Lot n° 12
Sélection Bibliorare

CÉLINE (Louis-Ferdinand) — Manuscrit autographe intitulé « Mea culpa ».

Estimation : 25000 - 35000 €
Adjudication : Invendu
Description
[1936]. 44 ff. avec ajouts, ratures et corrections, montés dans 2 volumes in-folio, chagrin souple noir, doublures et gardes de box, chemises à dos et bandes de chagrin, étui bordés ; trous de classeurs en marge des 13 ff. montés dans le second volume (Loutrel).

MANUSCRIT COMPLET A UN FEUILLET PRES, qu'Henri Godard décrit ainsi : il « se compose d'un premier jet paginé en continu de 1 à 32 et d'une série discontinue d'ajouts, pages isolées ou séries de pages, qui ont par la suite été intégrés au texte final [...]
ON SAISIT ICI VISUELLEMENT A LA FOIS, DANS LA GRAPHIE, LA FIEVRE D'UNE ECRITURE TOUJOURS IMPROVISEE DANS L'INSTANT ET LES ÉTATS SUCCESSIFS, qui sont en l'occurrence au nombre d'au moins quatre. Le premier manuscrit en présente lui-même les deux premiers, par les modifications ou corrections immédiates apportées au premier jet. Les ajouts sur feuilles séparées en constituent un troisième. [Le] texte définitif est donc le résultat d'une quatrième reprise et peut-être davantage pour certaines pages [...]. Dans son écriture, Céline procède toujours par additions, expansions et approfondissements. Aux diverses étapes, il s'emploie à nourrir le texte initial. Ses formules les plus fortes ou les plus drôles viennent souvent dans une reprise ultérieure. Ses ajouts sont des développements. Quand on a l'occasion de les isoler, iles mettent en évidence les idées auxquelles il tient le plus » (dans Céline, Mea culpa).

Les feuillets, longtemps dispersés, ont été réunis ici dans le désordre, en deux temps : le premier volume comprend les feuillets de premier jet avec corrections, et le second volume renferme les feuillets des ajouts successifs.

TEXTE PRESENTANT DE NOMBREUSES VARIANTES AVEC LA VERSION FINALE IMPRIMÉE.

« CE QUI SEDUIT DANS LE COMMUNISME, L'IMMENSE AVANTAGE TOUT COMPTE FAIT, C'EST QU'IL VA NOUS DEMASQUER L'HOMME, ENFIN. LE DEBAR[R]ASSER DES ""EXCUSES"". Voici des siècles qu'il nous berne, lui ses instincts, ses souffrances, ses mirifiques intentions... Qu'il nous rend rêveur à plaisir... Impossible de savoir, ce cave, à quel point il peut mentir ?... Il reste toujours bien planqué, derrière son grand alibi : l'Exploitation par le plus fort. C'est irréfutable comme condé. Martyr de l'abhorré système ! C'est un Jésus véritable. ""Je suis, comme tu es ! il est ! nous sommes exploités"", ça va finir l'imposture ! En l'air l'abomination ! Brise tes chaînes Popu ! Redresse-toi Dandin !... Ça peut pas durer toujours ! Qu'on te voye enfin ! Ta bonne mine ! Qu'on t'admire ! Qu'on t'examine ! de fond en comble. Qu'on te découvre ta poésie, qu'on puisse enfin à loisir t'aimer pour toi-même ! Tant mieux. Le plus tôt sera le mieux ! Crèvent les patrons ! En vitesse ! Les putrides rebu[t]s ! Ensemble ou séparément ! Mais pronto ! subito ! recta ! Pas une minute de merci ! De morts bien douces ou bien atroces ! Je m'en tamponne ! J'en frétille ! Pas un escudos vaillant pour rambiner la race entière ! Au charnier, chacals ! En l'égout ! Pourquoi lambiner ? Ont-ils jamais eux, velus, refusé un seul frêle otage au roi Bénéfice ? Balpeau ! Balpeau ! Pfoui ! En voyez-vous des traînards?... À la reniflette qu'on les bute ! Il faut ce qu'il faut ! C'est la lutte ? Par quatre chemins ? En l'honneur de quoi ? Les privilégiés, pour ma part, je n'irai pas, je le jure, m'embuer d'un seul petit œil sur leur vache charogne ! Ah ! pas d'erreur ! Délais ? Ratata ! Pas un remords ! Pas une larme ! Pas un soupir ! une cédille ! C'est donné ! C'est l'Angélus ! Leur agonie c'est du miel, une friandise ! J'en veux ! Je m'en proclame tout régalé.
Je te crèverai, charogne ! un vilain soir !
Je te ferai dans les mires deux grands trous noirs.
Ton âme de vache dans la danse
Prendra du champ !
Tu verras cette belle assistance
Au Four-Cimetière des Bons-Enfants !
Ces couplets verveux me dansent au cassis ! Je les offre à tous par-dessus le marché, avec la musique. ""L'Hymne à l'Abattoir"", l'air en plus ! C'est complet ! Tout va bien ! Ça ira !... »

