Lot n° 648
Sélection Bibliorare

LA FONTAINE Jean de (1621 1695) [AF 1683, 24e f]. L.A.S. « Delafontaine », « Chaury » [Château-Thierry] 1er février 1659, à son oncle Jacques JANNART, substitut du procureur général à Paris ; 2 pages et demie in-4, adresse avec restes de sceau de cire noire (2 portraits gravés joints).

Estimation : 30 000 - 40 000 EUR
Adjudication : 45 500 €
Description

Rarissime lettre à son oncle Jannart, où La Fontaine évoque ses difficultés financières et sa séparation de biens avec sa femme.

[En 1659, Jean de La Fontaine n’a encore rien publié qu’une comédie, L’Eunuque (1654) ; il faudra attendre 1665 pour ses Contes et Nouvelles en vers, et 1668 pour les Fables. Mais il a déjà commencé à se faire un nom dans le monde lettré comme un « garçon de belles lettres et qui fait des vers ». Il est fils d’un riche maître des eaux et forêts de Château-Thierry, qui lui a arrangé en 1647 un mariage fortuné avec Marie HÉRICART, fille du Lieutenant civil et criminel de La Ferté-Milon, et parente de Jean Racine. L’oncle de Marie, Jacques JANNART, est substitut du Procureur Général au Parlement de Paris ; il introduit La Fontaine chez le Surintendant Fouquet.

La Fontaine, qui a acquis en 1652 une charge de maître particulier des eaux et forêts du duché de Château-Thierry (qu’on écrivait alors par abréviation Chaury), partage son temps entre sa ville natale et la capitale, où il loge chez l’oncle Jannart. Son père meurt en avril 1658, laissant une succession assez compliquée. La Fontaine doit emprunter pour faire face aux créanciers et désintéresser son frère. Grâce à Jannart, La Fontaine réussit à faire face à cette situation ; il hérite des deux charges de son père, ainsi que de terres et maisons qu’il va céder à Jannart contre des rentes qui lui assurent de l’argent frais, car il est fort dépensier, au jeu notamment.

Si la séparation de biens avec sa femme, désignée ici selon la mode du temps comme « Mademoiselle de La Fontaine », semble avoir été dictée par des considérations de prudence face aux difficultés financières de la succession, et par le souci de Marie de ne pas laisser son mari dissiper son propre patrimoine, les liens du couple paraissent avoir été assez lâches.]

« Monsieur mon oncle

Ce qu’on vous a mandé de l’emprunt et du jeu est tres faux. Si vous l’avez creu il me semble que vous ne pouviez moins que de m’en faire le reprimande je la meritois bien par le respect que j’ay pour vous et par l’affection que vous m’avez tousjours tesmoignée. J’espere qu’une autre fois vous vous mettrez plus fort en cholere et que s’il m’arrive de perdre mon argent vous n’en rirez point. Mademoiselle de la Fontaine ne sçait nullement bon gré à ce donneur de faux avis qui est aussi mauvais politique qu’interessé. Nostre separation peut avoir fait quelque bruit à la Ferté mais elle n’en a pas fait beaucoup à Ch[âte]au[thier]ry et personne n’a creu que cela fust necessaire.

J’ay fait une sommation de recevoir l’annuel mais je n’ay point consigné mandez moy s’il est encor temps.

La commission dont je vous ay escrit est une excellente affaire pour le profit et je ne suis pas assez ambitieux pour ne courir qu’apres les honneurs quand l’un et l’autre se rencontreront ensemble je ne les rejetteray pas cependant. Des que Mr Nacquart fera un tour a Ch[âte]au[thier]ry je luy feray la proposition sauf de me rapporter a vous touchant le choix.

J’espere qu’aujourdhuy vostre eschange avec Madame de l’hostel dieu sera bien avancé. Je suis sur le poinct d’en faire encor un. Monsieur de la Place me doit un surcens de trois septiers et mine de blé et de deux septiers d’avoine. Le surcens est assis sur dix arpens de terre qui sont a la porte d’une de ses fermes. Il me veut donner en eschange dix autres arpens enfermez dans vos terres de la Trueterie. Je trouve la chose a propos mais il faut qu’elle se fasse sous vostre nom et auparavant il faudroit que je vous eusse cedé le surcens. Il me semble que cela se peut faire par procuration et qu’il n’est pas besoin d’attendre un voyage a Paris pour cela. Suivant ce que vous m’en manderez j’envoyray memoire.

Si vous n’avez trouvé a troquer vos terres de Clignon Mr Oudan de Rheims s’en accommedera avec vous et vous donnera de l’argent ou des terres dans la prairie. Si l’affaire d’Estampe se faisoit je vous conseillerois de choisir des terres.

Vous ne me mandez rien touchant le rachapt que j’ay fait de vos rentes sous sein privé. Je ne l’ay pas voulu faire pardevant notaire sans avoir auparavant vostre avis a cause des lots et ventes. Souvenez vous s’il vous plaist de m’en rescrire. Je suis

Monsieur mon oncle

vostre tres humble et tres obeissant serviteur Delafontaine

Je vous escrivis hier vendredy et vous priay de vous employer pour celuy qui vous portera la lettre car peutestre recevrez vous cellecy la premiere. Je n’osay a cause de la parenté de Mademoiselle de La Fontaine luy refuser de vous escrire mais comme c’est pour essayer de luy procurer quelque employ qu’on luy a fait esperer et que ces choses ne se demandent ny ne s’obtiennent facilement vous en userez comme il vous plaira et vous vous reserverez si vous le jugez apropos pour quelque meilleure occasion. Enfin je ne pretens point vous importuner pour autruy dans une affaire de cette nature. C’est bien assez que je le fasse pour moy. Seulement je vous prie de vous excuser de la meilleure grace qu’il sera possible et cela suffit. »

Provenance :                                                                                                                                                                                                                                     • Louis-Étienne HÉRICART DE THURY (1776-1854, de l’Académie des sciences, descendant de Louis Héricart, beau-frère de La Fontaine) ; • Charles-Athanase WALCKENAER (1771-1852, biographe de La Fontaine ;                                                                                                                       • note a.s. en tête de la lettre).

Bibliographie : Œuvres complètes, II, Œuvres diverses, Bibliothèque de la Pléiade (éd. Pierre Clarac), p. 485.

L’Académie française au fil des lettres, p. 46-49.

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