Lot n° 167

LA FRESNAYE ROGER DE (1885 - 1925) — 16 L.A.S. «Roger», dont 3 avec dessins, [vers 1910 - 1915 ?], à son cousin Georges de MIRÉ, au château de La Fresnaye près de Falaise ; environ 60 pages in-8 et in-4, la plupart à son chiffre, 2...

Estimation : 8000 - 10000
Adjudication : Invendu
Description
enveloppes (quelques légères déchirures et traces de pliure).
♦ Très belle correspondance à celui que Roger de La Fresnaye considérait comme un frère et son plus proche ami.

[Georges de MIRÉ (1890 - 1965), peintre lui-même, fut un des premiers col­lectionneurs d'art africain ; La Fresnaye fit son portrait en 1910 (Metropolitan Museum).]
Les lettres, la plupart non datées, s'étalent sur les années 1910 - 1915. Le peintre se livre avec sincérité et humour, et se laisse aller à de libres confidences ; il ne cache ni ses tourments ni son sentiment d'échec, et rapporte ses soucis avec son modèle, Marie Valentine, qui est aussi sa maîtresse, et lui fait des scènes. Il évoque son travail, sa vie à Paris avec les concerts, les dîners et les rencontres, la solitude dans son atelier de Beauvernay. On y trouve les noms de galeristes et d'éditeurs (Bernouard), de confrères et amis : Desvallières «très gentil» ; Van de Velde, «un homme tout à fait épatant d'intelligence et d'activité» qui doit s'occuper du «Théâtre Montaigne» (futur Théâtre des Champs-Élysées) ; Paul Vera, avec qui il collabore «pour une chambre à coucher : à moi le dessin des meubles, à lui l'arrangement coloré» ; Abel Truchet ; Jean-Louis Gampert ; André Mare ; Paul-Élie Ranson, dont il a fréquenté l'Académie ; Robert Delaunay, «l'être le plus simple que je connaisse et on ne peut résister au plaisir de lui rétorquer des choses désagréables. Seulement il a des idées, chose rare, car cela est quelquefois compatible avec la crapulerie» ; Charlotte Gardelle ; le couturier Poiret, etc. Mardi soir : il assiste à une «lecture prétentieuse de notre «Poète-homme-du-monde», et termine sa lettre par le dessin d'une main tendue...

