Lot n° 60
Sélection Bibliorare

[STENDHAL.] STAEL, Germaine Necker, baronne de. Considérations sur les principaux événemens de la Révolution françoise, ouvrage posthume, publié par M. le duc de Broglie et M. le baron de Staël. Paris, Delaunay, Bossange et Masson, 1818. 3...

Estimation : 300000 / 400000
Adjudication : 280 000 €
Description
volumes in-8, demi-veau fauve marbré à coins, dos lisses, grecques dorées en tête et en pied, pièces
de titre et de tomaison de maroquin rouge et vert, entièrement non rognés (reliure de l’époque).
Édition originale, posthume.
Elle a été publiée par le fils et le gendre de l’auteur, Auguste de Staël et Victor de Broglie.
“Mme de Staël laissait inachevé le grand ouvrage qu’elle avait d’abord destiné à la gloire de son
père et qui, peu à peu, devint une étude sur la Révolution française dans son ensemble. Elle en est
un témoin particulièrement conscient (...). L’ouvrage déborde le sujet initial, Necker et même la
Révolution, pour tenter d’étudier ses conséquences, le régime napoléonien et d’exposer le système
gouvernemental anglais considéré par Mme de Staël comme le modèle de toute démocratie”
(Madame de Staël et l’Europe).
Les Considérations inaugurent ainsi le premier grand débat intellectuel sur la Révolution, occultée ou
honnie depuis la Restauration.
Le succès de l’ouvrage fut immédiat et fracassant, sa diffusion excédant 50 000 exemplaires.
La traduction allemande par Schlegel parut la même année.
Un des fondements de la pensée libérale.
“La boussole de l’essayiste-mémorialiste reste constamment la passion de la liberté, qui s’attaque
à ses trois ennemis : la monarchie sans bornes, le jacobinisme sans frein et le bonapartisme sans
contre-pouvoir. Les Considérations de Mme de Staël ne pouvaient être appréciées ni par la gauche
révolutionnaire ni par le parti monarchiste. Elles sont, en revanche, l’un des fondements de la pensée
libérale qui fut celle des partisans d’une monarchie limitée puis d’une république modérée.
Ainsi, cet ouvrage reste vivant parce qu’il est inscrit dans l’histoire des idées politiques, comme une
apologie du principe de modération” (Michel Winock).
Exemplaire unique furieusement annoté par Stendhal :
plus de 400 notes autographes au crayon et à la plume, en grande partie inédites.
“Sous leur apparente légèreté, sous les quelques mots jetés à la hâte se cachent des vérités profondes”,
constate Jacques Félix-Faure dans son Stendhal lecteur de Mme de Staël : il a publié près de la moitié des
annotations de Stendhal, n’ayant en main que le tome II, ainsi que des transcriptions très lacunaires
des notes contenues dans les deux autres volumes.
S’il nourrissait des sentiments ambivalents envers Mme de Staël, Stendhal se montre en revanche
sans appel quant au père, le banquier Necker : “Mr Turgot étant plus grand que Mr Necker eut moins de succès
au pays des tristesses” (I, p. 103).
Plus loin (II, p. 29) : “Me de Staël avait une haine profonde pour Condorcet qui avait vu toute la médiocrité de
Necker, elle avait eu la maladresse de trahir cette haine par un propos indiscret. Condorcet est aussi grand que Mr . N.
est resté petit.”
“Aucun ne fut esclave du Ministère et de ses faveurs comme Mr . Necker et sa fille. Jamais d’égoïsme plus prolongé et
plus ennuyeux” (II, p. 326).
Stendhal s’en prend volontiers à l’adversaire de Napoléon, qui aurait manifesté trop d’attachement
pour l’aristocratie : “Dans ce volume on sent l’Aristocrate. Il aura du succès auprès des nobles de tous les pays. Les Kings
forcés à donner des Constitutions vont se refugier dans l’ Aristocratie. Livre dangereux en ce sens” (I, faux titre).
Et il enfonce le clou (II, p. 152) : “Dans ce que Me de S. dit de la noblesse on sent toujours le P arvenu. Surtout dans
sa grande colère sur ce que Nap a voulu contrefaire la noblesse antique. Savez vous bien Monsieur que mon gendre est Duc ?”
