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Lot n° 35

GIONO (Jean). Que Ma Joie Demeure. Paris, Bernard Grasset, 1935. In-12, non rogné, demi-maroquin bordeaux à coins, dos à nerfs orné de caissons à quadruple filets dorés, tête dorée, couverture et dos conservés. Étui bordé. (Reliure signée...

Estimation : 5 000 - 7 000 €
Description
de Pierre-Lucien Martin). Édition originale qui constitue le deuxième ouvrage de la sixième série Pour mon plaisir. Un des 9 premiers exemplaires sur Chine, (n°3). ♦ Superbe reliure de P.L. Martin. Ensemble unique.
─ Exemplaire enrichi :
• D’une lettre autographe signée de l’auteur en réponse à José David (libraire, bibliophile et collectionneur bruxellois)

20 mai 1935, 2 pages in-4 à l’encre noire.

Je suis absolument navré de ce que vous m’annoncez du double numérotage des Chine de Que ma joie. Je trouve que c’est extrêmement grave. Depuis que j’ai reçu votre lettre je suis en grand souci à ce sujet. Je ne sais que penser. Je ne crois pas –je ne veux pas croire- a une malhonnêteté mais je suis troublé par le n° 8 des Japon de Jean le Bleu. Sûrement Grasset est hors de cause je connais trop personnellement
de quels soins sont entourés les tirages spéciaux et j’ai tant d’amitié pour celui qui s’en occupe pour ne pas être totalement sur de sa franchise. Mais le fait subsiste et de mon coté je le signale à grasset avec beaucoup de sévérité. J’ai moi même trop de respect pour les tirages limités pour ne pas considérer qu’il faut absolument modifier officiellement la page de vos exemplaires sur Chine. C’est ce que je demande pour vous à l’éditeur. Soit qu’il vous soit adressé une page d’erratum sur même papier, soit qu’on reprenne un exemplaire pour le modifier à l’imprimerie méme.Je n’admettrai jamais qu’on puisse laisser les choses en l’état. De même pour le japon N°8 de Jean le Bleu. Voulez vous me permettre de compenser en atténuant le chagrin que nous avons, vous, votre ami et moi ? Je vous adresse avec cette lettre deux pages manuscrites pour vous et deux pages pour votre ami. (René Gaffé, bibliophile et collectionneur). Ce sont des modifications de travail sur le livre. Elles donneront à vos exemplaires un ordre spécial dans le numérotage [...]

Cette lettre montre que sans être collectionneur bibliophile, Giono avait de l’estime et de la considération pour les collectionneurs et qu’il était très attaché à la qualité et à la rigueur des tirages spéciaux sur
grands papiers.
Dans une lettre du 12 juin 1935, Giono demande à Louis Brun directeur des éditions Grasset, une explication de ce double numérotage.
Le 14 juin, ce dernier lui répond qu’il s’agit simplement d’une erreur de l’imprimeur et de mauvaise foi critique le collectionneur. (Revue Giono, N°9-2016, p.41, 43)

• De quatre précieuses pages manuscrites de modifications de travail sur le livre Que ma joie demeure
4 pages in-4 à l’encre noire et à l’encre bleue écrites au recto et au verso de deux feuillets de papier filigrané (Navarre).
Il s’agit des 4 pages envoyées par Giono à José David mentionnées dans sa lettre du 20 mai 1935.
Plans de chapitres, essais de phrases, dialogues, monologues, réflexions personnelles inédites sur le travail, la douleur, les plaisirs.

–1er FEUILLET

RECTO : page marquée 20, texte barré mais reproduit dans le livre chapitre II, p 427-428 (Pléiade II)
Il y a un moment, malgré tout, ou on sent que les hommes s’éloignent. On les a soignés, on a été gentils, on a fait nuit pleine avec eux, on a été fille quoi. Le régulier de la jeunesse. Et ce temps là, ils sont très prés de vous. Il n’y pas jeunesse de femme qui vaille tendresse d’homme. On sent que c’est plus franc. C’est de cette franchise la qu’on a envie. Ils sont plus donneurs que nous. Mais passé un temps, au lieu de continuer à donner à la femme, ils donnent au vide. Ah !qu’ils sont malheureux. Elle marchait pied nus dans la chambre, malgré le froid. Elle était pauvre, pleine et de marbre. Ses pieds s’appuyaient de tout leur plat et claquaient sur les dalles. On sait bien qu’on n’est pas tout. Mais quand on a demandé pendant longtemps la joie entière a une femme, ça serait bien facile de lui dire « Marthe ».Pas plus. La façon de le dire ferait le reste .On a des soucis, des recherches. Tout le monde en a. La vérité c’est que la jeunesse, c’est la violence. Alors, on le dit !
« Marthe Marthe » et même sans le dire, on le prend. Mais l’âge c’est l’obstination.

VERSO : Plan des chapitres V et VI et texte pour chapitre III p.441: […]
Honorine était penchée dans la fumée d’une chaudronnée de pommes de terre. Elle se redressa et s’essuya les mains […]
Chapitre II, p.438 : […] La jeunesse ce n’est pas la force ni la souplesse ni rien. C’est la passion pour l’inutile. Qu’ils disent [….]

– 2ème FEUILLET

RECTO : Chapitres X-XI. Plan.
Elle souffrait d’un mélange d’amour et de mort (Chapitre X, p 590).
Dialogue entre Marthe et Joséphine (Chapitre XI, p 593)

VERSO : paragraphes sur le travail, la douleur.
→ Le travail
Quand l’ordre sera rétabli, l’accord refait entre l’homme et la vie, le travail sera partout une joie. Ne plus considérer le travail comme une malédiction. Après, construire, créer c’est être le collaborateur de dieu
lui-même, le grand architecte. Ceux qui expulsent l’idée de travail hors de l’idéal et de l’horizon humain. Le travail est avili par le péché individuel et social. Ce ne sont pas les mots et les dogmes qui comptent
mais les principes et les réalités.

