Lot n° 28

PROUST (Marcel) — Lettre autographe signée «Marcel Proust». — S.l., [26 juin 1905]. — 8 pp. in-8, liseré de deuil ; date de réception du 27 juin 1905 au composteur en trois endroits, apostille autographe du destinataire, «rép[ondu]».

Estimation : - 1 500 - 2 000 €
Adjudication : 4 200 €
Description
Proust au théâtre du grand monde, en «artiste qui ne recherche que des sensations...»

Mariage du Prince Radziwill.

Marcel Proust distingue ici les occasions mondaines dont il se sert comme d'un poste d'observation littéraire, et les événements liés à sa vie amicale. Il classait parmi ces derniers l'union du prince Léon Radziwill (dit Loche) avec Claude de Gramont, mais s'il allait recevoir du prince une épingle de cravate aux armes des Radziwill, il ne serait invité ni à la signature du contrat («matinée Gramont») ni au mariage, ce qui le rendrait furieux.

«1° Pour la visite que tu me dis avant samedi... ce n'est pas ma faute s'il n'y a pas eu de résultat. Quant à croire que c'est parce que je ne veux pas, je t'avoue que ce sont des genres d'idées - si peu gentil que cela ait l'air - dont je me suis habitué à ne plus tenir jamais compte, parce que sans cela il serait plus simple de mourir tout de suite.
Si toute l'affection qu'on témoigne laisse tant de doutes, il est préférable de renoncer à rien comprendre. La vérité est que quand je suis bien, ces visites me rendent chaque fois très malade tout de même à cause des parfums, mais je ne mets pas cet ennui en balance avec le plaisir d'affection qu'elles me donnent...
Je suis bien ennuyé que tu aies parlé de moi à Loche, et surtout que tu ne me l'aies pas dit franchement au lieu de me dire: "on m'a dit"," je crois", etc. car je serais navré qu'il s'imaginât que tu avais mission de le dire, et qu'il pût croire une seconde que même s'il m'avait invité, du moment que ç'aurait été fait la veille, j'y serais allé ! Autant je t'ai dit que pour les Murat que je ne connais pas cela m'était égal, que je n'y mettais aucun amour propre, pas plus que pour un théâtre (ce qu'un mondain qui ambitionnerait une distraction ne ferait pas, mais ce qu'un artiste qui ne recherche que des sensations fait), autant pour Loche qui était un ami, je ne considérais pas la matinée Gramont comme autre chose que comme un plaisir [... à] lui faire, mais à condition qu'il eût bien marqué (comme il l'aurait dû) que c'était un plaisir pour lui. Pour le mariage, c'est autre chose, n'étant pas une chose mondaine, mais malgré cela pour rien au monde je n'irais, au point où nous en sommes après les lettres que nous avons échangées. Si je me décide à garder l'épingle, je lui écrirai comme je le pourrai, en tâchant de ne pas le blesser de nouveau, car il n'a jamais rien fait pour moi que de bon et d'exquis, mais tout de même il me sera impossible de ne pas lui dire à quel point je suis mécontent de lui. Je t'avoue que si je pensais qu'il a pu croire que c'était à mon instigation que tu as demandé si j'étais invité au contrat, non seulement je lui renverrais l'épingle mais j'y joindrais un paquet de sottises auprès duquel les précédentes seraient des flots de miel. Tu m'as mis (très gentiment et je ne t'en suis que reconnaissant) dans une situation fausse, non seulement vis-à-vis de lui, mais des autres.
Seulement ne dis pas après coup: "Marcel ne m'avait rien dit." Car bien que cela soit vrai, cela ne serait pas cru. J'ai tant de choses à penser en ce moment que je ne pense à celles-là que pendant les minutes où je t'écris (et c'est peut-être encore trop !). De sorte que ce que je ferai sans doute est de n'y plus penser du tout et de ne pas écrire à Loche. Dans 15 jours, je pourrai lui écrire avec un ton courtois, lui disant qu'il faut bien que je finisse par le remercier de son épingle et tout ce que je veux lui dire, mais sans violence. Si tu veux ne rien envenimer, cesse de parler de cela à personne, et dis-moi les personnes qui sont au courant et à qui tu as parlé. Ou peut-être ne le remercierai-je jamais de l'épingle.
Enfin je verrai. Trouves-tu que je ferais mieux de la renvoyer ? C'était mon sentiment.
Chaque soir où je ne te vois pas m'attriste, c'est assez te dire ma si tendre et si profonde amitié...
L'incident Lemaire est arrangé, en ce qui concerne la fille [allusion à une fâcherie avec Madeleine
Lemaire et sa fille Suzette, intervenu lors de la soirée musicale donnée chez elles le 22 juin].»
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