Lot n° 53

GAUGUIN Paul (1848-1903) — Lettre autographe signée adressée à [William MOLARD]. — [Tahiti, Novembre 1895], 3 pages ¼ in-4 à l'encre sur papier (pliures et déchirures).

Estimation : 15000 - 20000
Adjudication : Invendu
Description
♦ Superbe lettre adressée au compositeur suédois William Molard dont il fit le portrait, sur son installation à Tahiti, à Punaauia, près de Papeete. Il commente une photographie qu'il lui envoie :
«malgré le côté statique où sont accroupies ces femmes il y a à mon oreille un certain rythme sinon barbare du moins très primitif. Il est vrai que je suis porté à voir cela à cause de ma Marote - (la musique suggerée par la vue). On dit que dans l'obscurité on ne sait pas si on fume réellement son cigare. Moi je ne peux pas voir un singe souffler dans un sucre d'orge sans avoir à mon oreille la perception de sons. Ah ! le rêve comme il est facile de le trouver réel [...]».
«Que je vous plains de ne pas être à ma place tranquillement assis dans la case; j'ai devant moi la mer, et Morea qui change d'aspect tous les quarts d'heure. Un pareo et c'est tout : pas de souffrance du chaud ni du froid. Ah l'Europe ! [...]». Puis il donne les nouvelles des îles tahitiennes en révolte depuis 1890 : Huahine, Bora Bora et Raiata qui prétendaient «se gouverner elles-mêmes. Monsieur Chessé est venu ici pour ramener les enfants égarés. Deux ont cédé et le navire de guerre a été avec400 tahitiens toutes les autorités et moi faire des fêtes de réconciliation. Je vous assure qu'on a parlé, hurlé, chanté 4 jours et 4 Nuits extraordinaires de réjouissance tout comme à Cythère. Vous n'avez pas une idée de cela en France. Il reste maintenant à conquérir Raiatea et cela c'est une autre histoire car il va falloir tirer le canon brûler, tuer ; – œuvre de civilisation à ce qu'il paraît. Je ne sais si attiré par la curiosité j'assisterai au combat et j'avoue que cela me tente mais d'un autre côté cela m'écoeure. Drôle de Reine que celle de Bora Bora, et ma foi un esprit prévoyant. Voyant que les fêtes soient tout à fait tahitiennes elle a décrété
- 1° Pendant la durée des fêtes toutes les lois concernant le mariage seront abrogées : aussi Messieurs les possesseurs de femmes sont tenus de garder à la maison leurs épouses sinon toutes les réclamations qui pourront être faites à ce sujet seront nulles.
- 2° Pour que les invités puissent faire un choix convenable les jeunes filles vierges sont par ordre royal obligées de se vêtir en blanc. Je vous promets que pas une n'a manqué et que même des jeunes femmes mariées ont revêtu le costume de vierge. Maintenant tout est rentré dans l'ordre; je vous dirai l'année prochaine si ces fêtes auront donné des fruits excellents [...] Quelle drôle de destinée est la mienne, celle d'être toujours dans l'alternative : être toujours à une table de jeu où on ne gagne pas souvent».

♦ Lettre exceptionnelle.

Signed autograph letter addressed to [William MOLARD]. Tahiti, November 1895], 3 pages ¼ in-4 in ink on paper (folds and tears). Superb letter addressed to the Swedish composer William Molard, whose portrait he made, on his installation in Tahiti, in Punaauia, near Papeete. He comments on a photograph he sent him: "in spite of the static side where these women are crouching, there is in my ear a certain rhythm, if not barbaric, at least very primitive. It is true that I am inclined to see this because of my Marote - (the music suggested by the sight). It is said that in the darkness one does not know if one really smokes one's cigar. I can't see a monkey blowing in a candy cane without having the perception of sounds in my ear. Ah! the dream as it is easy to find it real [...]". "How I pity you for not being in my place, sitting quietly in the hut; I have before me the sea, and Morea who changes appearance every quarter of an hour. A pareo and that's all: no suffering from the heat or the cold. Ah Europe! [...]». Then he gives news of the Tahitian islands in revolt since 1890: Huahine, Bora Bora and Raiata which claimed to "govern themselves. Mr. Chessé came here to bring back the lost children. Two of them gave in and the warship was with400 Tahitians all the authorities and I had reconciliation parties. I assure you that we spoke, shouted, sang 4 days and 4 extraordinary nights of rejoicing just like in Kythera. You don't have an idea of that in France. It remains now to conquer Raiatea and that is another story because we will have to fire the cannon, burn, kill; a work of civilization it seems. I don't know if I am so curious that I will attend the battle and I admit that I am tempted but on the other hand I am disgusted by it. She is a queer queen than the queen of Bora Bora, and my faith a far-sighted spirit. Seeing that the celebrations are completely Tahitian, she decreed: 1° During the celebrations all the laws concerning marriage will be repealed: also, gentlemen, the owners of wives are obliged to keep their wives at home, otherwise all the claims that can be made on this subject will be null and void. 2° In order that the guests may make a suitable choice, virgin girls are by royal order obliged to dress in white. I promise you that there was no lack of them and that even married young women have dressed as virgins. I will tell you next year if these celebrations have produced excellent fruit [...] What a strange destiny I have, to always be in the alternative: to always be at a gambling table where you don't win often". Exceptional letter.
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