Lot n° 206

ROUSSEAU JEAN-JACQUES (1712-1778). CORRESPONDANCE de 61 lettres autographes, 1754-1758, à la Marquise d’ÉPINAY ; environ 110 pages la plupart in-8 (ou in-4 et in-12), 42 adresses avec quelques cachets de cire rouge (rousseurs, petites...

Estimation : 200 000 - 250 000 €
Adjudication : 240 500 €
Description
déchirures à 2 lettres par bris du cachet), chaque lettre montée sur onglet sur des feuillets de papier vélin fort, le tout relié en un volume in-4 (26 x 21 cm), plats souples en huit lames articulées de bois d’acajou, bordés en gouttière d’une baguette d’ébène, pièces d’attaches trapézoïdales en galuchat noir, appuyées en tête et queue sur une pièce polygonale d’ébène bouchardée, couture sur deux nerfs noirs, dos requin noir, doublures de nubuck châtaigne, gardes de papier noir (signé J. de Gonet 2002).

► Importante correspondance de Jean-Jacques Rousseau à son amie et protectrice Madame d’ÉPINAY, qui accueillit Rousseau à son château de la Chevrette et le logea dans l’Ermitage près de Montmorency, jusqu’à leur brouille et rupture.

[Louise-Florence-Pétronille TARDIEU D’ESCLAVELLES, Marquise d’ÉPINAY (1726-1783) femme de lettres, amie des philosophes, avait épousé en 1745 le fermier général Denis-Joseph Lalive d’Épinay, mais le mariage fut un échec ; elle devint vite la maîtresse de Louis Dupin de Francueil, qui lui présenta Jean-Jacques Rousseau, puis celle du Baron von GRIMM. En 1755, ayant finalement renoncé à retourner s’établir en Suisse, Rousseau accepta l’hospitalité de Mme d’Épinay, d’abord dans son château de la Chevrette, dont il devint un familier, puis dans le petit pavillon de l’Ermitage à Montmorency, dépendant du domaine de la Chevrette, où il s’installa le 9 avril 1756 avec sa compagne Thérèse LEVASSEUR et la mère de celle-ci. C’est là qu’il commença l’écriture de La Nouvelle Héloïse. En janvier 1757, Sophie de La Live Comtesse d’HOUDETOT, belle-sœur de Mme d’Épinay, vint rendre à visite à Rousseau, qui éprouva pour elle une très vive passion dont on trouve des échos dans La Nouvelle Héloïse. La jalousie du Marquis de Saint-Lambert, amant officiel de Mme d’Houdetot, et les indiscrétions de Grimm et Mme d’Épinay provoquèrent de vives tensions ; il y eut également la brouille avec DIDEROT, au sujet de Mme Levasseur, puis à l’occasion du voyage de Mme d’Épinay à Genève où il voulait que Diderot l’accompagnât, et enfin les griefs confiés par Rousseau à Diderot, qui contribuèrent à la brouille définitive avec Mme d’Épinay en décembre 1757. Rousseau quitta alors l’Ermitage et s’installa à Mont-Louis.
•Ces lettres s’échelonnent entre 1754 (1 lettre), 1755 (3 lettres), 1756 (31 lettres), 1757 (25 lettres), février 1758 (1 lettre). Cet ensemble de 61 lettres, sur les 69 recensées, avait été conservé par Madame d’Épinay dans un dossier, à côté du manuscrit d’un roman autobiographique inachevé (qui sera publié par Brunet comme ses Mémoires). Les lettres furent d’abord acquises en 1817 des héritiers de Lecourt de Villière, le dernier secrétaire de Grimm en France, par le bibliographe Jacques-Charles Brunet qui prépara avec son ami Parison l’édition des pseudo-Mémoires de Madame d’Épinay citant une trentaine de ces lettres, et donnant, à la suite du texte des « Mémoires », 22 autres lettres (Mémoires et correspondance de Madame d’Épinay, 1818).
L’ensemble fut publié dans la Correspondance générale de Rousseau (éd. Th. Dufour, 1924-1934), dans la Correspondance complète (éd. R.A. Leigh, 1965-1998), puis dans les Lettres (éd. J.-D. Candaux, F. Eigeldinger, R. Trousson, 2012).
Le classement des lettres dans le recueil suit l’ordre chronologique, mais les redatations des éditeurs des Lettres l’ont quelque peu modifié depuis ; ausssi nous donnons pour chaque lettre entre crochets le numéro de l’édition des Lettres (tome I) suivi de sa place dans le manuscrit.]
─ Ce Dim. matin [26 mai 1754] [120/1]. « Voilà mon maitre et consolateur Plutarque. Gardez-le sans scrupule aussi longtems que vous le lirez mais ne le gardez pas pour n’en rien faire, et sur tout ne le pretez à personne, car je ne veux m’en passer que pour vous ». Il la prie de verser à Mlle LEVASSEUR « l’argent de sa robe […] car elle a de petites emplettes à faire avant nôtre depart. Faites moi dire si vous etes delivrée de vôtre colique et de vos tracas domestiques et comment vous avez passé la nuit. Bonjour, ma Dame et amie ».
