Lot n° 236

STAËL GERMAINE NECKER, BARONNE DE (1766-1817). 5 L.A., 1803-1812, à Claude HOCHET ; 16 pages in-8 et 4 pages in-4 (le bas du 2e feuillet de la 3e lettre a été coupé, et 3 lignes et 6 mots de la 4e ont été raturés).

Estimation : 10 000 - 12 000 €
Adjudication : Invendu
Description
♦ Très intéressante correspondance à son fidèle ami et confident Claude Hochet.

[Claude HOCHET (1772-1857), journaliste au Publiciste de Suard, fit la connaissance en 1796 dans le salon de Suard de Benjamin Constant et Mme de Staël, dont il restera jusqu’à la mort l’ami et le correspondant fidèle. Il abandonnera peu à peu la littérature pour la carrière administrative, mais restera pour Mme de Staël et Constant un confident et un ami dévoué, jouant entre eux le rôle d’agent de liaison et leur servant aussi d’intermédiaire et d’informateur.]

─ Metz 7 novembre [1803]. Départ de France pour l’Allemagne après avoir reçu son ordre d’exil. Elle a reçu et brûlé sa lettre « qui contenoit de si nobles preuves de votre amitié je désire que vous n’en parliez jamais certain que le souvenir s’en retrouvera dans mon cœur mais il y a des moments où il faut tout éteindre, c’est presque mourir de son vivant. Je voulais dire par ma littérature métaphysique que j’écrirois à Mr Su[ard] ce que j’observerois en Allemagne […] Non en vérité je ne veux rien imprimer, je ne sais quand je retrouverai mes facultés, j’ai souffert si horriblement que je ne suis pas sure d’en ressortir moi – du moins pour l’esprit. Ce départ de France me redonne toutes les douleurs de celui de Bondy pour l’imagination, c’est une terrible chose qu’une frontière et une grande épreuve pour le cœur que des adieux. […] Quelle folie que de se présenter un voyage comme agréable je n’ai aucune curiosité et chaque objet nouveau secoue la peine et la fait mieux sentir ». Elle ne savait pas que Mme SUARD avait écrit à son père : « Je lui suis attachée et pour elle et pour son mari qui a redoublé en moi un sentiment presque pénible tant il est vrai. Personne en France ne conçoit l’amitié mais je ne puis vous dire à quel point je m’en suis reconnue susceptible depuis que je frémis à l’aspect de l’étranger, même lorsqu’il m’apprend à quel point ma célébrité est générale, comme je donnerois ce droit d’aînesse pour six mois de bonheur, je n’ai plus rien que de vulgaire depuis qu’il faut se séparer de tout ce que j’aime, le 1er C[onsul] n’a pas su à quel point je me serois annullée avec plaisir »...

─ [Rouen] ce lundi [3 ou 10 novembre 1806]. Sur son amour pour Prosper de BARANTE : « Je vous donne ma parole d’honneur mon ami, que vous ne serez pas nommé à Pr. sur cette affaire d’argent » ; elle va payer ses dettes : « nous sommes tout à fait à cet égard sans gêne réciproque. Ce que je souhaiterois vivement c’est qu’il cherchat à se faire renvoyer à Paris – et ce n’est pas pour mon sentiment seul, c’est pour sa dignité que je le souhaite, c’est un homme qui peut tomber comme il peut s’élever, sa mobilité et son père combattent contre sa fierté et contre moi ». Puis à propos du 17ème Bulletin de la Grande-Armée :
« La Reine de Prusse est la plus respectable femme du monde et Hullin [le général HULIN avait présidé la commission militaire du Duc d’Enghien] pour commander à Berlin ! Vous parlez de bonheur en peut-il exister quand un objet si cher [Barante] est au milieu de tout cela. Ah je tremble à chaque instant qu’il ne s’engage dans une route qui fausse toutes les idées comme tous les sentiments, qui les fausse bien plus quand on est né une noble créature que quand on s’est trouvé d’accord naturellement avec tout cela. J’ai vu Mr de Tall. [TALLEYRAND] fondre en larmes trois heures au pied de mon lit quand j’étois malade la fermeté est le seul garant des dons reçus du ciel. Vous êtes bien généreux de me pardonner mon malheureux sentiment hélas il m’a rendu bien heureuse six mois m’en vaudra t’il davantage ? »… Elle a remarqué [dans le Publiciste] l’extrait de l’histoire Auguste : « j’aurois du vous y reconnoitre puisque le courage m’en avoit frappée. Si ceci dure encor dix ans, on ne saura plus en France ce que c’étoit que l’honnêteté, cela s’appellera le radotage des vieillards. Tant que nous sommes jeunes encore au moins ils ne peuvent pas attribuer la délicatesse à la foiblesse ». Elle explique à Hochet qu’elle souhaite lui prêter « de l’argent pour acheter une ferme […] je regarde cela comme une bonne spéculation pour moi je vous en avertis car vous êtes le plus sur de tous les débiteurs »… Quant à la date de publication de son roman [Corinne], elle voudrait « que cette guerre fût finie je trouve indécent de se montrer sur des sujets d’agrément au milieu des larmes de l’Europe », et il faut arranger « l’affaire de la censure ». Elle est en train d’acheter « une terre [Acosta] à deux lieues plus près de Paris que Mantes il faut voir si l’on m’y laissera »...

