6 manuscrits autographes, dont 5 signés “René Crevel ”, totalisant 18 pages ½ in-4 et in-folio montées sur onglets, demi-maroquin noir à la Bradel, plats de plexiglas sur fond de feuilles d'or avec portrait photographique de l'auteur sur le premier, étui (Mercher, 1966).
Substantielle réunion de six manuscrits autographes complets, cinq signés.
Elle offre quatre articles et deux courts textes en prose, embrassant toute la carrière littéraire et critique de René Crevel (1900-1935). Les textes ont été publiés en revue ou dans le recueil
Feuilles éparses.
Parmi les premiers membres du groupe surréaliste, René Crevel (1900-1935) fut “l'un de ceux dont les émotions et les réactions avaient vraiment été constitutives de notre état d'esprit commun”. Ses rapports quasi-filiaux avec Breton furent cependant entachés de conflits et d'incompréhension. Éternel révolté, de santé fragile, Crevel demeure une figure inclassable.
Son style baroque et la réflexion caustique dont les textes portent ici la marque n'ont guère d'équivalent.
- Bobards et fariboles. Sans lieu ni date [septembre 1930]. Manuscrit de travail signé, 2 pages in-4, avec 10 ajouts et corrections, et un passage raturé en tête.
Virulent article politique paru dans Le Surréalisme au service de la Révolution (n° 2, octobre 1930): il était inspiré par la remise de la légion d'honneur à “un de ces curés-tueurs qui donnaient l'absolution à l'ennemi, sous leurs ordres, assassiné”. Il épingle le mouvement paneuropéen et la colonisation: “Et quelle jolie carte du monde nous allons avoir grâce à Paneuropa.
L'Europe sera rose et ce rose s' étendra aux meilleurs morceaux d'Asie, d'Afrique. Et si vous vous permettez de faire observer à un paneuropéen que l'Algérie, la Tunisie, le Maroc et le Congo, c'est peut-être l'Afrique, il vous rira au nez, car si les races se distinguent les unes des autres, et les unes aux autres s'opposent, il est bien entendu que nègres et jaunes blanchiront dès qu' il y aura quelque besoin de chair à canon.”
- Le Cygne de Pau ou Fifi la curette. Sans lieu ni date. Manuscrit de 2 pages in-4, comportant 8 ratures et corrections.
Critique au vitriol des “Scribouilleurs de la rubrique poésie”, publiée pour la première fois par Louis Broder en 1965 dans le recueil Feuilles éparses.
“Le papa Mallarmé s'est donné beaucoup bien du mal pour pas grand-chose. Il a eu beau s'esbigner à saupoudrer de strass, le sexe d'un faune en chaleur, l' histoire d'Antoine et Cleopatre, des narines un peu subtiles (les miennes, pardi, puisque je suis, avec votre permission, olfactif de naissance, un olfactif distingué) n'en reconnaissent pas moins cette bonne vieille odeur littéraire de couille en papier mâché, de foutre à l'encre (pas encore Waterman) de pubis hérissé de plume Sergent Major.”
- Mysticisme, prière et réalisme catholique. Sans lieu ni date [1931]. Manuscrit autographe signé de 3 pages in-4, comportant 13 ratures et corrections.
Publié pour la première fois dans Feuilles éparses, l'article raille la récupération catholique de Rimbaud, un “crime de lèse principe d' identité ” lequel “au lieu d' être, comme se devrait, puni de peine capitale dans une ère idolâtre de relativisme et de logique n'en passe pas moins pour le fin du fin. C'est Rimbaud, métamorphosé en mystique, donc en chrétien, donc en catholique, donc en bon petit frère Arthur de tout repos, la soeur Isabelle et son Paterne Berrichon de mari dorment sur leurs deux oreilles.
Et cependant, tout de même l'amas des bondieuseries n' étouffe point complètement la flamme digne, capable de réchauffer notre grelottante espèce.”
- La Mysticité quotidienne. Sans lieu ni date [1923]. Manuscrit autographe signé de 2 pages ½ grand in-4, comportant 9 ratures et corrections.
Publié dans le numéro spécial de la revue Le Disque vert consacré à Max Jacob, en novembre 1923, l'article de Crevel vante cette mysticité quotidienne “qui met dans la vie, ce qui pour l'ordinaire se laisse dans les temples, [et qui] déçoit un peu. On s'attend à quelque concert grave, or au lieu de choisir l'orgue, Max Jacob s'accompagne sur la guitare, le piano mécanique et le banjo.
La grand-messe du dimanche se joue à l'orchestre du cinéma. Mais cette naïveté chez un homme qui sait par ailleurs se montrer si perspicace, n'est-elle pas touchante comme un geste de petit enfant ? ”
- La Grande Mannequin cherche et trouve sa peau. Sans lieu ni date [1834]. Manuscrit autographe signé ayant servi à l'impression, 1 page in-folio et 3 pages petit in-4, avec 13 ratures, ajouts et corrections et marques de typographe.
Texte en prose paru dans la revue Minotaure (nº 5, mai 1934) ayant pour sujet le mannequin de vitrine, “une femme doublement femme puisque fille du vêtement féminin et de la nudité nudité féminine, la grande Mannequin cette Antigone qui sait pour sa parure, disposer en sourires très charnels les complexités oedipiennes. [...]
Parce qu' ils attendent beaucoup d'elle, les hommes sont gauches et timides avec la Grande Mannequin. Ils ne savent comment lui présenter le choix des épidermes dont elle change plus souvent que des chemises. Pour la séduire, on essaie du pompeux. Or, du pompeux c'est toujours du macabre. Sur la boutique dont elle sera le plus bel ornement, sur l'oeil dont elle sera la prunelle, se gonfle une paupière de cils draperies bien mortuaires, bien funèbres, avec, en guise de cils, des lourdes larmes de soie.”
- La Dame au cou nu. 30 novembre 1922. Manuscrit autographe signé de 5 pages in-4, comportant 5 corrections et ratures.
Texte autobiographique de toute beauté autour d'un fait divers, paru dans Le Disque vert (nos 4-6, 1923). Certains éléments, notamment la figure de la dame au cou nu, réapparaîtront dans le premier chapitre du roman Mon corps et moi (1925).
“J'aimais la dame au cou nu et je l'aimais parce qu'elle était la dame au cou nu. Je m'accordais fort bien de cette passion, ignorant des principes de la relativité, cette gloire des mathématiciens, joie des réunions mondaines et supplice des coeurs tendres. [...]
Les plus grands auteurs prononcèrent des paroles qu'on pût graver afficher dans les magasins pour adoucir les vendeuses, ou celles dignes d'orner les frontons et d'autres encore à graver les jours de doute (comme si c' était un moyen de les raffermir) dans les chairs molles des préjugés et des croyances.
Personne n'avait pensé à la dame au cou nu.
Je n'avais pas neuf ans et demeurai le seul à la défendre sans exhibitionnisme, sans espoir d'un petit profit lorsque s'ouvriraient les portes de sa prison.
Je la vois encore sur les photographies des magazines. Elle était une petite chose toute frêle dans un paquet de crêpe. On la représentait la tête directe, ou bien tournée à droite, à gauche; évanouie, le voile plus fort que les muscles à peine perceptibles sous une chair peau rose; d'autres fois la douleur de son front entrainait sur le bois du box les insignes de son double deuil.”
Très belle reliure photographique à plats de plexiglas sur fond doré dont Henri Mercher s'était fait une spécialité : celle-ci a été exécutée en 1966.