─ Ce Jeudi matin [25 décembre 1755] [182/2]. Il obéit à Madame et n’enverra pas sa lettre au Comte de Lastic qui « peut desormais voler le Beurre de toutes les bonnes femmes de Paris, sans que je m’en fache ». Quant aux ordonnances de TRONCHIN, « vôtre expérience me les rend furieusement suspectes ; il a tant de reputation qu’il pourroit bien n’être qu’un charlatan. […] Quoi qu’il en soit j’approuve beaucoup le parti que vous avez pris de vous en tenir à son régime et de laisser ses drogues. C’est en général, tout l’usage que vous devriez faire de la medecine »...
─ [Fin décembre 1755] [186/6]. Il signale un emploi vacant aux douanes de Grenoble (avec note de la main de Thérèse Levasseur sur la p. 3), et s’inquiète de la santé de Madame, lui recommandant « toujours le ménagement : car je trouve qu’en general on prend trop de précautions dans les autres tems et jamais assés dans les convalescences. Pour moi je ne vaux pas la peine qu’on en parle »...
─ 1756. Ce vendredi [janvier-février] [188/52]. « J’apprends que vous continuez de souffrir, et j’ai à ressentir vos maux et les miens. […] Bonjour, Madame, nous souffrons tous deux et je suis triste. Avec tout cela, je sens en pensant à vous, combien c’est une consolation douce d’avoir un véritable ami, il n’y a plus que cela qui m’attache à la vie ».
─ Ce Vendredi [janvier-février] [189/29]. « Si vous connoissiez l’état de mon ame, vous verriez que vous n’etes pas de nous deux celle qui a le plus besoin de voir l’autre. Ne prenez pas encore ceci pour une déclaration mais bien pour le sentiment tendre et douloureux d’un cœur flétri qui a besoin de trouver dans celui d’un ami des consolations à l’amitié perdue. Ma santé se délabre de jour en jour davantage »…
─ [Janvier-février] [190/3]. « Quelque impatience que j’aye de sortir pour aller vous quereller, il faut, Madame, que je garde encore la chambre malgré moi, pour une maudite fluxion sur les dents qui me désole »...
─ [Janvier-février] [191/4], au dos de la lettre de Mme d’ÉPINAY à Rousseau s’inquiétant de sa santé : « Le plaisir de vivre avec vous me manque, voila mon plus grand mal et mon seul besoin. […] Je souffre plus d’incommodité que de vraye douleur, mais je ne puis sortir dans cet état. […] Je ne puis vous dire combien de consolation je trouve dans nos dernières conversations »...
─ Ce Jeudi [4 mars ?] [196/8]. Il la prie de lui prêter pour Mme DUPIN de Chenonceaux le Poème de la Religion naturelle de VOLTAIRE ; mais il ne sait où trouver celui « sur le tremblement de terre » de Lisbonne. Il envoie, avec un air de musique copié, « la reverence de l’ours » (sobriquet que lui avait donné Mme d’Épinay)…
─ Ce mardi [9 mars ?] [197/5]. Il la conjure de ne plus lui envoyer le Dr Malouin : « ne vous joignez pas à ces importuns amis qui pour me faire vivre à leur mode me feront mourir de chagrin. En vérité je voudrois être au fond d’un désert quand je suis malade ». Puis il évoque la visite de SAINT-LAMBERT... « Ainsi j’ai le bonheur de rassembler autour de moi tout ce que je voudrois fuir et d’écarter tout ce que je voudrois voir. Cela n’est assurément ni fort heureux ni fort adroit. Au reste je n’ai pas même entendu parler de DIDEROT. Que de vocations pour ma solitude et pour ne plus voir que vous »...
─ [Mi-mars] [198/10], après la proposition faite par Théodore Tronchin d’un poste de bibliothécaire à Genève : « votre amitié pour moi y met un obstacle qui me paroit plus que jamais difficile à surmonter, mais vous avez plus consulté votre cœur que votre fortune et mon humeur dans l’arrangement que vous me proposez ; cette proposition m’a glacé l’ame ; que vous entendez mal vos intérêts de vouloir faire un valet d’un Ami […] Je ne suis point en peine de vivre ni de mourir : mais le doute qui m’agite cruellement c’est celui du parti qui durant ce qui me reste à vivre peut m’assurer la plus parfaite indépendance. […] Je la cherche avec plus d’ardeur que jamais […] les plus grandes probabilités sont pour mon païs, mais je vous avoue que je la trouverois plus douce auprès de vous. […] ce ne seront pas des raisons d’intérest qui me détermineront, parce que je n’ai jamais craint que le pain vint à me manquer et qu’au pis aller je sais comment on s’en passe. Je ne refuse pas, au reste, d’écouter ce que vous avez à me dire pourvu que vous vous souveniez que je ne suis pas à vendre »…

─ [Mi-mars] [199/11] : « je ne puis souffrir que vous me croyez fâché […] Je n’ai pris le mot de valet que pour l’avilissement où l’abandon de mes principes jetteroit necessairement mon ame […] L’indépendance que j’entens n’est pas celle du travail ; je veux bien gagner mon pain, j’y trouve du plaisir ; mais je ne veux être assujeti à aucun autre devoir si je puis. […] Je n’engagerai jamais aucune portion de ma liberté ni pour ma subsistance ni pour celle de personne. Je veux travailler mais à ma fantaisie, et même ne rien faire quand il me plaira sans que personne le trouve mauvais hors mon estomac. […] Apprenez mieux mon dictionnaire, ma bonne amie si vous voulez que nous nous entendions »...
