Lot n° 23
Sélection Bibliorare

PROUST (Marcel) — 2 LETTRES AUTOGRAPHES signées «Marcel». — S.l., janvier 1905. — • 1. 2 pp. in-8, liseré de deuil ; apostille autographe du destinataire avec erreur sur le millésime, «13 jan[vier] 04, rép[ondu]» ; une marge...

Estimation : - 1 000 - 1 500 €
Adjudication : 2 800 €
Description
légèrement effrangée, petites traces de rouille. • 2. 4 pp. in-8, liseré de deuil ; date de réception du 17 janvier 1905 au composteur, apostille autographe du destinataire, «rép[ondu]» ; pli marqué.
«J'irai peut-être dimanche à Bois-Boudran où madame Greffuhle m'a invité à assister à des expériences de téléphonie sans fil...»

Modèle principal de la duchesse de Guermantes, la comtesse Greffulhe descendait d'une famille de haute noblesse provençale installée en Belgique, et était liée aux Bibesco et aux Montesquiou-Fezensac. Elle épousa le financier Henry Greffuhle, mari odieux, volage mais jaloux, qui possédait le château de Bois-Boudran, près de Meulan en Seine-Marne, et des hôtels particuliers rue d'Astorg à Paris. D'une grande beauté, follement narcissique, la comtesse avait été initiée à la littérature par Robert de Montesquiou, et, douée pour les arts (dessin, photographie, piano), elle collectionna les oeuvres d'art et mena une activité de mécénat dans le domaine musical. Exception dans sa classe sociale, elle professait des opinions politiques républicaines et fut dreyfusarde.
Marcel Proust, admirait chez elle «une intelligence, un charme, une bonté, et un esprit hors ligne», mais s'y intéressa un temps seulement, comme à une figure littéraire.

• 1. - «Vendredi soir» [13 janvier 1905]: «Mon cher Louis, comme je prends la douce et fâcheuse habitude de ne plus pouvoir rien faire sans te demander conseil aussi bien dans les petites choses que dans les g[ran]des, dis-moi ceci: si je ne suis plus souffrant (mais c'est bien improbable !), j'irai peutêtre dimanche à Bois-Boudran où m[adam]e Greffuhle m'a invité à assister à des expériences de téléphonie sans fil (?) [dirigées par le physicien Édouard Branly]. Peut-on (ou doit-on) se mettre en redingote, ou est-il forcé d'être en veston. Est-il forcé d'être en chapeau mou. Ne me réponds pas: "on peut toujours faire ce qu'on veut". Mais dis-moi ce qu'on doit faire. Si cela peut mieux te renseigner, je ne suis invité ni à dîner ni à déjeuner, l'après-midi seulement. Pour moi qui ne déjeune pas, cela peut aller. Mais je me demande comment des gens qui vivent comme tout le monde s'arrangent, comme il y a deux h[eures] de chemin de fer...»

Lettre publiée par Françoise Leriche («14 lettres inédites», n° 12).

• 2. - [16 janvier 1905]: «Mon cher Louis, pardonne-moi de ne pas t'avoir encore remercié de ta gentillesse exquise pour l'auto qui est tellement beau, tellement confortable, tellement aéré que j'aurais voulu ne jamais en descendre [au début du siècle, «auto» est encore du genre masculin comme abréviation de «véhicule automobile»] - mais j'ai été tellement malade (je dis chaque fois que c'est le jour où je l'ai été le plus, mais c'est que cela suit une marche ascendante et ma crise continue encore en ce moment, effroyable). Je ne peux pas te dire combien ta gentillesse m'a pénétré. - Bois-Boudran crevant. J'ai dit à Made Greffuhle que je t'avais téléphoné toute la matinée pour te demander si je devais mettre des bottines vernies, un veston, etc. Quant à Guiche [le duc de Guiche, Armand de Gramont], je lui ai aussi parlé de toi. Il m'a dit que tu étais venu le voir un jour à une heure, lui disant qu'il fallait que tu rentres à une heure. Il a ajouté: "vous lui direz que ce n'est pas gentil de ne pas être revenu me voir comme j'étais malade", mais il l'a dit en plaisantant et t'aime beaucoup.
J'ai passé une nuit abominable, une journée terrible. Ce soir, dans un moment d'accalmie, j'ai reçu
Loche [Léon Radziwill, dit Loche] superbe en militaire, Reynaldo [Hahn] et une seconde Lucien [Daudet] que l'impératrice veut emmener en Égypte [Lucien Daudet était alors secrétaire de l'impératrice Eugénie] - mais je n'ai pu leur parler tant je restais oppressé. Puis cela a repris de plus belle. Et je t'écris d[an]s un état indescriptible, j'aurais le plus grand besoin d'avoir les mesures exactes et détaillées du canapé, au p[oin]t de vue des coussins [étrennes pour Louisa de Mornand].
Il ne faut pas s'asseoir dessus, n'est-ce pas, comme un capitonnage. Et pour le dos, les faut-il suspendus aux coins ?
J'aurais bien voulu aller te remercier mais j'ai en dehors de tout un peu de bronchite et si cela ne va pas mieux je passerai q[uel]q[ues] jours non seulement à la chambre mais au lit. Si demain mardi tu passes devant chez Loche, demande donc, si cela ne t'ennuie pas, de ses nouvelles car il souffrait terriblement du pied, et tâche habilement de savoir où il est et ce qu'il fait aujourd'hui (mardi). Mais seulement si tu passes devant et si tu es ami avec son concierge car il ne faudrait pas que cela en ait l'air. D'autant plus que c'est forcément moi qui t'ai dit qu'il souffrait du pied. Surtout n'aie pas l'air de demander où il est de ma part.»

Lettre publiée par Françoise Leriche («14 lettres inédites», n° 13).
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