Lot n° 21

CÉLINE (Louis-Ferdinand) — 3 lettres autographes signées à Victor Carré.

Estimation : 1500 - 2000 €
Adjudication : 1 375 €
Description
Saint-Malo, 1942-1943.
CELINE EN VILLEGIATURE BRETONNE ATTELE A LA REDACTION DE GUIGNOL'S BAND. Fasciné par la mer, il passa en effet ses étés de 1942 et 1943 en Bretagne, grâce à des passe-droits qui lui permirent d'avoir accès à cette zone sensible du dispositif de défense allemand. Il habita notamment à Saint-Malo, dont il évoquerait plus tard la beauté dans Féerie pour une autre fois.

AMI MONTMARTROIS DE CELINE, VICTOR CARRE fut un de ses voisins rue Lepic. Employé d'une étude de notaire, il mena par ailleurs une activité d'historien amateur, et remplit les fonctions d'archiviste à la Société du vieux Montmartre. Durant la guerre, il fut chargé du ravitaillement à la mairie du XVIIIe arrondissement, ce qui lui permit de fournir à Céline des cartes d'alimentation, et il fut témoin au mariage de celui-ci avec Lucette Almanzor le 15 février 1943. En exil au Danemark, l'écrivain ne l'oublia pas : il lui fit envoyer des exemplaires de Casse-pipe et de Scandale aux abysses, et l'évoqua dans Féerie sous l'apparence physique du personnage Micronésime, le désignant même plaisamment dans une version intermédiaire du roman comme un historien de Montmartre dénombrant les moulins.

« Il me reste les 3/4 à finir ! juge un peu ! je rame ! je vieillis ! je m'use ! »
– Lettre autographe signée « Louis Ferd. ». « Le 17/8 » [1942]. « Tant pis pour toi ! Je vais encore te renvoyer les cartes à renouveler ! Nous ne rentrerons que fin sept[embre]. J'AI ENCORE TRES MAL AU CASSIS ET JE SUIS ENCORE EN RETARD DU BOULOT ! IL ME RESTE LES 3/4 A FINIR ! JUGE UN PEU ! JE RAME ! JE VIEILLIS ! JE M'USE ! JE VOIS LA CATASTROPHE ARRIVER, TOUT LE BOULOT AU JUS ! QUEL DOMMAGE ! Je ne sais que t'envoyer pour vous faire plaisir. Lucette a une idée. Ici temps somptueux et prix hélas de même ! Kif Paris par le fait ! Les voyages au surplus deviennent des tours de force, un seul train pour Paris et de nuit, on s'y tue ! et l'on vous tue ! du ciel et des coudes ! L'expérience est à faire une fois ! J'espère mieux fin sept[embre]. On pense bien à vous. Tu es heureux là-bas, à la montagne, du ravin Mairie au ravin Lepic ! [...] Louis-Ferd. [...] » (2 pp. in-folio).

« La passion de la mer m'attire et me tient à ce rivage tel un vieux crabe... »
– Lettre autographe signée « Louis Ferd. ». « Le 23/6 » [1943]. « Mon cher vieux témoin, voici que je te harcèle même à distance ! Cartes d'alimentation ! tu as compris ? Veux-tu me renvoyer ici poste restante (recommandé et suppléments ! s'il te plaît ! ils volent tout !) Le maire de St-Malo m'a fait comprendre très gentiment qu'au moment où l'on évacuait en partie sa ville, il était délicat de nous inscrire en villégiature ! Sans toi nous crevons de faim ! Le beurre est ici à 500 fr comme à Paris, ville en état de siège, et moins de pain qu'à Paris, seulement du poisson, et des pommes-de-terre. Je voudrais bien vous faire plaisir. Je ne sais comment. Veux-tu des pommes-de-terre nouvelles ? [...] ILS NE CROIENT PAS AU DEBARQUEMENT DES ANGLAIS, ILS VOIENT CELA PLUTOT EN ITALIE. ILS N'AIMENT PAS LES BOMBES. La passion de la mer m'attire et me tient à ce rivage tel un vieux crabe. LES MIGRATIONS D'ANIMAUX S'EFFECTUENT EN PLEIN CATACLYSME, MALGRE TOUT. Toi qui tiens plutôt de l'hirondelle, où te portent tes instincts cette année ? [...] Louis-Ferd. » (2 pp. in-folio).

« Le monde s'écroule et je grifouille... »
– Lettre autographe signée « Ferd. ». « Le 21/8 » [1943]. « Encore pour toi ! Mais cette fois promis ! la dernière. Nous revenons vers [le] 15 sept[embre] ! mais comment vivre d'ici là sans les cartes ! donc sans ton fraternel secours ! À part ça il mouille, il vente, c'est l'automne qui approche. DE MIGRAINES EN MIGRAINES JE SUIS PARVENU A LA 300E PAGE DE MON OURS, QUI EN COMPORTE 760 ! TU VOIS QUE JE N'AI PAS FINI ! QUELLE ASPIRINE ! Le monde s'écroule et je grifouille... Toi au moins tu agis, tu cartifouilles ! Tu décimes la mairie ! Je viens de préfacer une histoire de Bezons ! Concurrence ! [Il s'agit de Bezons à travers les âges qu'Albert Serouille, un des patients de Céline, ferait paraître en 1944.] Mille mercis et remercis et excuses ! Toutes nos amitiés à madame Carré, à toi la bise comme d'habitude. Ferd. Poste restante. St-Malo. Because la concierge. » (1 p. 3/4 in-folio, enveloppe conservée).

Lettres, n° 42-41, 43-18 et 43-33.
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