“Ce volume est meilleur que le second. Il y a moins de haine, plus d’ignorance encore et moins de puérilités. Elle connaît
mieux le Bourbon que Napoléon”, note-t-il en tête du tome III.
Crayon à la main, Stendhal épingle l’opportunisme de Necker et de ses descendants. Ainsi, lorsque
Germaine de Staël évoque le coeur “trop français” de son père (I, p. 105) : “un Genevois impossible, pas
même la fille n’a pas le coeur français. Il espérait plus d’avancement en F rance, voilà l’explication de cet héroïsme, il aurait
voulu être fait Duc. Nap l’eut gagné tout de suite à ce prix, voir Gibbon. ”
“Me de Staël paraît fanatique de noblesse et de crédit, c’était un coeur esclave du Ministère, en partant de son père,
elle montre ses parchemins” (II, 287).
Pour Stendhal, l’édition même des Considérations a été motivée par l’ambition ministérielle du duc
de Broglie, d’où ce jugement assassin sur le titre du premier tome : “Faire la Cour à Louis XVIII et en avoir
une place de Ministre pour Broglie.”
S’il reconnaît le talent de Mme de Staël, Stendhal n’en dénonce pas moins son ignorance féminine et
puérile (I, p. 197) : “Excellent voilà le vrai talent de Me de Staël (...) si elle avait pu oublier la prétention d’être T acite
et faire des Mémoires à la St Simon ?” Et ailleurs (I, p. 244) : “Phrase de femme. Il leur faut une Révolution à l’eau
rose.”
En contrepoint du texte des Considérations, se révèle un Stendhal quasi montagnard qui n'est guère
effarouché par les excès révolutionnaires. Dans une note signée “HB” inscrite sur le feuillet
préliminaire du tome II, il déclare : “Si le Roi et les nobles eussent tenu leurs sermons, la Révolution était terminée
au bout d’un an. La Terreur n’est que la résistance à leurs parjures, résistance confiée à chaque village, parce que pour se
garantir d’un incendie on n’a pas le temps d’écrire à P aris.
Robespierre pouvait avoir des vues particulières, mais voilà le mouvement g [énér]al.
En 1814 les Kings ont accordé une Constitution, en 1793 ils n ’eussent accordé que la Bastille.”
L’anglophilie de Mme de Staël est une autre pierre d’achoppement :
ainsi lorsqu’elle justifie l’entrée en guerre de l’Angleterre contre les Jacobins, parce qu’il fallait soutenir
les honnêtes gens, il rétorque : “C’est-à-dire des Aristocrates, car l’Angleterre n’est qu’une aristocratie que les enfants
prennent pour une République, et Mme de S. est bien enfant” (II, p. 100).
Ces trois volumes rageusement annotés apportent un éclairage inédit sur
l’inimitié élective qui liait Stendhal à Germaine de Stael.
“Sans doute n’a-t-il tant médit de cette gêneuse, à qui il a nonobstant reconnu une indiscutable
supériorité sur les personnes de son sexe, que parce qu’il se savait plus proche d’elle, et plus redevable
à son égard, qu’il ne l’eût voulu”, observe avec beaucoup de justesse Philippe Berthier.
Exemplaire entièrement non rogné, conservé dans sa première reliure.
Mention manuscrite au crayon sur le contreplat : “Livre qu’on ne prête pas. ”
Quelques épidermures, coins émoussés. Provenance : Alberto Vigevani (Milan, vers 1918-1999), écrivain, éditeur et libraire italien. Il fut, dit
J. Félix-Faure, un “fervent stendhalien”.
Yvert, Politique libérale, nº 24 : “Ce célèbre ouvrage fixa l’interprétation libérale de la Révolution en dissociant 1789, pour la première fois
crânement réhabilité, de 1793”.- Bibliothèque nationale, Madame de Staël et l’Europe, 1966, n° 507.- Félix-Faure, Stendhal lecteur de
Mme de Staël. Marginalia inédits sur un exemplaire des “Considérations sur les principaux événements de la Révolution française”. Préface
de V. del Litto, Aran, 1974.- Philippe Berthier, notice sur Mme de Staël, in Dictionnaire de Stendhal, Paris, Champion, 2003, p. 686.
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