Lot n° 181

Camille SAINT-SAËNS (1835-1921). 12 L.A.S., 1898-1913, à Caroline de Serres ; 50 pages in-8 ou in-4, 4 à en-tête d’hôtels (légères traces de rouille sur quelques lettres).{CR}Très belle correspondance à sa grande amie pianiste, où...

Estimation : 5000 - 7000
Adjudication : 12 350 €
Description
Saint-Saëns parle de son travail et fait de rares confidences sur sa vie privée et l’échec de son mariage.{CR}[Caroline de Serres (1842-1913), née Rémaury, était une remarquable pianiste, élève de Liszt. Veuve du journaliste Léon Montigny, elle se remaria en 1886 avec Auguste de Serres, et Saint-Saëns composa son Wedding Cake en cadeau de mariage. Après qu’elle se fut blessée à la main droite, elle mit fin à sa carrière, et Saint-Saëns écrivit pour elle et lui dédia en 1912 ses Études pour la main gauche op.135. Elle fut une amie très chère pour le compositeur, qui la surnommait sa « chère Caro », et qui, comme on le verra, avait songé à l’épouser.]{CR}Paris 7 septembre 1898 (lettre ornée d’une frise décorative à la plume). Il ne recommencera pas à Bayonne ce qu’il a fait à Béziers. « D’ailleurs cela ne s’improvise pas ! » On peut y donner les Erinnyes (de Massenet)… Il ne peut la rejoindre à Matignon : « j’ai trop à travailler. Il me faut préparer une nouvelle instrumentation de Déjanire pour l’Odéon et faire la réduction pour piano. Et dare-dare ça presse »…{CR}Paris 7 juillet 1900. Il ne peut rien lui écrire de drôle après l’enterrement de Jules Delsart : « je ne me sens pas drôle du tout ; bien au contraire je me sens encore plus bête qu’à l’ordinaire ». Sa fille (Alice Montigny) « s’acharne à vouloir me faire écrire la musique d’un ballet. […] Elle est délicieuse, votre fille, délicieuse à l’excès ». Le voilà « forcé d’écrire un ouvrage en trois actes pour l’Opéra [Les Barbares]. J’ai peur qu’il n’en résulte quelque chose de bien mauvais. Pourquoi vouloir absolument que ce soit moi, qui aimerais mieux faire autre chose, quand il y en a tant d’autres qui ne demandent que ça !… Je n’ai plus un moment pour travailler mon piano, mes pauvres doigts se rouillent de plus en plus ; l’heure de la vieille ganache a sonné »…{CR}Paris 22 juillet 1901. « Entre l’Opéra, les concours de l’Institut qu’il me faut présider et ceux du Conservatoire […] je n’ai pas le temps de faire les travaux que j’ai sur la planche et la chaleur qu’il fait ne m’incite pas à l’activité ». Pour le ténor des Barbares, il s’est décidé pour Albert Vaguet, « qui à défaut de panache aura du moins une jolie voix et du talent ». Il doit aller à Dieppe, puis à Valence pour inaugurer le monument à Louis Gallet, et enfin « à Béziers où il n’y aura rien de moi cette année, mais où je dois planer comme un ange tutélaire ; un ange aux ailes un peu roussies »…{CR}Pallanza, Lac Majeur 13 septembre 1906. Il ne faut jamais croire ce que disent les directeurs de théâtre : « en admettant qu’il [Pedro Gailhard, directeur de l’Opéra] ait dit vrai – ce que je ne crois pas – il en résulterait qu’il a consenti à payer 1000 f. pour jour Tannhäuser mais qu’il ne consent pas à jouer mes œuvres pour un prix assurément beaucoup moindre ; et Tannhäuser n’est pas une chose indispensable, on en a par dessus la tête ». Il se repose quelques jours en Italie avant de passer 15 jours à Paris puis d’aller à Prague, à Berlin, « et puis je m’embarquerai pour l’Amérique. Ce sera la fin. J’ai déjà refusé plusieurs engagements pour l’année prochaine »...