─ Ce mardi [23 mars ?] [200/12]. Il ira « passer les fêtes de Pâques à l’hermitage », mais redoute un déménagement.
─ Ce Jeudi [25 mars ?] [201/13]. Il doit dîner chez le Baron [d’HOLBACH]. « Occupé des moyens de vivre tranquille dans ma solitude, je cherche à convertir en argent tout ce qui m’est inutile, et ma musique me l’est encore plus que mes livres », et il va la lui envoyer : « Vous y choisirez tout ce dont vous pourrez me défaire, et je tâcherai de mon côté de me défaire du reste. Je ne puis vous dire avec combien de plaisir je m’occupe de l’idée de ne plus voir que vous ».
─ [29 mars ?] [204/15], au dos d’une lettre de Mme d’ÉPINAY à « mon ours » à laquelle il répond, au sujet de la vente de papier et de musique, et d’un envoi de livres.
─ [31 mars ?] [205/16]. « Quoique mon parti soit bien pris, je suis jusqu’à mon délogement dans un état de crise qui me tourmente. Je desire passionnément de pouvoir aller m’établir de samedi en huit »...
─ Ce samedi [3 avril] [206/14] : « je suis horriblement occupé de mon démenagement ce qui n’arriveroit pas s’il étoit composé d’objets plus considérables et que soixante bras s’en occupassent pour moi »…
─ [13 avril] [207/17], sur son installation à l’Ermitage. « Quoique le tems me contrarie depuis mon arrivée ici, je viens de passer les trois jours les plus tranquilles et les plus doux de ma vie. Ils le seront encore plus quand les ouvriers qu’occupe mon luxe ou vôtre sollicitude seront partis. Ainsi je ne serai proprement dans ma solitude que d’ici à deux ou trois jours : en attendant je m’arrange, non selon la morale turque qui veut qu’on ne s’établisse ici bas aucun domicile durable, mais selon la mienne qui me porte à ne jamais quitter celui que j’occupe. Vous me trouverez rangé délicieusement, à la magnificence près que vous y avez mise et qui toutes les fois que j’entre dans ma chambre me fait chercher respectueusement l’habitant d’un lieu si bien meublé ». Il savoure « les beautés de mon habitation et les charmes d’une entière liberté. Mais en me promenant ce matin dans un lieu délicieux j’y ai mis mon ancien ami DIDEROT à côté de moi et en lui faisant remarquer les agrémens de la promenade je me suis apperçu qu’ils s’augmentoient pour moi-même […] Malgré la barbe de l’hermite et la fourrure de l’ours trouvez bon que je vous embrasse »...
─ A l’hermitage ce lundi 19 [avril] [208-18]. Son séjour le charme de plus en plus. Il donne des instructions pour finir son déménagement, et évoque une histoire de linge taché par une bouteille d’encre. Il prie son amie de « continuer à raffermir tellement vôtre santé que quand vous serez à la Chevrette vous puissiez venir frequemment à l’hermitage chercher un ami et la solitude. Je vous montrerai des promenades délicieuses que j’en aimerai davantage encore quand une fois vous les aimerez. Vôtre conseil est bon et j’en userai désormais, j’aimerai mes amis sans inquietude, mais sans froideur. Je les verrai avec transport, mais je saurai me passer d’eux. Je sens qu’ils ne cesseront jamais de m’être également chers, et je n’ai perdu pour eux que cette délicatesse excessive qui me rendoit quelquefois incomode et presque toujours mécontent. Au surplus je n’ai jamais douté des bonnes resolutions de DIDEROT, mais il y a loin de sa porte à la mienne et bien des gens à grater en chemin. Je suis perdu s’il s’arrange pour me venir voir, cent fois il en fera le projet et je ne le verrai pas une. C’est un homme qu’il faudroit enlever de chez lui et le prendre par force pour lui faire faire ce qu’il veut »...
─ Ce mardi au soir [20 avril] [209/30], s’inquiétant pour l’état des affaires de son amie.
─ Ce samedi 1er may [210/31]. « Je viens de courrir les bois à la rosée et j’ai l’onglée, ainsi je ne vous écris qu’un mot pour vous dire que je suis bien aise que vous vous portiez bien, que je me porte passablement aussi, que nous vous remercions tous »...
─ Ce Dim. matin [été-automne ?] [219/44]. « J’envoye, Madame, savoir si vous êtes de retour en bonne santé. Je ne vais point vous voir aujourdui parce que vous avez ordinairement du monde le dimanche. Mais je vous verrai demain, s’il fait beau et que vous me fassiez dire que vous n’aurez personne »...
─ [Été-automne ?] [220/20]. « Je suis beaucoup mieux aujourd’hui mais je ne pourrai cependant vous voir que la semaine prochaine, et j’irai fièrement à pied, car cet appareil de carrosse me fait mal à l’imagination, comme si je pouvois manquer de jambes pour vous aller voir »...
