Lot n° 41
Sélection Bibliorare

DEBUSSY Claude (1862 - 1918) MANUSCRIT autographe signé «Claude Debussy», La Musique. De quelques superstitions et d'un opéra, [1901] ; 6 pages in-4, avec ratures et corrections (marques de typographes au crayon bleu). Spirituelle chronique sur la...

Estimation : 5000 - 6000
Adjudication : 4 550 €
Description

musique mettant en scène son double Monsieur Croche, et critiquant violemment le dernier opéra de SaintSaëns. C'est l'avant-dernière des huit chroniques données par Debussy à La Revue blanche, du 1er avril au 1er décembre 1901 ; celle-ci, publiée le 15 novembre 1901, fut recueillie partiellement dans l'édition posthume de Monsieur Croche antidilettante (Dorbon aîné et NRF, 1921, chap. II). Le manuscrit présente quelques variantes avec le texte publié. «Je m'étais attardé dans des campagnes remplies d'automne où me retenait invinciblement la magie des vieilles forêts. De la chute des feuilles d'or célébrant la glorieuse agonie des arbres, du grêle angélus ordonnant aux champs de s'endormir, montait une voix douce et persuasive qui conseillait le plus parfait oubli. Le soleil se couchait tout seul sans que nul paysan songe à prendre, au premier plan, une attitude lithographique»... Loin de Paris, des «discussions d'art» et de «la petite fi èvre artifi cielle et mauvaise des “premières”», dans la solitude : «peut-être n'ai-je jamais plus aimé la musique qu'à cette époque où je n'en entendais jamais parler. Elle m'apparaissait dans sa beauté totale et non plus par petits fragments symphoniques ou lyriques surchauff és et étriqués». Mais il a fallu regagner Paris, où, sur le boulevard Malesherbes, il rencontre Monsieur Croche. Celui-ci critique l'institution ridicule du prix de Rome : «j'admets fort bien que l'on facilite à des jeunes gens de voyager tranquillement en Italie et même en Allemagne, mais pourquoi restreindre le voyage à ces deux pays ? Pourquoi surtout ce malencontreux diplôme qui les assimile à des animaux gras ? - Au surplus, le fl egme académique, avec lequel ces messieurs de l'Institut désignent celui d'entre tous ces jeunes gens qui sera un artiste, me frappe par son ingénuité ? Qu'en savent-ils ? Eux-mêmes sont-ils bien sûrs d'être des artistes ? Où prennent-ils donc le droit de diriger une destinée aussi mystérieuse ? [...] Qu'on leur donne, si l'on y tient absolument, un “certifi cat de hautes études”, mais pas un certifi cat “d'imagination”, c'est inutilement grotesque !»... Puis Monsieur Croche évoque le concert Lamoureux où l'on a siffl é la musique de Debussy, qui lui répond que «faisant de la musique pour servir celle-ci le mieux qu'il m'était possible et sans autres préoccupations, il était logique qu'elle courût le risque de déplaire à ceux qui aiment “une musique” jusqu'à lui rester jalousement fi dèles malgré ses rides ou ses fards !» Mais Croche pointe la responsabilité des artistes «qui accomplissent la triste besogne de servir et d'entretenir le public dans une nonchalance voulue... À ce méfait ajoutez que ces mêmes artistes surent combattre pendant un instant, juste ce qu'il fallait pour conquérir leur place sur le marché ; mais une fois la vente de leur produit assurée, vivement ils rétrogradent, semblant demander pardon au public de la peine que celui-ci avait eue à les admettre. Tournant résolument le dos à leur jeunesse, ils croupissent dans le succès sans plus jamais pouvoir s'élever jusqu'à cette gloire heureusement réservée à ceux dont la vie, consacrée à la recherche d'un monde de sensations et de formes incessamment renouvelé, s'est terminée dans la croyance joyeuse d'avoir accompli la vraie tâche, ceux-là ont eu ce qu'on pourrait appeler un succès de “Dernière” si le mot “succès” ne devenait pas vil mis à côté du mot “gloire”». Il en vient à la représentation de l'opéra Les Barbares de Camille SAINTSAËNS : «il est diffi cile de conserver le respect à un artiste qui lui aussi fut plein d'enthousiasme et chercheur de gloire pure... [...] Comment est-il possible de s'égarer aussi complètement ? Comment oublia-t-il qu'il fi t connaître et imposa le génie tumultueux de Liszt et sa religion pour le vieux Bach ? Pourquoi ce maladif besoin d'écrire des opéras et de tomber de Louis Gallet en Victorien Sardou, propageant la détestable erreur qu'il faut “faire du théâtre”, ce qui ne s'accordera jamais avec “faire de la musique”... [...] Cet opéra est plus mauvais que les autres parce qu'il est de Saint-Saëns. Il se devait et devait encore plus à la musique de ne pas écrire ce ramas où il y a de tout, même une farandole dont on a loué le parfum d'archaïsme ; elle est un écho défraîchi de cette “rue du Caire” qui fi t le succès de l'Exposition de 1889, comme archaïsme, c'est douteux. Dans tout cela, une recherche pénible de l'effet, suggérée par un texte où il y a des “mots” pour la banlieue et des situations qui naturellement rendent la musique ridicule. La mimique des chanteurs, la mise en scène pour boîte à sardines dont le théâtre de l'Opéra garde farouchement la tradition, achèvent le spectacle et tout espoir d'art.