{CR}Paris 9 novembre 1908, évoquant un concert : « les musiciens firent leur devoir en conscience, mais ils s’abstinrent soigneusement de m’applaudir et plus d’un avaient la haine peinte sur le visage. Le public fut aimable, sans plus. Il est probable que le grand honneur qu’on m’avait fait sur le programme avait froissé des susceptibilités ». La mort de Sardou l’a brisé… – 16 novembre 1908. « Cette exquise boîte me rappellera toujours ma dernière apparition au Conservatoire. C’eût été une joie sans le trac qui m’a tenu tout le temps et a gâté mon plaisir. Partout ailleurs je ne l’aurais pas eu ; mais là, c’est inévitable. On voit trop d’yeux autour de soi, on est trop dans le public. Il faut être un peu isolé pour se sentir à son aise »… Il a reçu une dépêche « m’annonçant que Samson venait de triompher à New York. 20 rappels ! Ne nous plaignons pas »…{CR}Cesena 4 septembre 1911. « Vous me voyez nageant dans les ovations et dans les fleurs, j’habite un immense palais dont toutes les salles sont peintes à fresque, murs et plafonds ; tout cela ne fait pas le bonheur et je le donnerais volontiers pour une bonne causerie dans votre petit salon. Il m’a fallu veiller passé minuit deux jours de suite et cela m’a brisé ; je résiste à tout, sauf à cela et au froid […] L’exécution de Samson est fort belle, cette petite ville possède un grand théâtre pourvu d’une scène immense ! 60 choristes, 70 musiciens, des artistes de premier ordre, et un enthousiasme indescriptible »… Il ne faut pas lui souhaiter le Paradis : « l’idée d’entendre 24 vieillards […] jouer de la harpe pendant toute l’éternité ne me séduit guère, que les harpes soient ou non chromatiques. Il faudrait trouver autre chose ; la Foi nous dit que nous ne pouvons nous faire une idée de ce que Dieu réserve à ses élus ; on ne saurait mieux dire ; mais elle nous dit aussi qu’il y a peu d’élus, ce qui n’est pas du tout rassurant. C’est comme les gens qui gagnent à la loterie : ce sont toujours les autres »…{CR}Marseille 16 mars 1912. Il a su par Bonnerot que sa chère Caro a reçu ses « piécettes » [Six Études pour la main gauche], a « joué merveilleusement la Bourrée », mais a « cherché la raison des titres extravagants proposés par l’auteur, lequel avait tout simplement voulu faire la charge des titres que le trop célèbre Claude [Debussy] donne à ses élucubrations ». On va donner magnifiquement Déjanire. Il prie Caro de prêter les Études à Durand pour qu’il les fasse copier. En attendant, « ma petite Caro chérie, soigne-toi bien et mets “les deux pédales” dans le maggiore de la Bourrée (I due pedali, écrivait Meyebeer) »… 1913. Alger 3 janvier (dessin d’une petite fleur). Il va s’embarquer pour Port-Saïd, en passant par Gênes et Naples. « Et je suis dans la joie, parce que j’ai terminé l’orchestre de la 1ère partie de ma Promised Land dont l’exécution est définitivement fixée au mois de Septembre, au Festival de Gloucester »... Après les décès à l’Académie des Beaux-Arts, dont Detaille, « voilà Augé de Lassus qui m’annonce l’intention de se présenter encore ! Après le four qu’il a fait déjà, c’est incompréhensible. C’est la tortue sur le dos, cherchant à se retourner : mais la tortue, au moins, est excusable. Pourquoi se présenter quand on n’a aucune chance d’être nommé ? Il y a des illusions incompréhensibles ». Son livre va paraître : « le tout étant assez hétéroclite je l’ai intitulé : École buissonnière »... – Le Caire 29 janvier (lettre ornée du dessin de deux palmiers au crayon bleu). Lui aussi avait « sérieusement pensé » au mariage : « vous me plaisiez énormément ! Mais je vous voyais aussi nerveuse, aussi irritable que moi ; jamais nous n’aurions pu vivre ensemble. Il vous fallait un mari tranquille, s’amusant de vos nervosités sans les partager, comme ceux