Lot n° 149

CHATEAUBRIAND François-René de (1768-1848). L.A., Vérone 12 novembre 1822, à la duchesse de DURAS ; 8 pages et demie in-4. Très belle et longue lettre sur le Congrès de Vérone. « Vous voulez savoir tout du Congrès ? Il faudroit vingt...

Estimation : 2000 - 2500
Enchérir sur
www.drouotdigital.com
Description
conversations pour vous le faire comprendre. Je mets de côté d’abord les affaires qui se feront, tant bien que mal, aux dépens de la Russie que l’on joue, et assez passablement pour la France ; pour en venir aux hommes et par conséquent à moi, car voilà ce qui vous inquiète, les hommes ne sont rien du tout. […] Tout se passe entre les chefs des Cabinets, nous autres plénipotentiaires, nous ne savons rien que ce que nos chefs veulent bien nous dire. Nous n’avons eu encore qu’une séance du Congrès ; nous en aurons une seconde cette semaine, où l’on nous dira ce qu’on a terminé des affaires d’Espagne ; après quoi Mathieu [de MONTMORENCY] partira ; et, quinze jours après, toutes les affaires d’Italie, arrangées d’avance, seront finies et nous reprendrons chacun le chemin par lequel nous sommes venus. Il n’est pas question d’empereurs et de Rois ; on ne les voit pas. Ils n’ont paru qu’une fois à un bal pour la fête de l’impératrice ; ils reparoîtront une autre fois à une fête que donnera la ville, et puis ils disparoîtront. Il y a tous les soirs une réunion politique chez cette méchante créature la Ctesse de LIEVEN : on y chuchote chacun dans un coin, ou bien M. de METTERNICH raconte tout haut la manière de faire des macaroni. On admire, et on se couche. La conclusion de tout cela est, direz-vous, que je n’ai point de succès ? Aucun absolument ; mais aussi point de non-succès ! On me traite tout juste comme mes confrères. Le fait est que M. de METTERNICH a peur de moi. C’est un homme médiocre, sans fond, sans vues, dont tout le talent consiste à amoindrir tout, à réduire à rien ce qui a l’apparence d’être quelque chose, et qui n’a d’empire que sur la foiblesse. Il est faux, cela est d’obligation ; il est assez léger pour un Allemand. Il fut à Lovelace dans sa jeunesse, ce qu’il est à Mazarin dans son âge mûr. Il cherche à séduire tout ce qui l’approche, et quand il ne réussit pas, il devient ennemi. J’ai joué la passion ; mais apparemment que mon accent étoit faux. Il doit avoir pour moi tout juste l’éloignement qu’ont eu tous les ministres en France depuis 7 ans. Il est de la même race. Ses manières sont au reste assez agréables, et il a retenu des airs et des intonations de M. de Talleyrand. Ce qui me désole, c’est que ce petit homme a pris de l’ascendant sur l’empereur de Russie. Il a attaqué le côté généreux de ce prince, et par ce moyen lui a fait faire cent sottises, de concert avec l’Angleterre, dans les affaires de la Turquie. ALEXANDRE s’en apperçoit quelquefois, et seroit tenté de revenir, mais il est très foible, très irrésolu, et la vigueur de son esprit ne répond pas à la noblesse de son caractère. C’est par là qu’il est excellent. L’élévation d’âme me subjugue toujours et tout en reconnoissant ce qui manque à ce prince, je l’aime à présent et je suis revenu de tous mes anciens préjugés. Il passera dans l’histoire pour un niais et pour une dupe, et ce n’est qu’un homme qui a sacrifié une puissance immense à ce qu’il a cru juste et utile au bien général. En vieillissant il a beaucoup gagné. Il est encore jeune de tournure mais il ne l’est plus de visage. Il est à moitié chauve. Il a du chevalier et du prêtre, il me représente ces évêques du onzième et 12ème siècle, qui couvroient leur tonsure d’un casque et qui se battoient à Ascalon et à Bouvines. Il est très bien pour moi, surtout en particulier, car en public il est un peu gêné par le P. Metternich. J’ai établi des relations intimes avec lui au moyen de la bonne Comtesse TOLSTOI qui malheureusement retourne à Paris samedi prochain. Alexandre est prévenu contre VILLÈLE à cause de sa modération dans les affaires d’Espagne et en général à cause de sa modération, car Alexandre est maintenant de l’extrême droite. Je porte la peine du péché de Villèle. On me regarde avec raison comme son ami, et on me soupçonne d’être l’interprète de ses opinions et de ses principes. Il y a au reste une chose hideuse à voir ici c’est CARAMAN. C’est le plus plat et le plus lâche valet de Metternich qu’on puisse rencontrer. Il est impossible tant que cet homme sera là, qu’on sache jamais rien de l’Autriche. Aussi le Duc de Richelieu, dans ses moments de bon sens, vouloit-il le rappeler. Au moins il y a de l’indépendance dans le caractère de La Ferronnais et le Breton se fait sentir. À tout prendre je suis content d’être venu ici (quoique s’il devoit y avoir un autre congrès j’y viendrai seul ou n’y viendrai point). J’ai appris des choses que je n’aurois jamais sues, et vu des hommes que je n’au
Partager