Lot n° 1404

MILHAUD DARIUS (1892-1974) - 30 L.A.S., [vers 1921-1930], à Jacques BENOIST-MÉCHIN ; 38 pages formats divers, la plupart in-4, quelques en-têtes, 2 adresses (cartes postales) et 4 enveloppes.

Estimation : 2500 / 3000
Adjudication : 3 640 €
Description
♦ Belle et intéressante correspondance musicale avec le jeune Jacques Benoist-Méchin (1901-1983).

Le journaliste, historien et musicologue se livrait alors aussi à la composition musicale [voir n° 1305], encouragé en cela par Milhaud, qui recourt aussi à ses services de traducteur, notamment pour la première audition française du Pierrot lunaire de SCHÖNBERG.
Milhaud parle beaucoup de ses propres musiques, notamment pour les Ballets Russes et les Ballets Suédois : Protée, Les Euménides, L'Enfant prodigue, La Création du Monde, Le Train bleu, Machines agricoles, Esther de Carpentras, Christophe Colomb, Maximilien, etc.
Nous ne pouvons en donner ici qu'un aperçu.

La correspondance s'ouvre par un rendez-vous chez Milhaud :
«Apportez le plus possible de votre musique, y compris les oeuvres importantes dont vous me parlez et auxquelles vous travaillez.
Vous savez combien je suis attentif à la génération qui suit la mienne»...

─ D'Aix-en-Provence, fin février 1921,
il invite son «cher ami» à faire à sa place pour Le Monde musical «un article sur le concert de musique étrangère. Je ne veux pas qu'il soit fait par un des Six vu que c'est un concert des Six.
[...] Nous partons pour Rome, POULENC et moi, mardi»...

─ En novembre,
il attend «impatiemment la traduction SCHÖNBERG. Pourvu que les parties séparées arrivent à temps!»...

─ 16 novembre,
il accuse réception de toutes ses traductions, «actuellement entre les mains de WIENER. Je n'ai pas eu le temps de lire les dernières ayant été très peu chez moi à cause de la terrible maladie que vient d'avoir mon amie brésilienne Mme Guerra [épouse du compositeur et musicologue] qui est morte au sanatorium de Buzenval avant-hier soir»...

─ [Début décembre] :
«Nous répétons sur des copies faites ici. N'y aura-t-il pas moyen d'avoir bientôt la grande partition du Pierrot car Wiener se crève les yeux. C'est une oeuvre merveilleuse, d'une sonorité aérienne. C'est vraiment très troublant et toujours tellement expressif, tellement du "coeur". [...] Nous ne jouerons peut-être que les 1e et 2e parties du Pierrot, et ferons une audition intégrale en janvier»...

─ 21 décembre,
«très fatigué» après avoir donné à Lyon une conférence et un concert avec Poulenc et Bathori, il se réjouit : «Pierrot lunaire nous a tous crevés, mais je dois dire que l'exécution était merveilleusement au point. [...] Cela faisait vraiment soirée historique. Mais quel travail cela a été. Nous n'avons pu en mettre d'aplomb que 7.
Nous faisons une audition intégrale le 12 janvier. [...] C'est une musique extraordinaire, d'une clarté et d'une expression qui ne ressemble à rien. Ça rend malade, par le côté un peu nénuphar pourri, un peu Wilde, qui est très sensible là-dedans. La voix ainsi traitée est bouleversante. Les gens se sont aperçus que c'était une chose inouïe. Je suis si heureux que nous ayons pu faire cela - j'y songeais depuis si longtemps»...

─ De retour de sa tournée [en Europe centrale, avec Poulenc et Marya Freund, créatrice en France de Pierrot], il écrit de Malines, 10 mai 1922 : «je suis en plein travail. J'ai dû aller à Paris pour les répétitions de Protée aux concerts Koussevitzky. Le public n'a pas bronché et on a presque bissé la fugue. On ne comprendra jamais rien au public»... Il dirige un petit orchestre à Bruxelles, samedi soir... Il invite son ami à Aix, où il sera pour trois mois, à partir du 1er juin : «vous pourriez faire chanter à l'Exposition des Colonies à Marseille vos choeurs sur le coton et le café. (Morand vous a-t-il envoyé les poèmes?) Mon cher Jacques, votre lettre me fait grand plaisir et je suis heureux de votre amitié, et heureux que vous aimiez ma musique. [...] Mon 5e quatuor a été copieusement éreinté dans la presse. Mes amis l'ont trouvé affreux, surtout Poulenc. J'aurais bien voulu que vous l'entendiez. Un musicien encore beaucoup plus jeune que vous et qui vient quelquefois me voir en sortant du lycée l'a beaucoup aimé, et cela m'a fait plaisir. [...] Malgré que j'adore Renard et Mavra ça m'est tout à fait égal d'en manquer les représentations aux Ballets Russes. Je préfère être tout seul à Aix à travailler»...

