Lot n° 235
Sélection Bibliorare

Gaston CHAISSAC (1910-1964). 7 L.A.S. et 1 P.A.S., [Boulogne-par-les-Essarts (Vendée) 1948], à Jean Bouret ; environ 16 pages formats divers, la plupart petit in-4 sur feuillets de cahier d’écolier. Très belle et intéressante correspondance...

Estimation : 2 000 / 2 500
Adjudication : 2 304 €
Description
sur ses écrits et sur sa peinture, avec le critique d’art Jean Bouret, du journal Ce Soir. [1.VII.1948]. Il demande à Bouret de lui accorder « une préface pour un recueil de mes écrits », dont il lui enverrait le manuscrit. Il lui fait part de ses malheurs : « J’ai bien pâti. Et ces 5 dernières années que je viens de passer ici où je suis le cordonnier sans clientelle […] m’ont passablement déprimé. C’est pas drôle tous les jours ». Il donne son adresse à Boulogne-par-les-Essarts (Vendée), et ajoute qu’il part chercher du « bois mort pour cuire la soupe »… Il apprend par un journal que « les Vendéens disent qu’ils ont un grand évêque et un petit préfet. […] tout ce que je sais c’est que Monseigneur Cazeau ne m’a pas accordé la préface que je lui avais demandée pour mes poëmes hippoboscaliens (dont ma Libellule au tambour fait partie) et que le préfet ne m’a pas accordé un secours pour me permettre de poursuivre mes recherches picturales et scupturales » ; il aurait peut-être dû demander la préface au préfet et le secours à l’évêque… C’est en Vendée qu’il a écrit ses « poëmes hippoboscaliens » dont quelques-uns doivent paraître dans une anthologie de Jean L’Anselme. Il a fait la connaissance de Marcel Chabot, un libraire-poète, qui vend aussi des instruments de musique dans sa librairie du chef-lieu, un homme charmant qui « a la foi et il vibre comme ces instruments à cordes qu’il vend » ; et dont le dernier opus, Fidélia, semble avoir un certain succès dans la région, malgré son réalisme, etc. Il parle des personnages politiques, du clergé de la région et du problème des écoles en Vendée, qui sont trop éloignées (il aimerait en voir ouvrir une aux Essarts) : « Le maire d’içi me semble très toqué des écoles libres mais peut-être espère-t-il arriver à leur redonner leur authenticité d’antan. En Vendée on a un faible marqué pour tout ce qui est inauthentique et le Vendéen n’est d’ailleurs jamais un novateur mais toujours un suiveur ». Il est allé acheter des couleurs, car on lui a commandé la décoration murale d’un cabaret « içi même chez des gens qui ont connu des jours extrêment dificiles car l’homme est un de ces très bon artisan qu’on dédaigne et la femme a de ces folles audaces comme de me charger de décorer son cabaret ». Il raconte cet endroit, l’excentricité de sa propriétaire, etc. Le vernissage de ces décors muraux aura lieu le dimanche 4 juillet 1948. Il transcrit pour finir son poème La Libellule au tambour… Il écrit de nombreuses lettres à « toutes sortes de gens », et même à la châtelaine d’un domaine voisin où il avait remarqué « de vieilles souches d’arbres que j’utilise depuis quelques temps pour fabriquer des statuettes pour l’art brut, Galerie Drouin », pour lui demander la permission de ramasser « ces souches si magnifiquement sculptées par le temps ». Il n’a pas manqué de dire à cette dame toute son admiration pour ses souches : « Car il faut être honnête, sinon lorsqu’on peint par exemple on a trop tendance à en plagier pour en mettre plein la vue aux clients et leur faire ouvrir le gousset. Et en faire des recéleurs car je ne vois pas quel autre nom donner à qui achète de l’inauthentique pareil. On ne doit rien cacher non plus et c’est pourquoi j’avoue dessiner non pas avec ma main gauche mais avec ma bouche »… Il précise qu’il n’est pas Vendéen mais « Yonnais de l’Yonne ». Il part sur une longue digression élogieuse sur le peintre vendéen Léopold Marbœuf, de La Roche-sur-Yon, qui peint des tableaux religieux, etc., avant de revenir à lui : « Par içi on ne me prend probablement ni pour un peintre ni pour un cordonnier car non seulement on ne m’achète pas de tableaux et on ne me fait pas réparer de souliers mais il y a : “sans