Lot n° 83

[Manuscrit enluminé du XVe siècle]. Livre d'heures de Jean de Mahieu et Jacqueline de Sivry, à l'usage de Tournai. Pays-Bas méridionaux, vers 1475-1480. Manuscrit calligraphié sur parchemin, 167 × 116 mm (130 × 183 × 65 mm reliure incluse),...

Estimation : 10000 - 15000
Adjudication : 28 000 €
Description
[198] feuillets écrits au recto et au verso sur une colonne de 17 lignes, surface d'écriture : 61 × 93 mm (marge. ext. : 37 mm ; marge inf. : 48 mm ; marge int. : 20 mm ; marge sup. : 22 mm ; interlignes : 5 mm). Reliure du XVIIe siècle ; basane havane sur ais de bois, dos à 4 nerfs, titre doré ; les premier et dernier f. du manuscrit contrecollés sur les contreplats, le dernier comportant du texte (mors sup. fendu, dos dédoré, épid. ; mouillure marginale en pied de pages en début de volume, puis sporadique très modérée). Des variations remarquables de l'écriture et du style des décors marginaux laissent supposer que trois manuscrits d'époque et de provenance similaires ont été reliés ensemble au XVIIe siècle : un livre d'heures et deux ensembles d'oraisons. Plusieurs feuillets ont été remontés en désordre (voir f. 66-68 ; 161-162), ce qui n'amoindrit en rien la cohérence ni la qualité du livre d'heures, par ailleurs complet. Provenance : collection Jean-Baptiste-Florentin-Gabriel de Meyran, marquis de Lagoy (1764-1829) ; par descendance. Neveu et exécuteur testamentaire du marquis de Méjanes, dont la collection constitua le premier fonds de la bibliothèque publique d'Aix-en-Provence, le marquis de Lagoy s'est principalement distingué par sa collection de dessins anciens. Autre mention de possesseur antérieure manuscrite au contreplat supérieur : « jean fra[n]sois de Lescluse demeurant à Frasne ». Remarquable livre d'heures illustré de vingt-deux miniatures à pleine page et de nombreuses lettrines, réalisé par un atelier flamand pour un couple de drapiers de la fin du XVe siècle. 10 000 / 15 000 € Provenance Les commanditaires de ce livre d'heures ont été représentés en prière aux pieds de la Vierge (f. 119v), deux anges tenant au-dessus d'eux leurs armes respectives. On trouve ainsi, à gauche, d'argent à deux quintefeuilles de gueules en chef et une merlette de sable en pointe (de Mahieu) ; et à droite, parti : au 1 du même ; au 2, écartelé : aux 1 et 4 burelé d'argent et d'azur (de Sivry) ; aux 2 et 3 d'or à deux chevrons de gueules (de Montigny). La combinaison de ces armes permet d'identifier Jean Antoine de Mahieu, écuyer, seigneur de Bosqueau, fils cadet d'Henri de Mahieu et Isabeau de Landas, né vers 1460. Auprès de lui se tient son épouse Jacqueline de Sivry, dame de Buath (Rietstap 1861, p. 130 et 784). Cette famille d'ascendance ancienne, originaire de la région de Cambrai, a compté de nombreux drapiers et échevins aux XIVe, XVe et XVIe siècles, notamment à Mons et Audenaarde (Delcourt 1865, p. 449-450). Le calendrier confirme une origine dans les Pays-Bas méridionaux : plusieurs saints particulièrement honorés au diocèse de Tournai y apparaissent, dont certains ne sont attestés que dans quelques manuscrits provenant des diocèses de Cambrai, Liège et Tournai. On trouve ainsi saint Achard de Jumièges (15 septembre), également attesté dans le manuscrit Saint-Amand, ms. Lat. 1101 (missel, diocèse de Tournai, XIIIe s., Leroq. M. 323) et Lat. 843 (missel, XIIe s., Leroq. M. 125). Saint Bavon de Gand (1er octobre) dont on