─ Ce mercredi [été-automne ?] [221/53]. « Quoique je ne craigne pas la chaleur, elle est si terrible aujourdui que je n’ai pas le courage d’entreprendre le voyage au fort du soleil. Je n’ai fait que me promener à l’ombre autour de la maison et je suis tout en nage. Ainsi je vous prie de témoigner mon regret à mes prétendus confrères, et comme depuis qu’ils sont Ours je me suis fait galant, trouvez bon que je vous baise très respectueusement la main »...
─ [Été-automne ?] [222/35]. « Je voulois vous aller voir jeudi, mais le tems qu’il fit gâta tellement les chemins qu’ils ne sont pas encore essuyés, je compte pourtant s’il fait beau tenter demain le voyage. […] je suis inquiet de vôtre situation de corps et d’esprit. Bon jour ma Dame et amie, j’aspire à ces momens de tranquillité où vous aurez le tems de m’aimer un peu »...
─ Ce Dimanche matin [septembre ?] [224/43]. « Comme j’espère vous aller voir dans la semaine, j’aurai bientôt la consolation d’achever avec vous cet entretien. Au reste vous savez que le Philosophe [DIDEROT] m’est venu voir », ainsi que M. d’Épinay. Il envoie deux copies du Salve Regina… « Vous prenez continuellement les eaux, il me semble qu’il seroit bientôt tems de changer de régime pour reprendre un peu de forces : mais [citant un vers de Voltaire]
Je ne suis qu’un soldat et je n’ai que du zèle
et je sens bien que mes ordonnances de medecine ne doivent pas avoir plus d’autorité que mes livres de morale »...
─ [Mi-septembre ?] [227/21]. « Je suis arrivé saussé et à une heure de la nuit, mais du reste sans accident, et je vous remercie de vôtre inquiétude ». Il dénonce le jardinier qui « a encore emporté ce matin des pêches au marché de Montmorenci. On ne peut rien ajouter à l’effronterie qu’il met dans ses vols, et bien loin que ma présence ici le retienne, je vois très évidemment qu’elle lui sert de raison pour porter chez vous encore moins de fruit qu’à l’ordinaire ». Il conseille à Mme d’Épinay de le congédier…
─ [17 septembre] [228/22]. Il est déterminé à passer l’hiver à l’Ermitage : « Il m’est essentiel d’avoir du loisir, de la tranquilité, et toutes mes comodités pour travailler cet hiver, il s’agit en cela de tout pour moi, et il y a cinq mois que je travaille à pourvoir à tout, afin que nul soin ne vienne me détourner. Je me suis pourvu de bois, j’ai fait mes provisions, j’ai rassemblé, rangé des papiers et des livres pour être comodément sous ma main. J’ai pourvu de loin à toutes mes aises en cas de maladie. Je ne puis avoir de loisir qu’en suivant ce projet, et il faudra necessairement que je donne à m’arranger le tems que je ne puis me dispenser de donner à mon travail. […] dans la position où je suis, mon tems, et mes comodités me sont plus précieux que ma vie »...
─ Ce Lundi [20 septembre] [229/19]. Il a congédié le jardinier voleur. Il attend DIDEROT, et a reçu « une lettre obligeante de VOLTAIRE »…
De l’hermitage, ce je ne sais pas quantième [automne ?] [230/46], faisant allusion à La Nouvelle Héloïse : « Ce que vous me recommandez étoit tout à fait superflu. Les Ecos de mes bois sont discrets, j’ai pour l’ordinaire peu de choses à leur dire, et de ce peu je ne leur en dis rien du tout. Le nom de Julie et le vôtre sont les seules choses qu’ils sachent répéter »...
─ De l’hermitage à 10 heures du matin [25 ou 26 novembre] [231/25]. « Il fait ici un froid rigoureux qui vient altérer un peu de bonne heure ma provision de bois mais qui me montre par l’image prématurée de l’hiver que, quoi qu’on en dise, cette saison n’est plus terrible ici qu’ailleurs que par l’absence des amis ; mais on se console par l’espoir de les retrouver au printems, ou du moins de les revoir car il y a longtemps que vous me faites connoitre qu’on les retrouve au besoin dans toutes les saisons. Pour Dieu gardez bien cette chère imbecillité, trésor inatendu dont le ciel vous favorise et dont vous aviez grand besoin, car si c’est un rhumatisme pour l’esprit, c’est au corps un très bon emplastre pour la santé ; il vous faudroit bien de pareils rhumatismes pour vous rendre impotente, et j’aimerois mieux que vous ne pussiez remuer ni pied ni patte, c’est à dire n’écrire ni vers ni comedie, que de vous savoir la migraine »… Il se plaint de n’avoir ni almanach ni pendule, et termine en plaisantant sur le « cotillon » qu’elle lui a envoyé [« un petit jupon de dessous de flanelle d’Angleterre qu’elle me marquoit avoir porté », Les Confessions, Pléiade, t. I, p. 437] : « J’ai pourtant quelques peurs qu’il ne me tienne un peu trop chaud, car je n’ai pas accoutumé d’être si bien fourré ».