DEBUSSY Claude (1862 - 1918) MANUSCRIT autographe signé «Claude Debussy», La Musique. De quelques superstitions et d'un opéra, [1901] ; 6 pages in-4, avec ratures et corrections (marques de typographes au crayon bleu). Spirituelle chronique sur la musique mettant en scène son double Monsieur Croche, et critiquant violemment le dernier opéra de SaintSaëns. C'est l'avant-dernière des huit chroniques données par Debussy à La Revue blanche, du 1er avril au 1er décembre 1901 ; celle-ci, publiée le 15 novembre 1901, fut recueillie partiellement dans l'édition posthume de Monsieur Croche antidilettante (Dorbon aîné et NRF, 1921, chap. II). Le manuscrit présente quelques variantes avec le texte publié. «Je m'étais attardé dans des campagnes remplies d'automne où me retenait invinciblement la magie des vieilles forêts. De la chute des feuilles d'or célébrant la glorieuse agonie des arbres, du grêle angélus ordonnant aux champs de s'endormir, montait une voix douce et persuasive qui conseillait le plus parfait oubli. Le soleil se couchait tout seul sans que nul paysan songe à prendre, au premier plan, une attitude lithographique»... Loin de Paris, des «discussions d'art» et de «la petite fi èvre artifi cielle et mauvaise des “premières”», dans la solitude : «peut-être n'ai-je jamais plus aimé la musique qu'à cette époque où je n'en entendais jamais parler. Elle m'apparaissait dans sa beauté totale et non plus par petits fragments symphoniques ou lyriques surchauff és et étriqués». Mais il a fallu regagner Paris, où, sur le boulevard Malesherbes, il rencontre Monsieur Croche. Celui-ci critique l'institution ridicule du prix de Rome : «j'admets fort bien que l'on facilite à des jeunes gens de voyager tranquillement en Italie et même en Allemagne, mais pourquoi restreindre le voyage à ces deux pays ? Pourquoi surtout ce malencontreux diplôme qui les assimile à des animaux gras ? - Au surplus, le fl egme académique, avec lequel ces messieurs de l'Institut désignent celui d'entre tous ces jeunes gens qui sera un artiste, me frappe par son ingénuité ? Qu'en savent-ils ? Eux-mêmes sont-ils bien sûrs d'être des artistes ? Où prennent-ils donc le droit de diriger une destinée aussi mystérieuse ? [...] Qu'on leur donne, si l'on y tient absolument, un “certifi cat de hautes études”, mais pas un certificat “d'imagination”, c'est inutilement grotesque !»... Puis Monsieur Croche évoque le concert Lamoureux où l'on a sifflé la musique de Debussy, qui lui répond que «faisant de la musique pour servir celle-ci le mieux qu'il m'était possible et sans autres préoccupations, il était logique qu'elle courût le risque de déplaire à ceux qui aiment “une musique” jusqu'à lui rester jalousement fi dèles malgré ses rides ou ses fards !» Mais Croche pointe la responsabilité des artistes «qui accomplissent la triste besogne de servir et d'entretenir le public dans une nonchalance voulue... À ce méfait ajoutez que ces mêmes artistes surent combattre pendant un instant, juste ce qu'il fallait pour conquérir leur place sur le marché ; mais une fois la vente de leur produit assurée, vivement ils rétrogradent, semblant demander pardon au public de la peine que celui-ci avait eue à les admettre. Tournant résolument le dos à leur jeunesse, ils croupissent dans le succès sans plus jamais pouvoir s'élever jusqu'à cette gloire heureusement réservée à ceux dont la vie, consacrée à la recherche d'un monde de sensations et de formes incessamment renouvelé, s'est terminée dans la croyance joyeuse d'avoir accompli la vraie tâche, ceux-là ont eu ce qu'on pourrait appeler un succès de “Dernière” si le mot “succès” ne devenait pas vil mis à côté du mot “gloire”». Il en vient à la représentation de l'opéra Les Barbares de Camille SAINT-SAËNS : «il est difficile de conserver le respect à un artiste qui lui aussi fut plein d'enthousiasme et chercheur de gloire pure... [...] Comment est-il possible de s'égarer aussi complètement ? Comment oublia-t-il qu'il fi t connaître et imposa le génie tumultueux de Liszt et sa religion pour le vieux Bach ? Pourquoi ce maladif besoin d'écrire des opéras et de tomber de Louis Gallet en Victorien Sardou, propageant la détestable erreur qu'il faut “faire du théâtre”, ce qui ne s'accordera jamais avec “faire de la musique”... [...] Cet opéra est plus mauvais que les autres parce qu'il est de Saint-Saëns. Il se devait et devait encore plus à la musique de ne pas écrire ce ramas où il y a de tout, même une farandole dont on a loué le parfum d'archaïsme ; elle est un écho défraîchi de cette “rue du Caire” qui fi t le succès de l'Exposition de 1889, comme archaïsme, c'est douteux. Dans tout cela, une recherche pénible de l'eff et, suggérée par un texte où il y a des “mots” pour la banlieue et des situations qui naturellement rendent la musique ridicule. La mimique des chanteurs, la mise en scène pour boîte à sardines dont le théâtre de l'Opéra garde farouchement la tradition, achèvent le spectacle et tout espoir d'art.

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