux ou violents suivant le sujet du tableau ; que l'artiste est un instrument dont tout doit jouer avant qu'il ne joue des autres : mais tout cela n'est peut être pas applicable à un esprit de la sorte, qui a beaucoup acquis et qui n'a plus qu'à digérer. Je n'insisterais que sur le point, c'est que l'être physique est nécessaire à l'être moral et que je crains pour toi un jour ou l'autre une détérioration de la santé qui te forcerait à suspendre ton travail et à le laisser refroidir (…).

Elle passera le Jour de l'An avec ses enfants. Maurice est d'une gaîté et d'une invention intarissable. Il a fait de son théâtre de marionnettes une merveille de décors, d'effets, de trucs, et les pièces qu'on joue dans cette ravissante boite sont inouïes de fantastique. La dernière s'appelle 1870. On y voit Isidore avec Antonelli commandant les brigands de la Calabre pour reconquérir son trône et rétablir la papauté. Tout est à l'avenant ; à la fin la veuve Ugènie épouse le grand turc seul souverain resté debout. Il est vrai que c'est un ancien démoc, et on reconnaît qu'il n'est autre que le grand tombeur masqué (…).
Elle parle longuement des représentations, qui durent jusqu'à 2 heures du matin, suivies d'un souper ; Moi, je m'amuse à en être éreintée (…).
Il y a, dans ces improvisations une verve et un laisse raller splendides, et les personnages sculptés par Maurice ont l'air d'être vivants, d'une vie burlesque, à la fois réelle et impossible, cela ressemble à un rêve (…).

Puis Sand fait des portraits affectueux et animés de sa belle-fille Lina, enceinte et de sa petite-fille Aurore ; Mais comme je bavarde avec toi ? Est-ce que tout ça t'amuse ? Je le voudrais, pour qu'une lettre de causerie te remplaçât un de nos soupers que je regrette aussi, moi et qui seraient si bons ici avec toi, si tu n'étais un cul de plomb qui ne te laisses pas entrainer à la vie pour la vie. - Ah ! quand on est en vacances, comme le travail, la logique, la raison semblent d'étranges balançoires (…).
Elle évoque pour finir la "charmante" Juliette Lamber [Juliette Adam] ; la neige et le froid : Nous ne sortons guères, mon chien lui même ne veux pas aller pisser. Ce n'est pas le personnage le moins épatant de la société. Quand on l'appelle Badinguet, il se couche par terre honteux et désespéré, et boude toute la soirée.
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