─ Ce mercredi &c. [1er décembre] [232/23]. Amusante lettre. « Passe pour le Cotillon, mais le sel ! Jamais femme donna-t-elle à la fois de la chaleur et de la prudence. À la fin vous me ferez mettre mon bonnet de travers, et je ne le redresserai plus »… Elle a vu « l’homme [DIDEROT]. C’est toujours autant de pris ; […] quant à moi, je pense que le Diderot du matin voudra toujours vous aller voir et que le Diderot du soir ne vous aura jamais vüe. Vous savez bien que le rhumatisme le tient aussi quelquesfois, et que quand il ne plane pas sur ses deux grandes ailes auprès du soleil on le trouve sur un tas d’herbe perclus de ses quatre pattes »… Il raille les plans de Mme d’Épinay pour ses comédies : « Encore de nouveaux plans ? Diable soit fait des plans, et plan plan relantanplan. C’est sans doute une fort belle chose qu’un plan, mais faites des détails et des scènes théâtrales, il ne faut que cela pour le succès d’une pièce à la lecture, et même quelquesfois à la représentation »… Etc.
─ Ce mardi au soir [7 décembre] [233/24]. Demande de nouvelles. « Made [Dupin] de Chenonceaux a passé ici la journée ; elle vient de partir au flambeau »...
─ [9 ou 16 décembre] [234/36]. Sur la fille de Mme d’Épinay. « Que signifient ces chagrins pour un enfant de six ans dont il est impossible de connoitre le caractère. Tout ce que font les enfans tant qu’ils sont au pouvoir d’autrui ne prouve rien, car on ne peut jamais savoir à qui en est la faute ; c’est quand ils n’ont plus ni nourrisse, ni gouvernantes, ni précepteurs qu’on voit ce que les a faits la nature, et c’est alors que leur véritable éducation commence »… Il a eu « de grands maux d’estomac pour avoir eu la presomption de vivre en paysan et manger des choux au lard plus qu’à moi n’appartenoit »...
─ [20 décembre] [235/26]. Il espère qu’on a congédié les médecins de GAUFFECOURT : « Qui pourroit tenir au supplice de voir assassiner chaque jour son ami sans y pouvoir porter remède ; eh pour l’amour de Dieu balayez moi tout cela, et les Comtes, et les Chevaliers, et les Abbés, et les belles Dames, et le Diable qui les emporte tous. […] quant à moi, je suis très persuadé que je ne retournerai jamais à Paris que pour y mourir »...
─ [26 ou 27 décembre] [237/33]. Il ia la voir : « Songez à me bien carresser demain ; cela me fera oublier combien je suis malingre et me donnera plus de force pour embrasser notre pauvre ami »...

─ 1757. Ce mardi au soir [4 janvier] [239/32], demandant des nouvelles de Gauffecourt. « Nous sommes tous malades ici de rhume et de fièvre »…
─ Ce mardi au soir [11 janvier] [240/28]. Il a eu des nouvelles par Mme d’HOUDETOT. « En attendant que les remèdes de M. Tronchin vous soient utiles, vous ne perdez pas vôtre tems à les prendre puisqu’ils sont agréables à prendre ; c’est un tour d’ami dont les médecins ne s’avisent guères »...
─ [18 janvier] [241/27]. « Nous sommes ici trois malades dont je ne sais pas celui qui aurait le moins besoin d’être gardé ». Il va venir à Paris. « Je choisis d’aller dîner avec vous et coucher chez DIDEROT. Je sens aussi parmi tous mes chagrins une certaine consolation à passer encore quelques soirées paisibles avec notre pauvre ami »...
─ Ce Lundi matin [31 janvier] [243/34]. « Vôtre fièvre m’inquiète, car foible comme vous êtes, vous n’êtes guères en état de la supporter longtems. J’imagine que si elle continue, M. Tronchin vous ordonnera le quinquina, car à quelque prix que ce soit il faut vous débarasser de ce mauvais hôte. Moi, j’ai fait heureusement mon voyage, mais j’ai actuellement une forte migraine »...
─ Ce mercredi 16 [février] [245/9]. « Je vous jure que je vous ferois volontiers mettre à la Bastille si j’étois sur d’y pouvoir passer six mois avec vous tête à tête ; je suis persuadé que nous en sortirions tous deux plus vertueux et plus heureux. […] Ne vous tracassez point l’esprit de chimères, livrez vous aux sentimens honnêtes de vôtre bon cœur, et en dépit de vos sistèmes vous serez heureuse »...