proffession” d’inscrit sur ma carte d’électeur ce qui montre sans doute qu’on ne me prend pas davantage non plus pour un littérateur. […] C’est faute de souliers à réparer que j’écris à Pierre et Paul pour m’occuper. Je ne peux pas rester à rien faire ». Il a même écrit à des cultivateurs pour leur demander des préfaces à ses poèmes, sans succès… « Je pense à faire une exposition de peintures monumentales mais il me faudrait pour cela trouver à emprunter pour les peindre et pour les frais de l’exposition. Comme garantie j’offre de donner au prêteur les tableaux de cette exposition si dans 10 ans je n’ai pu lui rembourser l’argent prêté et les intérêts ». Il a connu Albert Gleizes, qu’il a vu peindre : « je n’ignore pas sa façon de procéder qui fait très amateur qui tient à obtenir un résultat qui fasse travail d’homme de métier »… Il va lui envoyer son manuscrit, qu’il prie de déposer au Mercure de France après y avoir joint sa préface. Il parle de Monseigneur Cazeau et de son nouveau catéchisme… Il lui envoie son manuscrit, et parle de son exposition à Nantes à la Galerie Michel Columb, prolongée jusqu’au 20 juillet : « Il n’y a rien de vendu encore et je n’espère guère. Je vous ai expliqué qu’on ne veux pas me faire travailler comme cordonnier ici en Vendée et cela est cause que je me trouve dans une situation pénible et humiliente ». De plus le journal Samedi-Soir ne manque pas une occasion de l’attaquer, avec des faits inexacts : « Mon exposition de l’an dernier à l’Arc en ciel fut il est vrai présentée par Dubuffet sur le désir de Paulhan et c’est peut-être la cause de tout mais bien des années avant de savoir l’existence de Dubuffet et de celle de Paulhan j’étais encouragé et protégé par la camarade Jeanne Kosnick-Kloss et Otto Freundlich. Samedi-Soir vat jusqu’à raconter que je peins avec des légumes écrasé, il a l’imagination fertile certes et je vois qu’on est sans pitié et sans regret de l’homme du peuple victime de l’intolérence et la sottise des gens et de la maladie. […] Je ne pensais pas peindre un jour et si je l’ai fait et persisté c’est sur les conseils et les encouragements de camarades communistes qui ont été pour moi d’un dévouement sublime ». Ce journal a tout l’air d’être « à la solde des capitalistes contre lesquels je lutte par des moyens nouveaux »… Bouret doit avoir reçu son manuscrit, « où j’ai peut-être tout de même mis trop de fantaisie ». Il n’espère guère de son exposition à Nantes, « pour peu que les Nantais soient comme leur abbé Cheval et sa clique qui n’ont même pas visité mon atelier lorsqu’ils sont venu dans le pays »... Il n’était pas de l’exposition chez André Pouget, « peut-être parce que mes toiles sont des faux Dubuffet pour Monsieur Romi, qui sait ». Il manque de tout pour peindre, et se sent très fatigué : « Je ne puis guère songer à faire une autre exposition à Paris. Elle ne servirait vraisemblablement pas à grand chose à part de me faire assommer encore plus ». Il propose à Bouret de l’aider à se documenter pour des articles, ça lui ferait plaisir de lui être utile. Il parle des moissons et du travail acharné des paysans pour si peu d’argent, et ajoute : « Je vous ferais volontiers cadeau d’une gouache […] représentant des empreintes de détritus disposées pour figurer par exemple un portrait, mais à condition que vous y collaboriez en m’adressant quelques détritus de votre choix (qui me serviraient pour la faire) ou plutôt leurs empreintes sur du papier »… Sur une carte postale représentant son Samouraï « aujourd’hui dans la collection Paressant ». Il tenait à lui dire que sa mère aussi avait été serveuse à La Rochelle où elle avait connu « le fils du grand Gounod qui un jour de pluie l’avait abritée de son parapluie au retour du marché pour que sa coiffe de maraichère ne se mouille, ne s’abime pas »… Invitation manuscrite (papier rose découpé d’une couverture de cahier) : « Dans son atelier de Boulogne (Vendée), Chaissac expose ses nouvelles pierres peintes. Vernissage le mercredi 14 juillet »...
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