Lot n° 47

Marcel PROUST — L.A.S., [vers le 11 juillet 1921], à Léon-Paul FARGUE ; 8 pages in-8.

Estimation : 3000 - 4000 €
Adjudication : 11 000 €
Description
Très belle lettre littéraire disant son admiration pour Fargue et Valery Larbaud.
[Après la lecture des Poèmes d’Henry J.-M. Levet, « précédés d’une Conversation de MM. Léon-Paul Fargue et Valery Larbaud » (La Maison des Amis des Livres, 1921).]
« Nos contemporains qui ont le plus de talent (j’excepterais je crois Paul Valéry) croient qu’on ne peut écrire un dialogue platonicien sans dire à tout instant : “Mais, ô Socrate”... “Sont-ce ces choses que tu as prétendues, très cher Phèdre” et il y a de l’ombre au bord d’une rivière. Vous et votre ami Valéry Larbaud vous avez au contraire écrit un dialogue comme Platon en écrirait aujourd’hui, sans vain pastiche. Et le décor n’est pas une rivière de Grèce, mais l’intérieur d’une limousine. Je ne peux vous dire combien tout cela m’a plu parce que je viens d’être mourant, que je le reste d’ailleurs, et que pendant des mois, écrire une lettre, signer un papier d’affaires m’a été impossible. Je ne pouvais bouger dans mon lit d’où je vais vers ces belles pétrifications de la mort dont vous parlez merveilleusement. Je ne sais pas si je pourrai écrire à Monsieur Valéry Larbaud tant je suis encore souffrant. Et puis je ne sais pas si cela lui ferait plaisir, je crois qu’il est un peu “frais” avec moi. Mais dites-lui bien je vous prie (ne faites pas comme quand on dit : “dites-lui”, non dites lui vraiment) que je ne sépare pas vos admirables talents. Je ne sais plus duquel de vous deux est l’étonnante verrière de Chartres, en tous cas chaque fois que l’un de vous a fait une trouvaille, l’autre le rattrape. Et vous vous égalez. Combien platonicienne sans le chercher est cette anxieuse confrontation de vos deux jeunesses différentes et contiguës. Je sais bien qu’il n’y a nulle part le secret de la poésie, de même que certains points de la terre n’ont pas le privilège de rendre la santé. Combien pourtant je me dis : “Quel malheur de ne pas être allé au Criterion, au moulin de la Galette, aux ateliers des Buttes Chaumont”. Je vous demanderais bien de m’y conduire. Mais sans doute ce n’est plus là qu’il faut aller. C’est probablement le décor d’un temps détruit, à cause de cela pourvu plein de charmes, et d’illusions aussi. Car je ne peux me figurer que si cela ne vous rappelait pas tant de choses d’autrefois, et aussi à cause de votre piété amicale envers votre ami, vous goûteriez si peu que ce fût cette poésie : “l’Esthète” [poème de Levet] qui me semble on ne peut plus mauvaise. Et croyez bien que j’aurais plus de plaisir à dire une vérité bienveillante sur un mort, que sur des vivants. Croyez je vous prie cher Monsieur Fargue, cher Monsieur Valéry Larbaud à l’admiration et à la sympathie où je vous confonds »…
Correspondance (Ph. Kolb), t. XX, p. 389.
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