─ A l’hermitage le 13e mars [247/37]. Première brouille avec DIDEROT qui a « écrit une lettre qui m’a percé l’ame. Il m’y fait entendre que c’est par grace qu’il ne me regarde pas comme un scelerat, et qu’il auroit bien à dire là-dessus […] Parce que Made LE VASSEUR est avec moi. Eh bon Dieu que diroit-il de plus si elle n’y étoit pas ? Je les ai recueillis dans la rüe, elle et son mari, dans un age où ils n’étoient plus en état de gagner leur vie, elle ne m’a jamais rendu que trois mois de service, depuis dix ans je m’ôte pour elle le pain de la bouche ; je l’amêne dans un bon air où rien ne lui manque ; je renonce pour elle au séjour de ma patrie. Elle est sa maîtresse absolue, va, vient sans compte rendre, j’en ai autant de soin que de ma propre mère ; tout cela n’est rien, et je ne suis qu’un scélérat […] Philosophes des villes, si ce sont là vos vertus, vous me consolez bien de n’être qu’un méchant. J’étois heureux dans ma retraite, la solitude ne m’est point à charge, je crains peu la misère, l’oubli du monde m’est indifférent, je porte mes maux avec patience ; mais aimer, et ne trouver que des cœurs ingrats, ah voilà le seul qui me soit insupportable ! »…
─ Ce mercredi au soir [16 mars] [249/38]. Rousseau conte le drame familial quand il a dit à Mme Levasseur qu’elle devait aller vivre à Paris avec sa fille : « Là dessus la fille s’est mise à pleurer, et malgré la douleur de se séparer de sa mère, elle a protesté qu’elle ne me quiteroit point, et en vérité les philosophes auront beau dire, je ne l’y contraindrai pas. […] Ce qu’il y a de plus affreux pour moi, c’est que la bonne femme s’est mise en tête que tout cela est un jeu joüé entre Diderot, moi, et sa fille, et que c’est un moyen que j’ai imaginé pour me défaire d’elle. […] Il y a quinze jours que nous vivions paisiblement ici et dans une concorde parfaite. Maintenant, nous voilà tous allarmés, agités, pleurant, forcés de nous séparer »... Si DIDEROT vient le voir, « il sera reçu avec honnêteté, mais mon cœur se fermera devant lui et je sens que nous ne nous reverrons jamais. Peu lui importe ; ce ne sera pour lui qu’un ami de moins. Mais moi, je perdrai tout, je serai tourmenté le reste de ma vie. […] je n’ai point un cœur qui sache oublier ce qui lui fut cher. Évitons s’il se peut une rupture irréconciliable »...
─ Ce mercredi [16 mars] [250/39]. « Je n’ai rien à répondre à ce que vous me marquez des bonnes intentions de DIDEROT, qu’une seule chose […] Il connoit mon caractère emporté et la sensibilité de mon ame. Posons que j’aye eu tort ; certainement il étoit l’aggresseur, c’étoit donc à lui à me ramener par les voyes qu’il y savoit propres. Un mot, un seul mot de douceur me faisoit tomber la plume de la main, les larmes des yeux et j’étois aux pieds de mon ami. Au lieu de cela, voyez le ton de sa seconde lettre ; voyez comment il racomode la dureté de la première. […] Diderot est maintenant un homme du monde. Il fut un tems où nous étions tous deux pauvres et ignorés et nous étions amis. J’en puis dire autant de GRIMM. Mais ils sont devenus tous deux des gens importans, j’ai continué d’être ce que j’étois et nous ne nous convenons plus »...
─ Ce jeudi [17 mars] [251/40]. Rousseau a reproduit cette lettre dans Les Confessions (Pléiade, t. I, p. 457). Il n’enverra pas sa lettre à DIDEROT, puisque Mme d’Épinay s’y oppose. « Mais me sentant très grièvement offensé, il y auroit, à convenir d’un tort que je n’ai pas, une bassesse et une fausseté que je ne saurois me permettre et que vous blâmeriez vous même sur ce qui se passe au fond de mon cœur. […] N’espérez pas l’empêcher de venir […] Il s’excedera pour venir à pied me répéter les injures qu’il me dit dans ses lettres. Je ne les endurerai rien moins que patiemment ; il s’en retournera être malade à Paris, et moi, je paroitrai à tout le monde un homme fort odieux. Patience ! il faut souffrir »…
─ Ce vendredi au soir [18 mars] [252/41]. Il a été incommodé : « j’y ai beaucoup gagné ; car j’ai toujours remarqué que les maux du corps calment les agitations de l’ame ». Il a besoin [pour la documentation de La Nouvelle Héloïse] du Voyage de l’amiral ANSON, que doit avoir d’HOLBACH… « Bon jour, ma bonne Amie, je suis touché de vos soins pour me rendre le repos, le malheur est que personne n’en dira à Diderot autant que vous m’en avez dit, et qu’en vérité il est bien dur de porter en toute occasion les torts de nos amis et les nôtres »...
─ Ce samedi 26 [mars] [254/42]. Longue lettre sur la brouille avec DIDEROT. « Vous devez être aussi ennuyée de cette longue tracasserie que j’en suis excédé »… Il veut lui faire sa « déclaration sur ce que j’exige de l’amitié et sur ce que j’y veux mettre à mon tour. […] Premièrement ; je veux que mes amis soient mes amis, et non pas mes maitres ; qu’ils me conseillent sans prétendre me gouverner ; qu’ils ayent toutes sortes de droits sur mon cœur, aucun sur ma liberté. […] Qu’ils me parlent toujours librement et franchement ; ils peuvent me tout dire : Hors le mépris, je leur permets tout. […] Leurs grands empressemens à me rendre mille services dont je ne me soucie point, me sont à charge ; j’y trouve un certain air de supériorité qui me déplait […] mon cœur n’a pas un instant de relâche, et les duretés d’un ami me donnent dans un jour des années de douleurs. En qualité de malade, j’ai droit aux ménagemens que l’humanité doit à la foiblesse et à l’humeur d’un homme qui souffre […] Je suis pauvre, et il me semble que cet état mérite encore des égards. […] Mais ma chère amie, parlons sincèrement, me connaissez vous des amis ? Ma foi, bien m’en a pris d’apprendre à m’en passer. Je connois force gens qui ne seroient pas fâchés que je leur eusse obligation, et beaucoup à qui j’en ai en effet ; mais des cœurs dignes de répondre au mien ; ah, c’est bien assés d’en connoitre un. Ne vous étonnez pas si je prends Paris toujours plus en haine. Il ne m’en vient rien que de chagrinant, hormis vos lettres. On ne m’y reverra jamais »...