- Jeudi 16 : il va à l'atelier «y faire mes couches d'une statue dont la conception, je crois, avance. Malheureusement la terre est sèche»...
- Jeudi soir : «Ce que t'a dit Desvallières au sujet des brigands correspond à sa marotte de la signification littéraire d'un tableau». Il travaille «au moulage et à la “finition” de ma statuette et de mon relief» Il a dû «tout retailler, repolir, regratter»..
Beauveray, samedi soir [1910]. Il rentre de voyage et s'émerveille de la beauté de la région ; il travaille à sa statue et espère qu'elle sera prête pour le Salon d'automne :
«Je me retrouve encore sans guide devant ma terre et l'idée que j'ai en tête. J'ai bien, bien peur de retomber encore dans une sculpture pauvre, anémiée, littéraire en un mot». Il fait aussi «des dessins à l'encre de chine et au pinceau pour illustrer Tête d'Or. Je tâche d'illustrer le drame en m'inspirant uniquement des choses que peuvent évoquer les images poétiques dont il fourmille. L'illustration deviendrait ainsi comme un accompagnement en harmonie avec l'esprit du texte.» Il compte envoyer au Salon «ton portrait, ma grande toile et mon paysage de Munich». Il se trouve «très suffisamment heureux» et se réjouit qu'ils aient «la chance de nous comprendre sur beaucoup de points : tâchons d'arriver à nous comprendre sur tout, à mériter notre confiance réciproque à être vraiment deux amis»...
- Samedi 11 mars [1911] : il a vu L'Oiseau Bleu de Maeterlinck, dont il critique la mise en scène : «J'aurais préféré qu'on s'inspirât de l'esprit russe en l'appliquant à nos habitudes»
- Mardi [14 mars 1911] : il a vu Bernouard qui «prendra volontiers mon bas-relief, mais déclare ne rien comprendre à mon paysage. Je suis vexé. [...] Mon Dieu, Georges, je ne vois pas d'issue à ma vie ! Comme je souffre ! Pas une affection vraie, pas un être à qui me confier entière­ment. [...] Georges, Georges, je n'ai ni talent, ni bonheur, ni volonté, ! Je voudrais mourir...»
- Lundi 27 mars : «J'ai repris mon paysage d'automne. Et de même qu'en mangeant vient l'appétit ainsi me venaient en travaillant des idées de volumes et de masses»....
- Meulan, Dimanche 4 août : il déjeune avec Henri «retour de Saint-Raphaël où il a été assister aux essais de l'hydroaéroplane Nieuport», et fait une promenade en auto «sur les rives bénies de la belle Seine» dont il vante l'harmonie...
- La Ferté-sous-Jouarre, lundi soir : dessins des trois mouvements de la brasse : «L'eau après l'orage est délicieusement chaude : nulle surprise, nul saisissement ; mais pourquoi faut-il que le créateur m'ait doué d'une densité extraordinaire et jamais encore constatée par le maître-nageur ? Ce doit être le génie». Il va quitter avec regret «cette blanche petite ville [...] et ce café, caverne remplie des mystérieux et innombrables trésors des Pernod, des Picon, des Vermouth, des Byrrh, etc. J'en suis maintenant à 4 absinthes avant chaque repas : mon talent augmente à vue d'oeil !».
- Dimanche : dîner chez Ranson, où il s'est ennuyé et s'est amusé à observer les maîtres d'hôtel, «deux Hercules » : « Sérusier qui avait pourtant écrit son discours a misérablement séché au milieu ne pouvant pas se lire »…
- Mardi, avec 2 dessins en tête de la lettre (un homme emmitouflé près d’un poêle, et des toits d’immeubles sous la pluie) : il a dîné avec le Hongrois Hatvany et Fontenay, et fait un retour sur lui-même, et se dit « en contemplant le néant de mon pauvre “moi” : tu n’existes pas, tu n’as rien de ce que tu aimes trouver chez les autres, tu es le raté […] Je ne sais pas me conduire dans la vie. Te rends-tu compte de toutes ces lacunes terribles dont je souffre et me le caches-tu par amitié. […] Je pense par instants que connaître beaucoup de monde est le premier des biens. À d’autres, je rêve d’un renoncement total au monde, de vie à la campagne etc… »
- Jeudi et jeudi soir « Je travaille au portrait de Bela [Czobel ?], qui ressemble pour l’instant à une baraque d’arracheur de dents, à la foire. Il a aussi quelque chose de celle du prestidigitateur, car il y a une cage à
oiseaux dans le fond.
- Jeudi soir 21 juillet. Il travaille à des natures mortes. « Mais ma principale occupation est de souffrir. Je souffre de plus en plus moralement. Je me réveille avec une oppression terrible sur le coeur une terreur de la
journée qui va venir. […] J’ai été voir Desvallières », mais dans ce milieu où règne la gaîté, « je me fais l’effet d’un damné qui viendrait regarder par une fente ce qui se passe au paradis ». Il demande cependant à Georges de lui trouver un cadre pour son grand tableau. « Ma statue, moulée la semaine dernière, part demain. Cruelle désillusion depuis qu’elle se présente librement au soleil, sous le ciel bleu : ce n’est
pas le chef-d’oeuvre ! Oh dam non ! Je travaille à un grand bas-relief ».
- 7 juin 1915 : le soldat La Fresnaye entend la canonnade au loin dont l’intensité est telle qu’elle ne laisse « plus une minute de répit aux malheureux occupants des tranchées. Le fusil ne sert plus, la grenade le remplace, et la baïonnette va céder le pas au couteau. On a vu les hommes d’une compagnie pleurer comme des enfants sous les bombardements. » Il ne sait pas s’il en reviendra et demande de lui envoyer son revolver Webley. ; « Tous nous sommes bien las et bien changés moralement : seule la grosse gaîté du vin et des mets fait grimacer notre peau tannée et ridée »…

— On joint :
- 2 L.A.S. et un télégramme, 3 décembre 1917 et 30 avril 1919, à
Maurice RAYNAL, au sujet d’un projet avec Jean Cocteau, pour l’illustration
de Tambour…
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