─ [Genève] ce 26 mars [1809]. Sur la tragédie Wallstein de Benjamin Constant, et sur De l’Allemagne.
« On peut trouver plus ou moins d’intérêt dans la nature même du sujet de Valstein mais ne pas admirer Alfred et Thécla mais ne pas sentir la beauté noble et simple de la poësie de cette pièce c’est tellement différer avec moi qu’il n’y a pas moyen de s’entendre. Je n’ai point d’illusion sur le talent littéraire de mes amis il me semble au contraire qu’on est sévère pour ce qu’on aime mais je ne suis pas du tout influencée par le petit esprit de cotterie qui se croit imposant en s’appellant Paris. Je n’ai affaire qu’à la nature même des choses et tout ce qu’on me dit n’a pas le moindre effet sur ma conviction intime. Vous devriez être ainsi vous qui avez tant d’âme et d’esprit à vous mais vous êtes dominé dans tout ce qui n’exige pas du courage il vous faut du danger pour être indépendant ». Elle espère qu’il viendra la voir : « je pourrai vous montrer mon manuscrit sur l’Allemagne ceux qui l’ont lu et moi je le crois supérieur à ce que j’ai fait jusqu’à présent. Il le faut vu la grandeur et la nouveauté du sujet. Mais je n’ai pas sur mes ouvrages la même certitude que sur ceux de mes amis et dans ce qui me regarde le succès ou le revers me fait beaucoup d’impression »...

─ [Genève] 10 mars 1812. « Pour la première fois ma santé est dangereusement attaquée, et je ne sais pas si je m’en tirerai c’est une phase nouvelle pour mon imagination [elle écrit les Réflexions sur le suicide] et qui l’affecte plus que je ne l’aurois cru car mon existence est si triste que si je ne considérois la mort que comme sa fin j’en serois bien peu émue mais cet abyme inconnu m’effraye d’autant plus que j’ai beaucoup souffert et que j’espérois de la bonté suprême des jours plus doux avant les derniers. J’avois aussi une belle idée d’ouvrage c’étoit un poëme historique de Richard Cœur de Lion comme il seroit en prose je ne m’y permettrois aucune fiction c’est bien assez des traditions du tems de Saladin, de Philippe Auguste, de Frédéric Barberousse &c. Les couleurs de l’Orient donneroient du charme à cette composition mais il faut vivre pour penser puisque Descartes a dit Je pense, donc j’existe. [Suivent 3 lignes rayées sur Benjamin Constant.] Il y a quelque chose de bien sévère dans l’existence quand elle sort des voies communes comme dit Chateaubriand. Ce qu’il y a de plus triste dans la mienne c’est de me trouver jusqu’à ce jour dans l’impossibilité de rien faire pour la carrière de mes enfants et de m’entendre louer tout le jour sur ma célébrité sans qu’elle ait d’autre résultat que de nuire à ce que j’aime »...

─ Stockholm 19 octobre [1812]. Sur son séjour en Suède. « Je ne résiste pas à une occasion de vous dire que je vous aime. […] j’ai été reçue par tout le nord comme une Reine et il me suffisoit de n’être plus tourmentée pour me croire au moins dans le paradis d’Odin. Je vais écrire sur le nord comme je l’ai fait sur le midi je crois que cela sera curieux comme Europe et comme Asie mais la terre que l’on décrit tremble et les tableaux s’évanouissent avant d’être tracés. Ce qui reste fixe en moi ce sont les affections. Je rêve que je reverrai mes amis comme ces pauvres nègres qui croyent en mourant retourner dans la patrie. […] j’ai fait ce que je devois et si je vis vous direz avec moi que j’ai fait ce que je devois. Je vous demande de ne pas m’oublier […] Mon fils cadet est très bien placé militairement ici il falloit une carrière à nous tous et s’il plait à Dieu nous l’aurons tous. Mais autrefois j’aimois bien des objets dignes d’enthousiasme ou de tendresse tout est blessure maintenant par l’absence ou par les torts – mais je trouve dans la rêverie plus de ressource que jadis et ce dont je jouis c’est de la cessation de l’état où j’étois. Sécurité et indépendance sont des biens nouveaux pour moi. […] Le ciel est gris la terre est aride mais l’ame n’est point oppressée les beaux arts se faisant mais la conscience peut parler enfin je referois ce que j’ai fait et je bénis Dieu de m’avoir conduite pendant quinze cents lieues ma fille et moi, sans que mille périls nous ayent atteints. J’ai passé par des villes qui ont déjà disparu de la terre. L’homme survit maintenant aux empires »…

Correspondance générale, t. V-1, p. 98 ; t. VI, p. 152, p. 627, t. VII, p. 556 ; t. VIII, p. 103.
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