connaît seize occurrences entre Lübeck et Trèves de 1478 à 1547, est aussi mentionné dans le manuscrit Ratzebourg, Sankt Nicolaus in Wismar, ms. var. 1. Ce dernier, comme notre livre d'heures, commémore en outre Aldegonde de Maubeuge (30 janvier) et Brigitte (1er février), Amand de Maastricht et Vaast d'Arras (7 février), Scholastique (10 février), Julienne (16 février) et Gertrude de Nigelles (17 mars), Tirburce (14 avril), Nicomède (1er juin) et Barnabé (11 juin). Saint Ghislain de Mons (9 octobre) est attesté par ailleurs à deux reprises dans les manuscrits Saint-Amand, ms. Lar. 1101 (missel, diocèse de Tournai, XIIIe s., Leroq. M. 323) et Cambrai, ms. Lat. 17311 (missel, XIVe s., Leroq. M. 403), lequel commémore également Amand de Maastricht et Vaast d'Arras (6 février), Gertrude de Nigelles (17 mars), Tiburce (14 avril), Potentien (19 mai) et Nicomède (1er juin). Saint Ursmar de Lobbes, évangélisateur de Flandre et du Hainaut (18 avril), est rencontré en deux autres occurrences dans des bréviaires de Liège dont le ms. Darmstadt 394 (XVe s.). Saint Donatien de Reims (14 octobre) est attesté en huit occurrences dont un bréviaire réalisé en Flandre au XVe s. (Lat. 1314, Leroq. B. 587), et deux manuscrits franciscains de Cambrai, ms. Lat. 1047 (bréviaire, XVe s., Leroq. B. 506) et Lat. 9945 (missel, XVe siècle). Saint Valéry de Leuconay (1er avril) est connu à cette date en cinq occurrences, dont deux missels originaires du Nord de la France (Mat. 17320, XIVe s., Leroq. M. 414 et Rouen, Lat. 1334, XVe, Ibid.). La dénomination néerlandaise de sainte Livrade (« Ontkommer »), absente du calendrier mais à qui une oraison est dédiée, appuie enfin l'origine flamande du manuscrit ; le culte de cette sainte, attesté à partir du XVe siècle, a précédé son entrée au Martyrologe romain en 1583. Contenu liturgique Calendrier à l'usage de Tournai (f. 1r-12v) ; Heures de la Croix (f. 14r-21v) ; Heures du Saint-Esprit (f. 23r-28r) ; Messe de la Vierge (f. 29r-34r) ; Quatre passages des Évangiles de l'Enfance (f. 34v-39v) ; Heures de la Vierge selon l'usage de Rome (f. 41r-102v) ; Psaumes pénitentiels (f. 104r-119r) ; office pour la vigile des défunts (f. 121r-160v) ; oraison à réciter pendant la messe, à l'élévation : « Qui dist cest orison entre le levation [de] n[ot]re Sign[eur] : il acquier xx mille et xxi jours de vray pardo[n] » (f. 162r-163r) ; oraisons à saint Jacques le Majeur (f. 164r-164v), saint Hubert (f. 165r-165v), saint Paul (f. 166r-166v), saint François d'Assise (f. 167r-167v), sainte Barbe (f. 168r-168v), saint archange Michel (f. 170r-170v) ; oraison sur la Passion du Christ, suivie des lectures de la Passion du Seigneur Jésus Christ selon l'Évangile de Jean (f. 171r-174v) ; oraison dévote au Christ (f. 174v-177v) ; oraisons du propre de la Trinité (f. 178r), de saint Michel archange (f. 178r-178v), des saints anges (f. 178v-179v), de saint Jean Baptiste (f. 179v), de saint Jean l'Évangéliste (f. 180r), des saints apôtres (f. 180r-180v), de saint Christophe (f. 180v-181v), saint Sébastien (f. 181v-182r), saint Georges (f. 182r-182v), saint Hadrien (f. 182v-183r), saint Hubert (f. 183r-183v), saint Antoine le Grand (f. 183v-184r), saint Nicolas (f. 184r-184v), saint Joseph (f. 184v-185r), sainte Marie-Madeleine (f. 185r-185v), sainte Marthe (f. 185v-186r), sainte Catherine (f. 186r-186v), sainte Barbe (f. 186v-187r), sainte Agathe (f. 