→ La douleur
Rétablir l’harmonie dans le monde c’est du même coup ramener la douleur à sa fonction normale. La souffrance joue un rôle d’avertisseur d’un état de révolte et de désordre contre les lois de la vie.
Les plaisirs qui s’en vont goutte à goutte, la cigarette. On a trainé le travail loin de la glorieuse joie humaine. Il est maintenant loin de tout comme un mort mécanique qui marche avec un ressort mais qui est plein
de mouches, sali par le péché de l’homme et la société des hommes.

• De la lettre autographe signée de José David à Louis Brun (directeur littéraire chez Grasset) concernant l’erreur de justification de son exemplaire et celui de René Gaffé, car tous deux possèdent le n°3 sur Chine de Que ma joie demeure.
1 page et demie in-4 datée du 13.V.1935.

• Des deux lettres autographes signées, dont une dactylographiée, de Roland Saucier, Directeur de la Librairie Gallimard, concernant cet exemplaire.
2 pages in-4, datées 4 mai 1935 et 9 mai 1935.

─ PROVENANCE :
Collection José David, Bruxelles.
Collection Marcel de Merre, Bruxelles. Ex-libris.
Vente Sotheby’s, Paris.

─ NOTES ANNEXES :
Immense parabole lyrique, Que ma joie demeure permet à Giono de dénoncer violemment la civilisation moderne et de proposer une voie menant au bonheur par la réappropriation de sa vie et l’harmonie du groupe, bien que le récit s’articule en deux parties illustrant l’une ce bonheur et l’autre la désillusion. La
transformation illuminant les habitants du plateau Grémone avec l’apparition du personnage prophétique Bobi, annonce le rôle que Giono essaiera lui même de remplir auprès des visiteurs des rencontres du Contadour à partir de septembre 1935.
Il existe une intéressante correspondance de 22 lettres relative à Que ma joie demeure, de Giono à Louis Brun, ( directeur littéraire des éditions Grasset ) mais aussi à André Suquet.
Giono écrit entre autre :
« Je vais t’expédier tout à l’heure les 433 pages qui forment, si on veut, le premier volume de Que ma joie demeure. Comme tu le verras, le problème posé par les premières pages n’est pas résolu et ne le sera que lorsque j’aurai fini d’écrire ce que j’écris. Libre à toi de faire paraître séparément ce premier volume
; auquel cas le 2e volume serait intitulé : Que ma joie demeure 2e volume : Mort du poète...
Je suis sûr que ça dépasse et de beaucoup Le Chant du Monde, que ça dépasse également ce qui a été écrit depuis au moins cinq ans...»

C’est la première fois qu’on essaye d’approcher avec bonne foi le problème de la joie humaine... ( à Louis Brun, printemps 1934 ).

« …Le livre sera précédé d’un avant-propos d’environ 50 pages… C’est excessivement précieux à publier ces temps-ci ou les difficultés de composer sa propre joie sont de plus en plus grandes... » ( à Louis Brun, vers le 5 janvier 1935 ).

« …J’aurai besoin de revoir soigneusement les premiers placards... » ( Cette lettre de janvier 1935 à Louis Brun, montre l’attention que portait Giono à la correction des placards avant édition ).

« …Surveille qu’on me mette bien la dédicace en belle page et non pas en tête du premier chapitre. C’est d’ailleurs indiqué dans mes corrections… Il y aurait un énorme intérêt à augmenter l’intervalle entre les lignes...ça enlèvera à la page l’air ennuyeux et fatiguant que donne cet espace resserré. Très important
du point de vue du lecteur... »

(lettre de mars 1935 à Brun qui montre une démarche bibliophilique de l’auteur pour ses ouvrages )

« …Si, j’ai fait tout ça pour vous, la vie est belle car c’est justement ce que je veux faire de tout mon coeur. Ouvrir des sources de joie... » ( lettre à André Suquet, Manosque, printemps 1935.)

« …Malgré le grand succès de Que ma joie demeure, je crois que peu de gens comprennent. Les critiques ne comprennent pas du tout. Que c’est difficile de dire aux hommes qu’en dehors des petites coucheries il y a les grands drames !
J’essaye de le dire... » ( à André Suquet, 17 mai 1935 )

« …D’abord je m’attendais à un gros éreintement ( de la critique )...Giono parle de l’émeute sanglante des groupes d’extrême droite du 6 février 1934... Il est bien entendu, et tu le sais, parfaitement faux que je sois communiste. Je ne suis que pacifiste… Mais voilà que j’ai apporté à la littérature française des moyens
d’investigations pittoresques entièrement neufs… Jamais on ne m’a écrit avec autant d’abondance et de tendresse. De tous les coins de la France, de Suisse, d’Algérie, d’Italie...
En septembre je dois emmener dans la montagne de Lure une caravane de plus de cent cinquante Illustrations de 29 burins originaux de Paul Lémagny.

Un des 50 exemplaires sur vélin d’Arches avec suite des 29 illustrations avec remarques plus 2 planches refusées, (n°34), signé de l’illustrateur.

Dans cette correspondance, Giono évoque également d’autres oeuvres ou projets d’oeuvres : Manosque des plateaux, Rien n’est facile, Icare, une préface
à un roman… (Catalogue Ephemera, Alain Nicolas, librairie Les neuf muses,
Paris).
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