Lot n° 22

PROUST (Marcel) — LETTRE AUTOGRAPHE signée «Marcel».— [Nuit du 10 au 11 janvier 1905]. — 5 pp. in-8, liseré de deuil ; date de réception au composteur répétée 2 fois ; 3 manques angulaires sans atteinte au texte, un caviardage...

Estimation : - 800 - 1 000 €
Adjudication : 1 800 €
Description
ultérieur à l'encre. «Tels sont les propos que m'a tenus ce soir madame de Chimay... laquelle les tenait de Barrès...»
«Mon cher Louis, ne m'attends pas ce soir car je suis sorti hier soir mardi et suis rentré très fatigué. J'aurais très bien pu venir chez toi mais, je ne sais pas pourquoi, j'ai eu peur de t'ennuyer. État d'âme probablement peu raisonnable et que j'essaierai de te définir de vive voix.
Que dis-tu de l'élection de Doumer ?
Elle vaut très bien celle de M. Bethmann (savais-tu - tombeau - que les dits
Bethmann auraient voulu marier leur fille à Antoine Bibesco).
[Le mardi 10 janvier, Paul Doumer avait élu président de l'Assemblée nationale, et dans le même temps, Jean Bethmann avait été admis comme membre du Cercle de la rue Royale. Marcel Proust et ses amis appelaient «tombeau» un secret devant demeurer inviolable jusqu'à la mort.]
Ce que tu dis de la r. Royale peut être vrai. Mais je crois que je n'aurai pas à m'y ennuyer, car le blackboulage me paraît probable. Si au contraire j'étais reçu, ennuyeux ou non, je serais ravi. L'affichage pour la rue Royale n'est pas de 8 jours mais, m'a-t-on dit de 5, de sorte que nous pourrions peut-être encore être présentés pour lundi ! - Ou toi lundi, et moi le lundi suivant... Mais je crois que les premiers soutiens sont toujours les plus indulgents...
[Marcel Proust nourrit un temps l'espoir d'être accepté comme membre du Cercle de la rue Royale, important club masculin mondain parisien.]
Il paraît que Syveton s'est vraiment suicidé, que le Dr Tolmer, que trois agents de police suivent partout, est la crème des hommes, que m[adam]e Syveton est une mégère mais qu'elle est innocente de la mort de son mari.
Tels sont les propos que m'a tenus ce soir m[adam]e de Chimay, laquelle les tenait de Barr ès [amie de Marcel Proust et dédicataire de sa préface à Sésame et les lys, la princesse de Caraman-Chimay, née Hélène Bibesco Bassaraba de Brancovan, était la soeur d'Anna de Noailles]. Je ne peux pas te dire s'ils ont raison.
[Le bouillant historien et député Gabriel Syveton, fondateur de la Ligue de la patrie française avec Barrès et Lemaître pour s'opposer aux dreyfusards, avait été assigné en justice pour voies de fait sur le ministre de la Guerre mais retrouvé mort le 8 décembre 1904 la veille de sa comparution.]
J'ai aussi été chez Lucien Henraux. Tu me diras que j'aurais aussi bien pu aller chez toi. Mais j'ai le sentiment (stupide, je le reconnais) [que] tu dois croire que je viens pour te parler de la r[ue] Royale !
Ces jours-ci, je ne pourrai pas sortir. Aujourd'hui je suis malade. Demain, je crois que maman revient.
J'ai oublié de te dire qu'[elle] est ravie de son chapelet et qu'elle m'a dit de te dire qu'elle a un peu de douleurs aux bras, ce qui l'a empêchée de t'écrire. C'est moi qui te remercie pour elle. - Et dire que je ne t'ai jamais remercié de ton album grec qui fait mes délices [présent de Louis d'Albufera offert à son retour de voyage de noces à Marcel Proust]. - J'ai une idée pour le tapis que je te dirai [étrenne reçue par Marcel Proust de Louis d'Albufera]. Tout à toi...

P.S.
Si par hasard tu venais me voir dans q[uel]q[ues] jours et rencontrais maman sans que je l'aie revu[e], ne lui dis pas un mot de sa maladie, - et ne lui dis pas un mot non plus du Cercle de la r[ue] Royale. 2e P.S. Si par hasard tu en avais l'idée, ne viens pas me voir aujourd'hui avant dîner, car j'ai une crise terrible et ne pourrais te recevoir.»
Lettre publiée par Françoise Leriche («14 lettres inédites», n° 8).
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