Lot n° 41
Sélection Bibliorare

MALRAUX André - Les Conquérants. Manuscrit autographe complet. 1927-1928 ; in-4 de 379 feuillets de papier réglé ou quadrillé (220 x 165 mm) montés sur feuillets de papier vélin crème (243 x 200 mm), ceux-ci montés sur onglets et reliés...

Estimation : 60 000 - 80 000 €
Adjudication : 120 000 €
Description
en 3 vol. in-4, reliures jansénistes maroquin vieux rouge, dos à nerfs, têtes dorées, couverture du premier cahier conservée (déclaration de Malraux au verso), étuis. (Canape et Corriez. 1930).
MANUSCRIT ENTIÈREMENT AUTOGRAPHE ET COMPLET, INCONNU À CE JOUR, ainsi certifié par Malraux dans une déclaration écrite de sa main en tête du premier volume à l'attention de l'amateur à qui il l'offrait :
«Ce manuscrit de la première version de Conquérants est le seul existant. Le texte définitif a été établi sur corrections successives d'épreuves.
Ce manuscrit comporte environ soixante pages inédites.
Paris, le 30 octobre 1928. André Malraux» (au verso de la couverture — beige — du cahier de marque Gallia à coins arrondis).

L'une des oeuvres romanesques majeures du XXe siècle, Les Conquérants forment une chronique inoubliable des débuts de la révolte chinoise contre la présence des occidentaux. Les protagonistes choisissent ces événements historiques pour agir, se révéler, se sacrifier et, finalement, devenir des héros obscurs mais dont les figures restent gravées dans les mémoires.
Avant de paraître d'abord dans la Nouvelle Revue française en 1928 (5 livraisons, 1er mars-1er juillet) l'ouvrage avait déjà une première fois subi des additions et des retraits.
D'autres seront pratiqués dans l'édition originale parue chez Bernard Grasset en septembre de la même année.

Les spécialistes de l'écriture de Malraux ont constaté que avec Les Conquérants, le style de l'écrivain allait vers ce qui resserre et se condense, amenant à une sorte de sécheresse et de brutalité et entraînant d'extraordinaires raccourcis. (Cf Christiane Moatti, «Les Conquérants» (1928- 1947) ou Les Aventures d'un texte, Paris, Minard, 1982).

Il n'appartient pas au présent descriptif de dresser l'inventaire des coupures et des remaniements survenus, à partir de ce manuscrit, dans les deux versions imprimées. Il est cependant certain que cette version originelle contient des fragments, des éléments d'explication qui, supprimés dans les éditions subséquantes, ont pu manquer au lecteur. Aussi pourra-t-elle désormais répondre aux problèmes que se sont posés les annotateurs de la Pléiade et faire l'objet de travaux universitaires d'envergure très profitables à l'histoire et à la genèse de l'oeuvre.

Les éditeurs de la Pléiade ont utilisé une version des Conquérants partie manuscrite, partie dactylographiée ou en épreuves d'imprimerie connue sous le nom de «manuscrit de Verrières» formant une suite chaotique et selon eux-mêmes «manifestement incomplète». Ne pouvant pressentir la survenue de celui-ci près d'un siècle après qu'il eût été composé, ils considérèrent celui de Verrières «comme étant le manuscrit unique des Conquérants» (Malraux, Pléiade, t. I, page 1008).

Une tentative de récolement du texte amène à constater d'innombrables changements de mots, de développements de phrases ou de paragraphes tandis que d'autres disparaissent des versions suivantes. Ces changements se produisent dès la quatrième ligne du manuscrit et se poursuivent tout au long. Exemple. Manuscrit : «Le ciel incolore et bas fait peser sur nous l'atmosphère de cabine de bains, nous entoure d'air dense et plein d'eau chaude».— Imprimé : «Le ciel plein de nuages fait peser sur nous une atmosphère de cabine de bains, nous entoure d'air saturé».

Les pages inédites auxquelles Malraux fait allusion ne consistent pas en un chapitre rejeté et non imprimé mais, semble-t-il, désignent plutôt l'ensemble des passages ici présents et supprimés par la suite.

Malraux annonce lui-même le 7 mars 1947 à G. Hamonic, l'un des dirigeants de la maison Grasset, son intention de procéder à de profonds remaniements : «Les corrections des Conquérants dont je vous ai parlé sont extrêmement importantes. Il y a certainement au moins quatrevingts pages modifiées ou supprimées». Et il souhaite que l'on en tienne compte en cas de réédition pour qu'il ne voie pas «paraître [celle-ci] avec l'ancien texte». (Pléiade, page 1013). La réédition se fera chez Grasset en 1949, que Malraux qualifiera de«définitive». Puis l'ouvrage passera chez Gallimard avec encore de nouvelles retouches.

L'écriture à la plume en général appliquée et lisible peut soudainement sous la pression de l'inspiration accélérer son rythme jusqu'à devenir précipitée et plus difficile à déchiffrer. Comme la plupart des manuscrits de premier jet celui-ci est ponctué de retouches, de suppressions d'un trait de plume, restant cependant lisible. Ainsi pages 8-9 l'auteur indique : «passage supprimé» (14 lignes). Il y a de nombreux becquets et feuillets repliés. Le manuscrit de 379 feuillets a été offert par André Malraux à Henri Ardant, issu d'une famille de notables de Limoges qui comptait des éditeurs dans ses ascendants. Ce bibliophile parisien lettré et amateur d'art était alors directeur de la Société générale (avant d'en devenir peu après PDG, 1892-1959). Il a confié le manuscrit à l'un des relieurs les plus talentueux de la capitale, Georges Canape, qui l'a divisé en trois parties et revêtu de trois luxueuses reliures jansénistes en maroquin vieux rouge, tous les feuillets étant montés sur onglets pour faciliter l'ouverture des volumes
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