Lot n° 44

Joe BOUSQUET. Manuscrit autographe, [Lettres à Isel, 1946] ; 49 pages sur papier ligné du début d’un gros cahier (le reste vierge) à couverture de percaline bleu nuit, titre doré au dos, sous chemise demi-maroquin vert et étui.

Estimation : 4000 / 5000
Adjudication : Invendu
Description
Cahier en partie inédit de réflexions, récits et extraits de lettres de l’écrivain, en marge de sa liaison épistolaire avec Isel [Jacqueline Gourbeyre dit aussi Line ou Linette, voir les Lettres à une jeune fille (Grasset 2008)]. Des notes d’une autre main [Yvonne Patau ?] sur les feuillets de garde, et parfois dans le cours du manuscrit, indiquent que certains textes ont été publiés dans le Joë Bousquet de Michel Maurette (Rodez, Subervie, 1963) et dans Isel (Rougerie, 1979). En tête du cahier, Bousquet inscrit : « La mort ? La mort, c’est l’ombre que fait notre corps sur le sentiment que nous sommes ». « La vie est un bloc d’où nous pouvons tout retirer, un marbre qui se sculpte du dedans. Vous connaîtrez des désenchantements. Il n’est pas un fait qui ne nous déçoive si nous le traversons à la hâte ; si nous le vivons en notre absence. Qu’il faut de temps, de patience et d’amour pour s’introduire avec tout son esprit et tout son cœur dans les événements qui se sont produits à notre portée ! […] Ce que je fais est ma raison d’être, je voudrais l’édifier comme un tout dont nous tenons ensemble les images. C’est un acte de foi dans la poésie dont je voudrais toucher en vous le signe sensible »… (p. 1-4) – « Non, Isel, les femmes et leurs filles ne doivent pas leur liberté aux campagnes des suffragettes. […] Les femmes sont plus sensibles que nous. Entrées avec nous dans un bagne, elles ont naïvement ranimé la lumière qui les abandonnait »… (p. 5-8). – « Mon dessein, je vous l’avouerai. Il vous dépasse, mais je ne l’exécuterai pas sans vous. […] Le secret, c’est que l’homme est fermé à toute sagesse. Plus il est sage, moins il est lui-même. Le plus raisonnable de tous a tout son être en vacances, et vit en quarantaine dans une peau de geôlier. C’est un fou qui se prend pour un aliéné »… (p. 9-11) – « Ce qui est à crier avec rage : faites votre vie au lieu de subir la vie »… (p. 12-14) – « Mais oui, Isel, la société court à sa perte »… (p. 15-17) Texte rubriqué en marge : « Liberté. Intensité apparente d’un individu » : « Il m’est difficile, Isel, de vous satisfaire »… À la fin, Bousquet note (6 octobre 1946) : « Extrêmement mauvais. Il faut que chaque page se laisse embrasser d’un coup d’œil. Plus réduit, plus strict. » (p. 18-20) Toussaint 1946. « À commencer par des faits. / jamais cette femme n’avait pu s’habituer à la maison où son mari avait installé leur ménage »… – « Il n’y a qu’une joie infinie. Il n’est à la créature qu’une joie infinie : celle de devenir tout le bonheur d’un autre être »… – « À minuit, un peu ivre. Est-ce la joie, l’étonnement peut-être. Non… […] Ivre du lendemain »… – « Ne rien nous cacher l’un à l’autre, ce fut une promesse consentie d’enthousiasme »… – « Plus tu aimes ton amie, plus tu dois perfectionner en pensée la vengeance que mériterait la trahison »… – « Vous serez reine Isel. Seule, oubliée et triste »… – « J’ai voulu que ma vie devienne mon être de chair et qu’elle se sensualise sans se viriliser. Entre mon amour et Isel, il n’y a pas de place pour mon corps. […] Je voudrais que tout mon être ne fût dans tous ses actes d’autrefois et de demain que la grâce de s’entrepénétrer et la beauté hors-vie de son corps en même temps que sa douce présence où s’entr’ouvrent mes lèvres. On apprend à être poète comme on apprend la musique. En s’éloignant intérieurement de chaque mot, jusqu’à y voir le son et la couleur dans l’instant qu’ils s’y épousent. Je veux que son langage lui devienne un instrument pour sensibiliser les choses et pour l’en affranchir. Alors, nous serons ensemble, toujours »… (p. 21-35). Le 1er février. « Art de vivre. Un individu est à jamais fermé à ce qu’il est lui-même »… – « Un but, un seul : n’avoir jamais à se payer d’illusions »… – Celle qui ne saura jamais vivre. « Palido est née dans une chambre sans feu et ne s’est jamais réchauffée »… – « Belles minutes trop rares où je suis près de vous sans avoir eu à me reconnaître »… – « Sa vie est l’espoir de vivre : celui, celle que l’on est sont toujours à venir »… – « Comment on fait sa vie ? Mais ai-je fait ma vie ? Ne suis-je pas au contraire l’œuvre d’une vie qui sommeillait dans mon corps nouveau-né comme le chêne dans le germe intérieur du gland ? »… (p. 36-48) Une dernière page ne porte que cette phrase, à l’encre violette : « Il n’y a plus de femme qui s’émeuve : et il faut être émue pour émouvoir. »
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