187r-187v), sainte Agnès (f. 187v-188r), sainte Livrade (f. 188r-188v), des vierges (f. 188v-189r) ; huit Vers de saint Bernard (f. 189r-190r) ; oraison à sainte Marguerite (f. 190v) ; oraison pour les défunts : « à celui qui la lit, autant de jours de pardon que de défunts ensevelis dans l'église ou le cimetière où on la lit » (f. 191r-192v) ; oraison à la Vierge, à lire le samedi (f. 193r-199r). Décor : Vingt-deux miniatures à pleine page (107 × 62 mm) illustrent ce livre d'heures, marquant le début des différentes sections de l'office divin. Les miniatures prennent place sous un liseré doré inscrit dans un encadrement à large bord (140 × 100 mm). Les marges, tapissées de rinceaux de feuillage émaillés de fleurs et de fruits, sont habitées d'animaux, de créatures fantastiques hybrides - chimères et oiseaux à tête humaine -, et de personnages d'allure grotesque jouant des instruments de musique. Quatre miniatures de plus petit format (37 × 32 mm) indiquent en outre le commencement des lectures des quatre Évangiles qui suivent la fin de la Messe de la Vierge (f. 34v-39v). Trois miniatures à pleine page (107 × 62 mm) illustrent la première section du manuscrit - Heures de la Croix et du Saint-Esprit, Messe de la Vierge. On trouve tout d'abord, au début des Heures de la Croix, une composition alliant la Descente de croix et la Mise au tombeau (f. 13v). Précédant les Heures du Saint-Esprit, une image de la Pentecôte s'inscrit dans l'élégante perspective d'une salle percée de hautes baies (f. 22v). La Messe de la Vierge est quant à elle introduite par une miniature figurant la Vierge en majesté, entourée d'anges, dans un décor architectural tendu d'étoffes rehaussées d'or (f. 28v). Sept miniatures à pleine page (107 × 62 mm), relatives à l'Enfance du Christ, ponctuent les Heures de la Vierge. L'image de l'Annonciation marque le début des matines (f. 40v) ; la Visitation, celui des laudes (f. 51v) ; la Nativité est représentée au début de prime (f. 62v) [une allégorie des Vierges sages, remontée par erreur avant le début de tierce (f. 67r), se rattache à la deuxième section du manuscrit]. La série de l'Enfance reprend avec l'Annonce aux bergers, au début de sexte (f. 72v), la Présentation au Temple, au début de none (f. 77v), Hérode ordonnant le massacre des Innocents, au début des vêpres (f. 82v), et s'achève avec la Fuite en Égypte, au début des complies (f. 90v). Douze miniatures (107 × 62 mm), dont le sujet se rapporte au contenu des prières, rythment la section des oraisons. On trouve ainsi la Descente de croix, au début de l'oraison dévote à la Vierge (f. 96v) ; la Vierge et saint Jean en prière devant le Christ en majesté, au début des sept Psaumes pénitentiels (f. 103v) ; les donateurs en prières devant la Vierge à l'Enfant, à la fin des Psaumes pénitentiels (f. 119v) ; une image de la célébration des funérailles, au début de la vigile des défunts (f. 120v) ; la Messe de saint Grégoire, au début de l'oraison au Christ (f. 161v) ; saint Jacques le Majeur en pèlerin, au début de l'oraison qui lui est dédiée (f. 164r) ; saint Hubert en prière devant le cerf (f. 165r) ; saint Paul (f. 166r) ; saint Françoise d'Assise recevant les stigmates (f. 167r) ; une femme en prières devant sainte Barbe (f. 168r) ; et l'archange Michel pesant les âmes (f. 171r) [une oraison en mémoire des vierges saintes devait être introduite par la miniature actuellement reliée