Lot n° 411

BERNANOS Georges (1888-1948). 20 L.A.S., 1930-1940, à Pierre BESSAND-MASSENET des éditions Bernard Grasset, avec une L.A.S. à Pierre GAXOTTE, et un MANUSCRIT autographe signé ; environ 65 pages in-4 ou in-8, enveloppes ; le tout monté sur...

Estimation : 5 000 - 6 000 €
Adjudication : 6 240 €
Description
onglets en un volume in-4, demi-chagrin rouge à coins.

Belle correspondance littéraire et amicale à son ami et éditeur, concernant la publication de La Grande Peur des bien-pensants.

[Pierre BESSAND-MASSENET (1899-1985) était éditeur chez Bernard Grasset, et a suivi de près l’élaboration et la publication de La Grande Peur des bien-pensants (Paris, Grasset, 1931).]

– Divonne-Les-Bains 22 août 1930. Il s’inquiète de le savoir « en possession de la première série de placards. Or la plupart des corrections qui s’y trouvent, j’ai négligé de les refaire dans le second jeu – celui que j’ai envoyé […] et qui ne contient ainsi que les corrections supplémentaires – les titres, certaines suppressions, les modifications typographiques, etc. »…

– Toulon [28 novembre]. Il recopie une lettre à Bernard GRASSET, dans laquelle il refuse de changer le titre de son « malheureux livre » [La Grande Peur des bien-pensants] : « Je tiens absolument à Démission de la France, avec – en sous-titre et en aussi gros caractères qu’il vous plaira : Ed. Drumont, prophète en son pays »…

– Toulon 2 décembre. Il renvoie un chèque barré, voulant la somme en liquide au plus vite, « l’équilibre de mon budget, au cours de ce mois de malheur, étant une sorte de miracle hebdomadaire, et même quotidien – un numéro de cirque, quoi ». Pour sa photographie, « les meilleurs clichés sont chez Madame ALBIN-GUYOT. Je crois qu’il y a un profil encore inédit, et capable de me faire grand honneur » …

– 14 février 1931. Il va mieux, mais ne pourra venir à Paris avant trois semaines si sa présence est utile. Il demande là-dessus l’avis de GRASSET, « au cas d’ailleurs improbable où il s’intéresserait en quelque manière, à ce pauvre livre que je suis si content que vous aimiez. [René] BENJAMIN vient de m’écrire une lettre très enthousiaste. […] La moitié de ce que j’aurais voulu exprimer manque, hélas ! mais il y a des pages déchirantes, je les ai écrites avec une telle crispation du cœur »…

– Jeudi 19 mars. Bernard Grasset lui a écrit « un mot assez sec au sujet de la note parue dans l’A.F. [L’Action Française] », au sujet du changement de titre de son ouvrage (initialement Démission de la France). Il est flatté à l’idée que son éditeur le prenne pour un homme de lettres faisant sa propre publicité, mais explique ce malentendu : R. VALLERY-RADOT lui a conseillé de changer le titre, qui paraissait trop triste : « j’ai cédé, lui adressant quelques titres nouveaux parmi lesquels il a choisi la “Grande peur des Bien-pensants”. Voilà tout »…

– Toulon 30 mars. Il approuve le dédoublement du chapitre trop long. Il souhaite un prompt rétablissement à Mme Bessand-Massenet en cure en Suisse, et lui recommande son ami Michel DARD, qui séjourne aussi à Montreux…

– Toulon 1er avril. Il renvoie un projet (de publicité) « juste à point pour ne pas mourir d’une mort violente due à une brusque et totale dilatation de ma vanité »… Lundi : il accepte de venir à Paris pour la sortie du livre. « Hélas ! je ne me fais plus énormément d’illusions sur la bonne volonté du cher Grasset (est-il français ?...). Je crains bien qu’il ne se fiche du bouquin comme de sa première et lointaine maîtresse »…

– 26 mai. La veuve de DRUMONT lui a écrit une lettre navrante : « Flammarion refuse de rééditer les livres de son mari ». Il aimerait « s’entendre avec ces manants », pour publier quelques passages choisis. Il a entendu que certains libraires faisaient une mauvaise publicité à son livre. Qu’en est-il ?...

