Lot n° 11

CÉLINE (Louis-Ferdinand) — Lettre autographe signée « Louis » à Karen Marie Jensen.

Estimation : 2000 - 3000 €
Adjudication : Invendu
Description
S.l., [début juin 1936]. 3 pp. 1/3 in-folio.
« Chère Karen. Enfin ! de vos nouvelles, je vous croyais fâchée à mort ! Je vous ai écrit plusieurs fois ! [...]
VOUS AVEZ EU DE TERRIBLES EPREUVES ! VOUS AVEZ AUSSI, KAREN, UN TERRIBLE COURAGE ! COMME IL EST MALHEUREUX QUE VOUS NE SOYIEZ PAS UN PETIT PEU PLUS DOUCE. VOUS SERIEZ DIVINE. Donc vous remontez vers le Nord, et Copenhagen.
Je ne sais pas du tout où j'irai cet été. Cela dépendra de bien des choses. Peut-être N[ew] York, ou Russie, ou Norvège, ou Bretagne. J'ai été aussi bien malade. Je vais mieux mais je souffre encore de migraines. Je ne retravaillerai pas à un autre livre avant l'hiver, mais je retourne au dispensaire en octobre. Il le faut ! hélas ! pour la petite monnaie !
JE VENDS ASSEZ BIEN LE NOUVEAU LIVRE [MORT A CREDIT, paru le 25 mai 1936], EN DÉPIT DE TANT DE HAINES ET DE JALOUSIE. JE SUIS JE CROIS L'AUTEUR LE PLUS DÉTESTÉ DEPUIS ZOLA [Robert Denoël reprendrait cette comparaison dans sa brochure Apologie de Mort à crédit, qu'il publierait en juillet 1936]. Jamais je n'aurais cru une telle hargne possible. Aussi les événements ! qui empêchent beaucoup de lire... Pour vous l'envoyer, où serez-vous ? J'ai peur qu'il se perde. Aussi les années passent.
J'ai été à Londres récemment. J'ai déjeuné avec Bartholin [Birger Bartholin, le danseur, chorégraphe et futur pédagogue, ami de Karen Marie Jensen], tout à fait gentil et loyal. Il ne peut pas grand chose pour mon ballet ! Hélas !
TRAVAILLER POUR LES HOMMES, KAREN, C'EST TRAVAILLER POUR DES COCHONS. CELA NE SERT A RIEN.
Comment vont vos amours, Karen ? Combien de malheureux faites-vous chaque semaine ? La moyenne est bonne ? GEN PAUL NE VOUS OUBLIE PAS. IL EST TOUJOURS A VOS PIEDS, FANATIQUE ET INCONSOLABLE. JE SUIS ENCORE UN PEU TOUCHÉ MAIS JE ME CONSOLE BEAUCOUP MIEUX ET JE VOUS EMBRASSE... »

L'AMIE DANOISE KAREN MARIE JENSEN, DÉDICATAIRE DE L'ÉGLISE. Danseuse issue d'une riche famille, elle vint en tournée à Paris en 1931 et y rencontra Céline par l'intermédiaire de la maîtresse américaine de celui-ci, Elizabeth Craig. En 1933, quand Elizabeth Craig rentra aux États-Unis, Karen Marie Jensen la remplaça un temps auprès de l'écrivain, qui la fit ainsi entrer dans son cercle intime : Gen Paul s'en enticha et Henri Mahé fit son portrait. Céline la revit à Chicago et à New York en 1934 mais ils rompirent, se conservant malgré tout l'un à l'autre une solide amitié amoureuse – Céline lui proposerait encore en 1935 de partager sa vie. Elle lui rendit ensuite un immense service : Céline, inquiet des rumeurs de guerre et des remous suscités par ses engagements antisémites, craignant devoir un jour quitter la France, plaça sa fortune en or dans une banque danoise et confia la clef du coffre à Karen Marie Jensen. En 1943, pour éviter une saisie allemande, il lui demanda de retirer cet or de la banque pour le cacher. Karen Marie Jensen, alors en Espagne, fit enterrer tout cela dans le jardin de sa maison de campagne danoise, par son amie d'enfance Ella Johansen. Malgré une brouille, l'or fut restitué à Céline à sa sortie de prison en 1948.

Lettres, n° 36-35.
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