f. 67r]. Quatre vignettes (37 × 32 mm) scandent les lectures des Évangiles de l'Enfance (Jn 1, 1-14 ; Lc 1, 26-38a ; Mt 2, 1-12 ; Mc 16, 14-20). Elles représentent les quatre évangélistes en train d'écrire, inspirés par les créatures du Tétramorphe qui les symbolisent. Saint Jean (f. 34v), sur l'île de Patmos, déroule sur ses genoux un long rouleau tandis que l'aigle tient dans son bec ses encriers ; Luc (f. 35v), Matthieu (f. 37r) et Marc (f. 38v) sont assis quant à eux sur des trônes ouvragés, devant une tenture à filigranes d'or, accompagnés du taureau, de l'ange et du lion. Le style des initiales ornées est à rapprocher de celles que l'on peut observer dans deux manuscrits brugeois, issus de l'atelier de Guillaume Vrelant dans les années 1470 : Bruxelles, KBR, ms. IV 145 et Paris, Arsenal, ms. 652. Sur un fond d'or, les contours des lettrines sont tracés en bleu et pourpre rehaussé de blanc, tandis qu'un entrelacs bleu et rouge rehaussé de fleurettes forme l'intérieur de la lettre. Le style des décors marginaux qui constituent l'encadrement des frontispices reflète la fidélité du peintre aux modèles prestigieux de l'époque, parmi lesquels le Livre de prières de Charles le Téméraire (Los Angeles, John Paul Getty Museum, ms. 37) a pu constituer une possible source d'inspiration. Le traitement du décor marginal y est caractérisé par une profusion d'essences végétales élégamment parsemées sur le fond laissé en réserve et ceint d'un mince liseré rouge : fleurs de pavots, chardons, pensées et de roses y côtoient fraises et baies rouges, alternant avec des rinceaux d'acanthes traités en deux tons de bleu et d'or, jaillissant parfois d'un canthare disposé dans un angle. La technique consistant à entrelacer les tiges des rinceaux connaît des parallèles étroits dans le ms. Bruxelles KBR IV 145 (v. 1470), de même que l'usage de moucheter le parchemin d'une multitude de points dorés. Tout comme l'encadrement des miniatures à pleine page, les marginalia accordent une place notable aux figures chimériques. On relèvera en particulier, au début des Heures de la Vierge, le dragon à visage humain dont la queue se termine par la tête d'une femme coiffée d'un hénin - probable allusion au combat contre les tentations charnelles, auxquelles répond l'image de l'Annonciation qui surmonte ce décor. La figure de coq dont la queue s'achève en une tête humaine trouve aussi un parallèle dans le ms. KBR IV 145. La composition des scènes et la technique picturale offrent enfin quelque analogie avec le manuscrit Paris, Arsenal, ms. 652, dont le traitement des figures humaines se distingue néanmoins. Le livre d'heures des époux Mahieu, vraisemblablement un couple de drapiers, peut ainsi être situé dans la lignée de ces prestigieuses productions brugeoises : le rayonnement de ces ateliers suscitait l'émulation d'une multitude d'artisans, à même d'adapter leur oeuvre aux moyens des commanditaires. Bibliographie B. Bousmanne & Th. Delcourt (dir.), Miniatures flamandes, 1404-1482, Bibliothèque nationale de France / Bibliothèque royale de Belgique, Anvers, 2011. V. Leroquais, Les livres d'heures illustrés de la Bibliothèque nationale, Paris, 1927. J.-B. Rietstap, Armorial général d'Europe, Gouda, 1861. F. J. Delcourt, « Généalogie de la famille de Mahieu », Annales de l'Académie royale d'archéologie de Belgique, 21, 1865.
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