Lot n° 36

Marcel PROUST — L.A.S., [27 ? novembre 1913], à Julia DAUDET ; 4 pages in-8.

Estimation : 2000 - 2500 €
Adjudication : 6 250 €
Description
Très belle lettre littéraire, après le grand article de Lucien Daudet sur Du côté de chez Swann.
[Mme Alphonse Daudet (1847-1940) reçut souvent dans son salon Proust, qui appréciait les livres de son amie, dont le fils Lucien venait de consacrer un grand article à Du côté de chez Swann, à la une du Figaro (27 novembre). Proust la remercie ici de son recueil de poésies Les Archipels lumineux (Lemerre, 1913).]
« Ce n’était pas assez que vous m’eussiez adressé de La Roche [château des Daudet à Chargé (Indre-et-Loire)] une lettre adorable ; j’ai eu droit encore à une nouvelle page qu’orne le dessin de ces fuseaux légers de votre écriture qui semblent un symbole. Car vous gardez dans vos plus hautes pensées, les plus dignes des écrivains virils les plus grands, la grâce et la particularité féminines. Comment vous remercier ! Vous qui posez vos mots comme les touches de couleur les plus pures, comment pouvez-vous être si indulgente à ce langage exact mais si terne où j’essaye de me rendre compte à moi-même de certaines vérités entrevues. Comme Lucien a bien uni vos dons merveilleux à ceux de son Père. L’article admirable du Figaro n’atteste pas seule sa grandeur morale, une sorte d’offrande au passé d’une amitié ancienne ; il contient des phrases comme Baudelaire, comme Chateaubriand en ont peut’être seuls écrit quelques-unes et que ce sera une fierté d’avoir je n’ose pas dire inspirées. Son grand cœur a été le trait d’union entre elles et mon livre et elles lui ajoutent une parure qui me le rend à moi-même plus précieux. Quand je pense à lui ce n’est aucune de mes phrases que je revois, c’est l’éther bleu, c’est les miroirs inclinés, c’est le cri précurseur qui rassemble les chefs-d’œuvre (je peux dire comme Mme Desbordes-Valmore “Et ce mot je ne l’entends pas”). Comme ces pages de vos Souvenirs [Souvenirs autour d’un groupe littéraire (Charpentier, 1910)], qui ont mis à jamais sur des années évanouies, déjà informes sans vous, un sceau d’art qui les éternise s, l’article de Lucien revêt d’une suprême beauté non seulement mon livre, mais toutes les années que nous avons vécues l’un près de l’autre. Dans la gaine de ses phrases merveilleuses, il me semble que je sens passer, indestructible, rivé à l’art, le petit chemin de fer de Sceaux que nous prenions ensemble quand je le conduisais jusqu’à Bourg-la-Reine »...
Correspondance (Ph. Kolb), t. XII, p. 345.
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