Lot n° 391

Marcel PROUST. Lettre adressée à Henry Bernstein. Sans lieu ni date [Évian, vers 1903 ?]. …

Estimation : 3 000 - 4 000 EUR
Adjudication : 13 000 €
Description
Marcel PROUST. Lettre adressée à Henry Bernstein. Sans lieu ni date [Évian, vers 1903 ?].
Lettre autographe signée “votre Marcel”, 6 pages ½ in-8.
Importante et longue lettre inédite à Henry Bernstein où il est question de vente de valeurs, de la crainte de passer pour joueur, d'amour, d'amitié, de voyage à la Mer de Glace, de crises d'asthme, de Ruskin, et du voyage de retour d'Évian “à petites journées pour voir des églises”.
Le début a été biffé par Proust lui-même ; sur la foi d'une information erronée, il affirmait avoir reçu l'envoi tant attendu, ce qui n'est pas le cas.
A la place, il a reçu une lettre d'un M. Lazard qui lui propose de céder des valeurs : il lui a adressé une réponse dilatoire étant, dit-il, “ennuyé et inquiet.
Car si cela arrivait à l'oreille de mes parents qui savent que je n'ai pas 50 francs devant moi et que le 8 de chaque mois il ne me reste jamais un sou [...], ils croiraient que j'ai emprunté pour jouer. Et ils considèrent dans des idées follement provinciales, bourgeoises et scientifiques le jeu comme une chose tellement dangereuse, qu'un jour où j'avais gagné 20 fr. aux courses, mon père l'ayant su en a été malade 15 jours”.
Ainsi, Proust demande-t-il conseil à Bernstein et lui dévoile les raisons de son silence. D'une part, il attendait le colis promis et, d'autre part, il souhaitait ne pas être indiscret : “Vous entriez dans une phase de votre vie sentimentale où souvent les choses se brusquent vers le bonheur ou vers la rupture avec une telle rapidité, avec une allure si précipitée de maladie grave et, dans les deux cas, courte, qu'il valait mieux laisser les choses “suivre son cours” et ne demander des nouvelles que quand le médecin (qui est vous-même dédoublé) pourrait se “prononcer” de manière moins précaire. Il me semble maintenant que les péripéties intimes de votre amour, et les incidents extérieurs qui les commandaient, ont dû, à l'heure qu'il est, dénouer ou serrer solidement le noeud.
Je serais content d'avoir par vous quelques renseignements à cet égard, j'entends surtout des renseignements moraux et propres à contenter plutôt mon affection que ma curiosité.”
Proust poursuit de manière plus énigmatique à propos de la visite “de l'ami que vous me destiniez. Je suis sûr que vous ne vous trompez pas sur son coeur chaleureux mais il le cache sous une rudesse que je n'avais pas la force de percer car j'étais follement malade.”
La veille, il s'était en effet rendu à Chamonix, en compagnie de Louis d'Albufera et de Louisa de Mornand ; de là, les trois compagnons se rendirent sur la Mer de Glace à dos de mulet. Six heures sur une monture “dans les crises d'asthme incessants, fumant à chaque station et mourant dans le trajet.
J'étais revenu à 2 heures du matin en automobile, dans des spasmes de suffocation indescriptibles. A onze heures du matin, j'avais été en état à peine de me coucher. Et comme je venais de m'endormir l'ami que votre gentillesse m'avait choisi venait me réveiller. Aussi je l'ai reçu dans un tel état d'épuisement que ses impressions sur mon compte ont dû être fort au-dessous des miennes sur le sien”.
Proust accuse réception d'une carte “gentille mais idiote” destinée à Fénelon : “C'est sur le côté de l'adresse que je vous avais dit de mettre « M. Bertrand de Salignac etc. » C'était l'adresse. Vous en avez fait une sorte d'adresse, dans l'autre sens du mot, comme le directeur du théâtre de St Pétersbourg en envoie à
M. Claretie quand il y a l'alliance russe, ou la Chambre de Commerce d'Odessa à la Chambre de Commerce de St Affrique. De sorte que cela a l'air ironique et maussade ; il croira que vous avez été prié par moi et que vous vous en vengez sur lui. En fait c'est sans doute à peu près cela que vous avez voulu. C'est donc très bien. Et je suis heureux.”
Il prépare un “article clérical (non) idiot” pour Le Temps et doit en fournir un autre à Ollendorf. Il a également eu le malheur de tomber sur deux volumes de Ruskin évoquant la Savoie : “et maintenant je suis saccagé jusqu'à l'insomnie du désir d'aller dans ces endroits. Je sais d'avance que je m'y déplairai. [...] La fréquence des désillusions n'a pas diminué chez moi et exaspéré plutôt jusqu'à une sorte d'ardeur désespérée, la violence des désirs. Des désirs d'endroits. Car pour les personnes c'est un peu autre chose.
Cher ami vous m'avez écrit sur ce que votre amour est pour vous des choses vraiment admirables. Je ne sais plus ce que La Rochefoucauld (pas Gabriel) dit sur le 1er amour. Et il ajoute ces mots sublimes « Les autres sont moins involontaires » ! Mais les êtres comme vous (je n'ose pas ajouter et comme moi, ce serait trop d'orgueil) n'ont pas de premier amour, et rien chez eux n'est tout à fait involontaire. Nous sommes comme certains poitrinaires qui commencent leur maladie par la 2e phase (et ce n'est qu'à la 1ère qu'on guérit, les soigner au commencement ne sert donc à rien puisqu'ils « sautent » le commencement...) [...]
Du reste je ne
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