─ Ce samedi [16 avril] [256/47]. Demande de nouvelles de son amie, de sa fille, de Grimm…
Ce jeudi [21 avril] [257/45]. Le mauvais temps l’a retenu d’aller la voir, « outre que l’ours ne quite pas volontiers les bois. J’irai demain vendredi diner avec vous s’il ne pleut pas dans l’intervalle et que vous me fassiez dire que vous y serez et que vous n’aurez point d’étrangers »…
─ Ce 4 may [258/48]. Il aura bientôt le plaisir de la revoir « et c’est alors que les beaux jours seront tout à fait revenus, surtout s’il est vrai, comme j’ai lieu de l’espérer, que vous viendrez en goûter quelques uns de ceux de l’hermitage »...
─ Ce Dim. matin [29 mai] [259/49]. « Voila, Madame, les premices de vôtre hermitage à ce que dit le jardinier. […] Bonjour, Madame, aimez-moi hermite autant que vous m’aimiez ours, autrement je quitte mon froc et je reprends ma peau ».
─ A l’hermitage ce vendredi [12 août] [262/54]. « Je suis, ma chère amie, toujours malade et chagrin ; on dit que la philosophie guerit ce dernier, pour moi je sens que c’est elle qui le donne, et je n’avois pas besoin de cette découverte pour la mépriser. Quant aux maux, on les supporte avec de la patience, mais je n’en ai qu’en me promenant »… Il évoque l’échange de son portrait par « le Theologien la Tour » [Maurice Quentin de LA TOUR] contre celui de Mme d’Épinay… Il attend le retour de son amie après l’accouchement de Mme d’Holbach : « c’est une chose terrible que depuis que les femmes se mêlent de faire des enfans, elles ne sachent pas encore accoucher toutes seules ».
─ Ce mardi 16 [août] [263/55]. Il lui envoie « de la musique de Malade » [motet pour la dédicace de la chapelle de la Chevrette], et attend avec impatience le retour de son amie : « Bonjour, la mère aux ours, vous avez grand tort de n’être pas ici, car j’ai le museau tout frais tondu ».
A l’hermitage ce 23 [août] [264/56]. Il est inquiet d’être sans nouvelles…
─ Ce mardi [30 août ?] [265/52]. « Je ne souffris jamais tant de mes maux que je fais depuis quelques jours. Tout le monde à commencer par moi-même m’est insupportable ; je porte dans le corps toutes les douleurs qu’on peut sentir, et dans l’âme les angoisses de la mort »…
─ Ce mercredi [31 août] [266/50]. [Cette lettre et la suivante sont les réponses de Rousseau aux billets de Mme d’Épinay lors de la « journée des cinq billets », à propos des calomnies sur l’amour de Rousseau pour Mme d’Houdetot ; voir Les Confessions (Pléiade, t. I, p.49-453, où les lettres sont citées).] « Je ne puis rien vous dire encore ; j’attends d’être mieux instruit, et je le serai tôt ou tard. En attendant soyez sure que l’innocence outragée trouvera un deffenseur assés ardent, pour donner quelque repentir aux Calomniateurs, quels qu’ils soient ».
─ Ce mercredi au soir [31 août] [266/51]. « Je ne puis ni vous aller voir, ni recevoir vôtre visitte tant que durera l’inquietude où je suis. La confiance dont vous parlez n’est plus, et il ne vous sera pas aisé de la recouvrer ; je ne vois à présent dans vôtre empressement que le desir de tirer des aveux d’autrui des avantages qui conviennent à vos vües, et mon cœur, si prompt à s’épancher dans un cœur qui s’ouvre pour le recevoir, se ferme à la ruse et à la finesse. […] Deux amans bien unis et dignes de s’aimer me sont chers […] Je présume qu’on a tenté de les désunir et que c’est de moi qu’on s’est servi pour donner de la jalousie à l’un d’eux. Le choix n’est pas fort adroit, mais il a paru le plus commode à la méchanceté, et cette méchanceté, c’est vous que j’en soupçonne. J’espère que ceci devient plus clair. Ainsi donc, la femme du monde pour laquelle j’ai le plus d’estime et de respect auroit de mon sceu l’infamie de partager son cœur et sa personne entre deux amans, et moi dont le cœur n’est ni sans délicatesse ni sans fierté, celle d’être paisiblement l’un de ces deux lâches. Si je savois qu’un seul moment de la vie vous eussiez pu avoir d’elle et de moi une pensée si basse, je vous haïrois jusqu’à la mort. Mais c’est seulement de l’avoir dit et non de l’avoir cru, que je vous taxe. […] Je n’ai caché ni à vous ni à elle tout le mal que je pense de certaines liaisons, mais je veux qu’elles finissent par un moyen aussi honnête que sa cause, et qu’un amour illégitime se change en une éternelle amitié. Moi qui ne fis jamais de mal à personne, servirois-je innocemment à en faire à mes amis ? Non, je ne vous le pardonnerois jamais ; je deviendrois vôtre irréconciliable ennemi. Vos secrets seuls seroient toujours respectés ; car je ne serai jamais un homme sans foi ». S’il s’est trompé, il rachètera ses fautes : « En vous disant sincèrement ce qu’on pense de vous dans le monde et les brèches que vous avez à réparer dans votre réputation. Malgré tous les prétendus amis qui vous entourent, quand vous m’aurez vu partir, vous pourrez dire adieu à la vérité ; vous ne trouverez plus personne qui vous la dise ».
