Lot n° 93

RAMUZ (Charles-Ferdinand). 3 lettres autographes signées à Élie Faure. L'Acacia à Lausanne, 1918‑1919.

Estimation : 400 / 500
Adjudication : 900 €
Description
▬ 28 avril 1918.
« Votre lettre m'arrive avec quelque chose comme deux mois de retard et je tiens à vous en accuser réception, sans être bien sûr que cet accusé de réception vous arrive.

Peut-être ferais-je mieux de le confier au Rhône qui s'attarde longuement sous mes fenêtres avant de reprendre, non loin d'ici, sa grande magnifique course vers la mer : j'use de moyens moins romantiques, quoique peut-être moins sûr : ce que je voulais indiquer par là, c'est nullement notre parenté de situation et de position géographique, qui m'est très chère. Ne me remerciez pas... de ce pauvre petit article : ce n'est rien. Je n'y ai rien indiqué d'essentiel, parce que je n'ai pas su. Et puis c'est aussi que je n'aurais pu le faire sans prendre un ton beaucoup plus personnel qui m'eût été sans doute interdit ; nous avons une pudeur qui nous empêche de toucher publiquement aux choses qui nous sont le plus précieuses ; il faut se comprendre sans s'expliquer.
J'aime... votre ferveur et la qualité surtout de cette ferveur. Vous avez parlé du Midi comme personne n'en a parlé ; c'est que vous appartenez à ce Midi-là et c'est ce Midi-là que j'aime. Et je me flatte, moi aussi, riverain du Rhône, d'y appartenir quelque peu ; vous voyez la correspondance : elle me permet de terminer ce mot comme je l'ai commencé, dans les mêmes intentions, j'en remets la suite à des temps meilleurs (comme on dit) et compte sur eux, en effet, pour que nous nous rencontrions... »

▬ 10 mars 1919.
« Je reçois (très tardivement) mais je reçois quand même votre livre et j'ai hâte de vous remercier de l'amitié que vous m'avez témoignée en pensant à moi dans ma solitude.
Ce que je vous dis très mal ici, j'eusse voulu pouvoir le dire publiquement : j'en suis venu au point que pour des raisons essentielles de divergences d'opinion toute espèce de débouché m'est fermé dans ce pays qui est apparemment le mien.
J'aurais aimé signaler aux quelques personnes que je sais qui vous admirent ici, la nouvelle source de ferveur et d'idées qu'est votre roman. Elles le découvriront bien, j'espère, sans moi. Vous devinez peut-être... l'horreur que j'ai des phrases et combien je m'en voudrais de vous écrire une lettre "d'auteur", vous devinez aussi combien peu je me reconnais le droit de "critiquer" ; toute espèce de livre est pour moi une confrontation d'homme à homme. J'ai l'impression d'être en votre présence et les pensées que nous avons pu échanger sont difficilement exprimables, tellement elles sont nombreuses et complexes, sur une pauvre feuille de papier à lettres. Peut-être aurai-je un jour l'occasion de vous les confier personnellement : permettez-moi de vous en marquer ici la seule "existence" ; c'est peu de chose et c'est beaucoup... »

▬ 20 septembre 1919.
« Je vous suis très reconnaissant de votre envoi.
Je ne m'occupe de cette "revue" que de façon "officieuse" [les Cahiers vaudois, dont il était le principal animateur et contributeur]. Si j'ai consenti pourtant à jouer ce rôle et si M. de Weck [l'écrivain et diplomate fribourgeois René de Weck, alors en poste à Paris, qui tenait une chronique des lettres romandes au Mercure de France], sur ma demande, a pris la liberté de solliciter votre collaboration, c'est que je vois très bien les services qu'une entreprise de ce genre pourrait rendre (surtout en ce moment-ci). Il y a un public considérable de lecteurs, généralement mal renseignés et plus mal dirigés, mais plein de bonne volonté et qui achète et continue d'acheter, malgré la hausse ; beaucoup de jeunes gens susceptibles de se passionner, s'ils en trouvaient l'occasion ; nous représentons malgré tout la France en dehors de ses frontières politiques, ce qui est à considérer ; on parle de la nécessité d'activer les échanges, etc. Je ne fais qu'indiquer le thème ou les thèmes : ils sont nombreux et essentiels. Je suis en tout cas très heureux que votre nom figure un des premiers sur les sommaires, celui du 15 oct. je pense ; et je n'en attendais pas moins de votre générosité (au vrai et plein sens). Nous ne manquerons pas de donner en note toutes les indications nécessaires touchant ce 4ème volume [de l'Histoire de l'art d'Élie Faure, intitulé L'Art moderne, qui paraîtrait en 1921] : je suis très sûr que mes amis s'aideront de leur mieux à le faire connaître (ainsi que leurs aînés) et à le faire lire... »
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