LES VERS INSERES ICI PAR CELINE FORMENT UN COUPLET D'UNE CHANSON DE SA COMPOSITION, « LE REGLEMENT », qu'il donnerait également plus au long en 1952 dans Féerie pour une autre fois. Il aurait souhaité qu'elle entre au répertoire d'un artiste et la déposa pour cela à la S.A.C.E.M., mais il finit par l'enregistrer chantée par lui-même sur un disque publié en 1956.

RETOUR D'U.R.S.S. Pour dépenser les droits d'auteur rapportés par la traduction russe du Voyage au bout de la nuit, le rouble n'étant pas convertible, Céline effectua un voyage en Russie de la fin du mois d'août à septembre 1936. Il avait pu, par le passé, faire état d'un préjugé favorable pour certains aspects de la réalité soviétique (par exemple dans son Mémoire d'hygiène sociale de 1932), cependant il était allé en Russie avec un esprit ouvert, sans attentes particulières. Il apprécia Leningrad (Saint-Pétersbourg) mais fut saisi par le délabrement de la ville, les inégalités sociales, la détresse qu'il rencontra dans l'hôpital qu'il visita. Gide, qui séjourna en Russie de juin à août 1936, publia le 13 novembre un Retour de l'U.R.S.S. qui incita probablement Céline à faire de même. Se réservant de parler plus tard des réalisations du pays (plusieurs pages de Bagatelles pour un massacre y seraient consacrées en 1937), il s'attacha d'abord à communiquer ses impressions sur un plan général, philosophique : il exprima donc sa surprise, son dégoût, son pessimisme sur la nature humaine, son refus de toute illusion humaniste ou progressiste, en rédigeant le présent libelle, publié sous le titre Mea culpa le 28 décembre 1936 chez Denoël et Steele.

MEA CULPA EST UN « TEXTE CAPITAL QUI FAIT LE POINT SUR L'ANTHROPOLOGIE ET LA PHILOSOPHIE CELINIENNES A UN MOMENT CRITIQUE DE L'EVOLUTION DE CELINE. Celui-ci part des constats qu'il vient de faire en U.R.S.S., où la fin de l'exploitation capitaliste lui semble n'avoir pas plus amélioré les hommes que leur condition matérielle. Il en tire sur la nature humaine des conclusions dont la sévérité est celle des Pères de l'Église, auxquels il se réfère d'ailleurs explicitement. Ce credo très sombre, et même virulent, ne fait encore place à l'antisémitisme que sous la forme d'une brève mention [...] dont l'effet est ensuite amoindri par une autre en sens contraire [...]. En revanche, ce pessimisme affiché n'exclut pas l'affirmation d'une ""quatrième dimension"" de l'existence humaine, celle du ""sentiment fraternel"". Ce premier pamphlet est bien différent de ceux qui le suivront [...]. Ce condensé de la vision célinienne de l'homme, en mal comme en bien, est une pièce essentielle du puzzle, que l'on peine parfois à assembler, de la figure dessinée par l'œuvre de Céline » (Henri Godard, dans Céline, Mea culpa).

RELIE AVEC 2 FF. IN-FOLIO AUTOGRAPHES DE LA VERSION DEFINITIVE DE MEA CULPA, PRESENTANT DE FORTES VARIANTES AVEC LE PASSAGE CORRESPONDANT DANS LE MANUSCRIT DE PREMIER JET CORRIGE.

VOLUMES SUPERBEMENT RELIES PAR PATRICK LOUTREL.

JOINT : CELINE (Louis-Ferdinand). Mea culpa. Tusson, Du Lérot, 2011. Édition tirée à 300 exemplaires sur bouffant (dont celui-ci) et quelques-uns hors commerce sur hollande. Version préparatoire et texte définitif, édités par Henri Godard, avec reproduction intégrale du présent manuscrit en fac-similé.
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