que vous avez eu la chance de rencontrer. Moi, j’ai trouvé l’enfer. Mais comment aurais-je pu supposer que je m’attacherais une ennemie, acharnée à me nuire, à entraver ma carrière ? […] Et cette sécheresse absolue du cœur, si rare chez les femmes (elle n’aimait pas même sa mère), cette avarice, cette méchanceté, ce soin de me brouiller avec tout le monde… Très-soigneuse de sa personne, d’ailleurs, des dessous irréprochables, l’horreur du faux luxe ; mais aucun soin de la maison. Et puis des indélicatesses que j’ai surprises – jetons un voile et n’en parlons plus !… L’amitié nous reste, sincère et confiante ; c’est le dessert après le dîner. Votre dîner fut bon, le mien mauvais, mais le dessert est le même… et je me régale, plus que vous ne pouvez penser »… Il termine l’orchestration de son oratorio… Il évoque l’amitié du Roi des Belges, et celle du Prince de Monaco, qui « n’a pas permis à Gunzbourg de faire représenter Parsifal contre la volonté de la famille Wagner ; et il a bien fait. Voilà une œuvre à laquelle la réclame n’aura pas manqué ! Tout le monde voudra la voir. Je l’ai vue une fois, à Bayreuth, et j’en ai assez pour toute ma vie ; j’en entendrai bien de nouveau des fragments, mais le tout ! c’est vraiment trop ennuyeux. Et puis ce personnage de Kundry auquel il est impossible de rien comprendre ! »… – Cannes 11 mars. Il évoque des souvenirs et revient sur leurs mariages : Montigny « était la douceur même, mais je ne la suis pas et je n’aurais pas supporté cette indépendance d’allure que j’ai tout de même rencontrée chez une autre qui n’avait pas pour se la faire pardonner, l’intelligence, la bonté, le talent, le savoir-vivre, toutes les qualités que vous possédez à un si haut degré et qui font que tous vos amis vous adorent et moi plus que tous les autres ». Il part pour Monte-Carlo entendre Pénélope de Gabriel Fauré : « Il paraît que ce n’est pas un succès. Ce sujet du retour d’Ulysse n’est pas théâtral et j’avais grand’peur de ce qui arrive. Il y avait peut-être (?)moyen de réussir en lui gardant toute sa pureté » ; et il critique longuement le livret de René Fauchois, en évoquant l’Ulysse de Ponsard : « Le vers de Fauchois n’a pas la désolante platitude de celui de Ponsard, mais cela ne suffit pas »… Il déplore la mauvaise santé de son amie : « Je sais par expérience qu’on s’habitue à souffrir et que la souffrance est moins dure à supporter alors qu’elle ne l’est pour les gens habituellement bien portants ; mais on s’habitue encore bien mieux à la santé. Il est vrai qu’elle est souvent bien mal portée ! Pascal, Beethoven, Flaubert, Chopin, étaient des malades et Banzini se portait à merveille »… Il va lui faire envoyer par Durand « une édition ravissante de mes Valses réunies en album »… – Bruxelles 5 avril. « Proserpine va paraître à Bruxelles (enfin !) dans les meilleures conditions musicales et autres. Ce n’est pas ici comme en Angleterre et cela sert à quelque chose d’être protégé par la couronne, et celle-ci affiche hautement sa protection ». Il a été chaleureusement reçu au château. Il va transformer en grand opéra Le Timbre d’Argent pour la Monnaie. « Avec Déjanire et Samson qui ont eu un éclat inusité à Cannes et à Monte Carlo, le festival de Vevey, le Jubilee-Concert à Londres, les Barbares à Vichy, la Terre promise à Gloucester, cette année, malgré son 13, n’est pas pour moi une mauvaise année »…{CR}On joint une L.A.S. du 23 juin 1913 à un amie qu’il ne pourra aller voir, partant pour Vichy (1 p. in-8) [Mme de Serres est morte le 19 juin ; ses obsèques eurent lieu le 21.]
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