─ [Décembre?],
le remerciant de son article :
«La confiance des jeunes est la seule chose qui me touche»... «Vous allez recevoir une lettre de Maxime JACOB. Il y aura une série de conférences avec auditions à la Sorbonne sur la musique contemporaine. La dernière sur les jeunes : il y aura de vos oeuvres avec celles de Désormière, Cliquet, Sauguet et Jacob. [...] Vous devriez donner votre 2e Suite à 4 mains et vos mélodies. Il y aura des oeuvres de SATIE au début pour faire "solidarité" et probablement une chose de moi aussi»... Il termine en évoquant sa cantate [créée le 23 novembre 1922 aux Concerts Wiener] : «Mes camarades détestent L'Enfant prodigue. Les "vôtres" l'adorent. Qu'est-ce que ça veut dire? Moi, je trouve que c'est une de mes meilleures choses»...

─ [Mars 1923], rentré de sa tournée américaine, il écrit chaleureusement : «Vous ne savez pas comme cela me touche que vous vouliez travailler avec moi - et comme cela m'intéresserait de vous faire travailler, car je vous sens si confiant. KOECHLIN est un maître prodigieux en qui on peut s'abandonner complètement. Mais vous savez votre métier et vous avez plutôt besoin de qques conversations d'orchestre, et quelques exercices - puis de travailler. Chaque œuvre doit logiquement appeler son orchestre propre et il faut avoir en mains toutes les techniques instrumentales»... Il indique son emploi du temps pour les mois à venir ; «vraiment voyager est la seule chose qui m'amuse encore un peu»...

Au printemps, il souhaite que l'été vienne le délivrer de la «vie absurde» qu'il mène à Paris : «Je corrige des matériels d'orchestre. Je me dispute avec les Ballets Suédois qui renâclent pour ma percussion. Je vais orchestrer pour jazz mon shimmy pour la séance du Gendarme. J'ai un NÈGRE génial pour le danser. Je vais faire 2 versions, une dure avec clarinette trompette trombone contrebasse jazz et piano, l'autre très douce avec violon saxo­phone banjo contrebasse jazz et piano. Je viens d'absorber une méthode de banjo pour apprendre l'écriture de cet instrument. Et j'ai tant envie de campagne et de travailler à un morceau de musique de chambre dont je ne sais encore ce qu'il sera. Peut-être sonate piano et violon»...

Dans l'été, à Aix, il travaille : «L'orchestration de la Création du Monde m'a pris un temps énorme. Mais j'ai enfin mis au point un problème d'orchestre qui me tracassait depuis 4 ans. À propos d'orchestre, achetez aussi le petit traité de Widor. Il ne quitte pas ma table. Il est merveilleux, clair et court. Je me suis lancé dans les Euménides. Je ne ferai cet été qu'un acte. C'est très délicat et long à orchestrer et je pars vers le 1er septembre en Sardaigne»...

Printemps 1924, il décline une invitation pour sa cousine [et future femme] Madeleine et lui-même, à cause de la première du Train Bleu ; «il est question que je publie mes Machines Agricoles et mes Deux Poèmes de Claudel à l'Universal et je voudrais, dans ce cas, que la traduction fût de vous»...

─ 1925 :
«Je suis encore bien patraque, mais je travaille à Esther de Carpentras réguliè­rement»...

─ En voyage de noces au Proche Orient, il écrit aussi de Beyrouth, le 22 mai 1925, évoquant son itinéraire : Chio, Mytilène, Ithaque, Constantinople, Athènes, Malte, Balbek, Damas, Jérusalem, Le Caire, Naples, Rome...

─ 1er janvier 1928,
corrigeant sa lettre pour passer au tutoiement : «Reviens vite. Marie-toi vite avec ta chère douce Carla, et venez souvent nous voir! Pour l'instant te voilà à la joie d'inventer les gratte-ciel, les Pullmans, les orangers californiens sur­montés des montagnes neigeuses etc. Si tu vas "à Mexique" achète-moi des chansons, des danses. Tâche de me trouver des refrains des soldats de Juarez, pour "notre" Max [...] RAVEL a-t-il eu le mal de mer?»...

─ Le 2 juin suivant, d'Aix, il écrit :
«Nous n'allons pas à Brangues. Je suis enchaîné par Christophe, et ne puis bouger. [...] je préfère voir Cacique [CLAUDEL] tranquillement plus tard quand mon travail sera plus avancé»... - Il annonce l'achèvement de son opéra :
«Ça va très bien. Colomb est fini - à part un petit entracte que nous avons décidé d'ajouter Cacique et moi. Aussi je ne fais rien. Je vais faire la version anglaise à l'encre rouge»... Il fait des voeux pour L'Europe nouvelle : «Dès qu'un orchestre lapon viendra, j'enverrai un article. Tâche de travailler la musique très peu à la fois mais régulièrement. C'est une question d'organisation pour le travail. Je n'ai pas encore le livret modifié de Maximilien. Rien ne presse d'ailleurs. Il y a C.C. à recopier puis à orchestrer. Cela meublera mon hiver»... Etc.
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