Lot n° 81

DRIEU LA ROCHELLE (Pierre). L.A.S., Paris 9 mars 1930, à un critique ; 4 pages oblong in-4.

Estimation : 500 / 600
Adjudication : 1 037 €
Description
Longue et intéressante lettre sur Une femme à sa fenêtre. Il le remercie de son analyse du roman, faite « de main de maître », et qui lui fait croire que « je suis un romancier maladroit mais enfin un romancier »… Il fait le vœu de mieux faire la prochaine fois ; déjà, « j’ai fichtrement mieux fait que dans L’Homme couvert de femmes, cette sanglante fausse-couche »… Il répond à quelques reproches particuliers, dont celui de « “gestes assez vulgaires”. Je ne trouve pas du tout vulgaire l’amour d’un homme et d’une femme, surtout dans ce temps de sournois dénigrement que dans leurs innombrables romans répandent nos innombrables pédérastes »… Enfin, il se livre lui-même à une analyse de l’intrigue : « À l’origine, mon roman s’est formé autour d’un problème psychologique : l’amour peut-il vaincre les différences sociales ? Je crois qu’il ne le peut pas : en effet Margot ne part avec Boutros qu’à cause de son relatif voisinage social avec lui. J’ai fait de Boutros un communiste pour ramasser sous ce mot aujourd’hui aussi frappant que le mot chrétien à partir du IIe siècle en Occident toutes les difficultés qu’un homme d’aujourd’hui qui veut et qui pense rencontrer dans un commerce quelconque – d’amour, d’amitié ou de métier – avec tout représentant – par exemple Margot – de la classe dominante, de cette classe anonyme et changeante qui se trouve détenir les leviers du régime capitaliste dont pâtissent toutes les bourgeoisies qu’elles soient de droite ou de gauche. Boutros est un bourgeois révolté et un homme d’action intellectuelle qui essaie de se situer parmi les grands courants de son époque et qui sait que l’Histoire porte et résout toutes les contradictions. Ce livre est en liaison avec Blèche où j’ai montré un journaliste catholique en difficulté avec un autre représentant du système capitaliste, le directeur d’un grand journal «catholique» qui exploite et avilit jour à jour sa pensée. Et je n’ai pas fini. Je me suis éloigné de l’Action Française parce que je l’ai vue impuissante à se désengluer des pattes mielleuses de cet ours horrible du capitalisme qui est une magnifique réussite de la vie et de l’histoire, mais contre lequel la Raison ne doit pas moins mener son éternelle action de contrôle violent. – Ni Boutros ni moi n’avons un mépris du passé qui, en effet, serait niais. C’est le seul point de votre article où je dois vous dire que votre analyse me fait défaut. Au contraire, Boutros adore ce qui dans le passé est vivant – mais intransmissible du moins directement […] il s’incline non sans regret ni douleur devant cette loi historique, qui édicte que pour rompre avec une tradition qui ne s’attache plus qu’à la lettre, comme la présente culture occidentale, il faut risquer des solutions de continuité. En cela, il montre qu’il est un politique. Aux hommes de pensée de maintenir la liaison profonde ; ce que j’essaie de faire derrière son dos puisqu’à Delphes, je lui souffle des paroles de vénération religieuse pour les sources éternelles d’où découlent les diverses civilisations »…
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