– 22 juin. « Assurément, vous m’avez enterré déjà dans cette petite part empoisonnée du cœur où achèvent de pourrir les amitiés mortes avant que le squelette en puisse être dressé sur du fil de laiton, par les soins des naturalistes ». Il s’est installé route d’Hyères, où il travaille enfin chez lui : « seul entre quatre murs, je puis me croire une espèce de génie. Au café sous le regard sceptique des garçons, ce n’est réellement pas possible ! »…

– 4 novembre. Il a été très malade : « J’ai failli dériver tout doucement au large de la mer sans rives, et sans l’autorisation du dictateur Bernard Grasset ». Il ne va toujours pas bien…

– Hyères 28 juin [1933]. Belles réflexions sur leur amitié (après le décès de Simone B.M. le 11 mai), qui a eu des hauts et des bas : « Elle a grandi presque malgré moi, ou du moins presque sans que j’y pense. Je puis donc vous prier de l’accepter maintenant bien moins comme un don volontaire que comme une pauvre chose qui vous appartenait depuis toujours »… Il lui demande d’être le parrain de son prochain enfant attendu en août…

– [31 août] : « croyez-vous, ou ne croyez-vous pas possible une enquête sur HITLER, et la jeunesse allemande ? De toutes manières, je ne voudrais réellement pas mourir sans avoir dit quelque chose du drame wagnérien qui se joue en ce moment là-bas, et qui met debout toute la juiverie du monde. […] Je vous assure que j’ai quelque chose à dire de ce bonhomme-là »…

– 3 octobre. Il annonce la naissance de son fils Jean-Loup (30 septembre 1933), qui « a dégringolé hier en ce vague et triste monde, avec une vitesse record » ; il souhaite que son ami accepte d’être le parrain…

– 7 novembre. Sur un projet de revue qui semble intéresser la maison Grasset, qui y voit une bonne opération financière, dont il ne veut pas la priver : « Car je crois sincèrement qu’en l’état présent de mes rapports avec une partie du public de la Grande Peur la publication des Morceaux choisis de Drumont ne serait pas une brillante affaire ». Il est souffrant : « Mettons que ce soit la grippe. Moi j’appelle ça un écœurement total de l’âme, et la grippe, ou la tripe n’y est pour rien »…

– [Paris, après son accident de moto (31 juillet 1933)] :
« J’ai vu hier “l’électrologue” et le radiologue (ou graphe). Évidemment, je commence – ou plutôt continue à croire – que je trainerai la patte toute ma vie »…

– [Baléares 1935]. Longue lettre sur sa situation financière et à l’égard de PLON qu’il surnomme la « Veuve Garancière », qui lui a fait des avances de 1927 à 1929 dont il ignore le montant, et dispose d’une délégation sur l’indemnité que Bernanos devrait toucher après son accident, « de deux romans achevés (Un crime et M. Ouine), d’un « autre roman dont elle possède plus de deux cents pages et qu’il m’est très facile d’achever en cinquante », et de 110 pages « d’un autre livre [Journal d’un curé de campagne], lesquelles pages sont certainement les plus émouvantes que j’ai écrites […] Tout ce travail (sauf Mr Ouine) a été fait depuis fin avril 1934, c’est-à-dire en huit mois, en dépit d’un mois de maladie, et de cinq à six semaines perdues pour le déménagement (!), la vente de mon mobilier, l’installation ici »… Il aimerait pouvoir « travailler tout de suite à mon journal », à condition de le payer à la page :
« Il me semble, je vous jure, que ce journal serait beau. Et demain, il sera sans doute trop tard. Tous crevés, même les salauds ! » Ce serait impubliable chez Plon « où la grandissante méfiance de certains salauds ferait déjà une jolie petite haine, bien roulée »…

Une lettre d’Hyères est adressée à Pierre GAXOTTE pour lui recommander Pierre Bessand-Massenet, « un des cœurs les plus réellement fiers que je connaisse »…

Un autre lettre à un ami annonce la naissance de Jean-Loup :
« Un petit garçon vient de dégringoler en ce bas-monde – dégringoler est le mot qu’il faut. Un quart d’heure a suffi. […] Que ne puis-je aussi vite donner un livre à la Postérité ! »…

Manuscrit autographe signé (3 pages et demie in-4) de la fin de la conclusion de La Grande Peur des bien-pensants, où Bernanos interpelle les « Jeunes français, jeunes électeurs français, soldats d’hier ou de demain »… ; et pour finir l’affirmation lucide que « la société qui se crée peu à peu sous nos yeux réalisera aussi parfaitement que possible, avec une sorte de rigueur mathématique, l’idéal d’une société sans Dieu. Seulement, nous n’y vivrons pas. L’air va manquer à nos poumons. L’air manque. Le Monde qui nous observe avec une méfiance grandissante s’étonne de lire dans nos yeux la même angoisse obscure. Déjà quelques-uns d’entre nous ont cessé de sourire, mesurent l’obstacle du regard… On ne nous aura pas. On ne nous aura pas vivants ! »

Suivent 2 pages autographes de corrections pour La Grande Peur des bien-pensants ; puis un tiré à part des Cours et Conférences d’Action française (octobre 1929) avec la conférence de Bernanos sur Édouard Drumont.

─ On a relié en tête du volume
• une photographie de Bernanos par Laure ALBIN-GUILLOT (1927, 25,5 x 18 cm) avec dédicace a.s. :
« à Pierre Bessand-Massenet, à son amitié si diligente et si discrète, avec ma très affectueuse gratitude, G. Bernanos ».
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