Lot n° 133

PAULHAN JEAN (1884-1968) — Ensemble de soixante-sept lettres autographes et tapuscrites signées adressées à Joë BOUSQUET. — 1929-1946, à l'encre sur papier, divers formats, enveloppes conservées pour certaines, à entête «N.R.F.».

Estimation : 10 000 - 15 000 €
Adjudication : 12 521 €
Description
Correspondance amicale et de travail: à partir de 1938, ils se tutoient et les lettres deviennent plus familières, plus intimes.

En 1929, il remet en question le surréalisme «J'ai trop aimé le surréalisme- c'est peu dire j'ai trop cru au surréalisme- pour que ce grotesque ne me gêne pas. Si le mot «charlatan» vous déplait, mettez que ces gens ne se rendent pas comptent de ce qu'ils font, ou ne s'en soucient pas et que l'on ne doit tenir aucun compte de ce qu'ils affirment d'eux-mêmes. Simplement je ne voudrais pas être d'eux, déjà pour cette seule raison. Ajoutez que je sais pourquoi ils ont commencé à déraisonner. Quand je songe à Breton, à Eluard, je vois des hommes qui ont d'abord apporté les exigences les plus fortes, les plus bouleversantes à force de justesse, celle auxquelles je suis le moins prêt à renoncer. Ils les ont vus repoussées.
Depuis ils boivent pour oublier. La faiblesse des surréalistes est dans leur conformisme»;

1932 : «Tantôt le rendez-vous d'un soir d'hiver m'enchante et tantôt il me paraît faux à crier...Je ne retiens enfin de ces cent trente pages que quelques poèmes...»;

1938 : «Gardez le Tao Te King, s'il vous est nécessaire. Je me reproche à présent d'avoir fait un choix. Or je crois qu'il faut à la fois le fatras et ce qu'il s'en dégage lentement. Mais comment se défaire à jamais de l'illusion que l'essentiel peut se dire» ; «J'en suis encore à me demander pourquoi Marcel Jouhandeau a écrit le Péril Juif. Mais il l'a écrit: et si vous n'avez pas reçu ce petit livre, je vous l'enverrai»; Lui propose d'acheter une oeuvre d'Henri Michaux. «(Que je choisirais avec lui parmi celles de l'exposition Pierre [Galerie Pierre Loeb, novembre 1938] très belles) pour500 ou 600 ? H.M. les vend en général 1500»; «Bien cher ami, le plus impossible de tout serait pourtant que je vous mente. Je ne trouve dans vos nouvelles pages rien qui les sépare des anciennes. C'est toujours cette fuite insensible, cet effilochement, cette perte à tout moment de substance, sans que votre lecteur en soit enrichi, cette suite où rien ne s'accumule, cet échange qui manque au moment où on l'exigeait...Mais qui parlerait de vous sans faire grande place d'abord aux machines que vous montez contre vous-même...».
Il se montre très sévère sur l'art : «depuis la grande époque il ne s'est révélé que deux très grands peintres: Soutine et Fautrier./Je voudrais ajouter Ernst. Pardonne-moi».
Joe Bousquet lui a envoyé une oeuvre d'Ernst qui ne lui plait pas: «Je ne l'aime pas. Je trouve curieux qu'il lui ait donné à tel point l'air d'une reproduction... que tout cela est intellectuel, réfléchi (au mauvais sens du mot) de pur truc et de mécanisme». Lui demande s'il a lu Le Château de Kafka, «le livre le plus merveilleux qu'il soit, et les Vanilliers» [de Georges Limbour];

1939: C.P. lui demande s'il aurait dans ses connaissances quelqu'un qui pourrait accueillir un écrivain espagnol échappé des camps de concentration. Découvre la pratique de l'opium de Joë Bousquet : «je suis content de savoir enfin le sens de cette pipe et de cet envoi (mais soyez très prudent). Je dois revoir Artaud dans quelques jours. La question des devises est je pense assez grave». Sur un article de Bousquet à paraître aux Cahiers du Sud : «et je serais si désireux qu'il y ait entre la NRF et eux plus d'amitié. Hier longuement parlé de vous avec Daumal». J. Paulhan vit chez Joë Bousquet, «Où cette entrée de neige et d'escalier m'était si vite ouverte». Il a «vu chez Parisot les cinq plus beaux Ernst que je connaisse (avec les tiens), Eluard ne veux plus, près de lui de ces toiles surréalistes. (Qui, dit-il, le troublent)».
Remarquable correspondance.
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