─ Ce jeudi matin [automne] [269/58]. Il ira la voir le soir : « je suis trop foible ce matin et les chemins sont trop mauvais pour tenter l’aventure après une aussi mauvaise nuit. À ce soir, donc, ma chère amie, vous connoissez trop mon cœur pour me soupçonner d’être en reste envers ceux qui m’aiment et qu’il m’est si naturel d’aimer ».
─ Ce Dim. matin [16 octobre] [273/7]. « Je commence à craindre d’avoir porté mes projets plus loin que mes forces, et si l’état où je suis continue, je doute que je revoye le printems ni mon païs ; au surplus l’ame est assés tranquille, surtout depuis que j’ai revu mon ami [Grimm] »...
─ A l’hermitage le 29 8bre 1757 [280/59]. Au sujet du prochain départ de Mme d’Épinay pour Genève, où Mme d’HOUDETOT et DIDEROT insistent pour que Rousseau l’accompagne : « Cet empressement à me faire partir, sans consideration pour mon état, me fit soupçonner une espèce de ligue dont vous étiez le mobile. Je n’ai ni l’art ni la patience de vérifier les choses et ne suis pas sur les lieux, mais j’ai le tact assez sur, et je suis très certain que le billet de Diderot ne vient pas de lui. Je ne disconviens pas que ce desir de m’avoir avec vous ne soit obligeant et ne m’honore, mais […] je ne puis souffrir qu’une amie employe l’autorité d’autrui pour obtenir ce que personne n’eut mieux obtenu qu’elle ; je trouve à tout cela un air de Tyrannie et d’intrigue qui m’a donné de l’humeur et je ne l’ai peut-être que trop exhalée mais seulement avec vôtre ami et le mien [Grimm et Diderot]. […] J’ignore comment tout ceci finira, mais quoi qu’il arrive, soyez sure que je n’oublierai jamais vos bontés pour moi, et que quand vous ne voudrez plus m’avoir pour esclave, vous m’aurez toujours pour ami ».
─ Ce Lundi [31 octobre] [282/60]. « Je suis sur vôtre état dans des inquiettudes mortelles. Au reste je juge que vous prenez le bon parti. Adieu, ma chère amie, quoique je me porte fort mal moi-même vous me verrez demain matin au plus tard ».
─ A Montmorenci le 20 fevr 1758 [308/61]. La toute dernière lettre de Rousseau à Mme d’Épinay. « Je n’entreprendrai pas de vous expliquer ce que vous avez resolu de ne pas entendre, et j’admire comment avec tant d’esprit on réunit si peu d’intelligence ; mais je n’en devrois plus être surpris ; il y a longtems que vous vous vantez à moi du même défaut ». Il refuse fermement le remboursement des gages du jardinier… « À l’égard des quinze jours qui restoient jusqu’à la fin de l’année, quand je sortis de l’hermitage, vous conviendrez que ce n’étoit pas la peine de les déduire. A Dieu ne plaise que je prétende être quite pour cela de mon séjour à l’hermitage. Mon cœur ne sait pas mettre à si bas prix les soins de l’amitié, mais quand vous avez taxé ce prix vous-même, jamais loyer ne fut vendu si cher. J’apprends les étranges discours que tiennent à Paris vos correspondans sur mon compte, et je juge par là de ceux que vous tenez, peut-être un peu plus honnêtement, à Genêve. Il y a donc bien du plaisir à nuire ? à nuire aux gens qu’on eut pour amis ? Soit. Pour moi, je ne pourrai jamais goûter ce plaisir-là, même pour ma propre deffense. Faites, dites tout à vôtre aise. Je n’ai d’autre réponse à vous opposer que le silence, la patience, et une vie intègre. Au reste, si vous me destinez quelque nouveau tourment, dépéchez vous : car je sens que vous pourriez bien n’en avoir pas longtems le plaisir ».

─ Provenance :
• Frédéric-Melchior von GRIMM ; • son secrétaire LECOURT DE VILLIÈRE ; • Jacques-Charles BRUNET (vente 19 décembre 1868, n° 119, 62 lettres) ; • Marquis de ROCHAMBEAU (vente anonyme [I], 17-18 mars 1948, n° 195, 61 lettres) ; • Alexandrine de ROTHSCHILD ; • Anne-Marie SPRINGER.
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