Lot n° 77

Antoine de SAINT-EXUPÉRY 1900-1944 - Lettre autographe signée à Silvia Hamilton [New York, 1942-1943 ?]. 3 p. in-4.

Estimation : 8 000 - 10 000 €
Adjudication : Invendu
Description
►Superbe lettre d'Antoine de Saint-Exupéry à Silvia Hamilton, en grande majorité inédite. Dans ces pages poignantes, Saint-Exupéry explique comment l'accident qui vient d'arriver à son épouse lui a révélé à la fois, la force de son attachement pour celle-ci, et une contradiction désarmante entre son tendre devoir envers Consuelo et la tendre inclination qui l'oriente vers Silvia. " Sylvia il s'est passé avant-hier quelque chose d'affreux. Ma femme s'est fait attaquer dans la rue en rentrant chez elle. Pour lui voler son sac on l'a assom[m]ée d'un coup sur la tête. Je l'ai retrouvée très malade et depuis quarante huit heures je n'ai pas bougé d'auprès de son lit. Ce ne sera sans doute pas très grave. Cependant je meurs d'inquiétude. Je ne puis ni dormir ni manger. Je me déchire au-delà de toute mesure. Je n'en puis plus. Je vais te dire Sylvia quelque chose qui te fera mal […] :

j'ai compris que si ma femme avait été tuée je n'aurais plus pu vivre. J'ai compris la profondeur de ma tendresse pour elle. Vois-tu Sylvia on se connaît mal. Les petits froissements de la vie quotidienne, les disputes sans importance, les rancunes de surface empêchent de lire clairement en soi les sentiments forts. Mais ce matin, t'écrivant de ma chambre tandis que dans la pièce voisine celle qui a beaucoup de torts mais qui est ma femme lutte contre le mal, de son faible souffle dans l'obscurité, je me sens tout à coup prodigieusement responsable d'elle comme un capitaine de navire. […]
Peut-être me haïras-tu de te dire ça. Ce sera bien injuste. Je t'ai toujours dit honnêtement la vie de mon cœur, de mon esprit, de ma chair. Tu as tout su et tout compris, toujours. […] Sur ma vie je te jure que je n'ai pas triché, jamais. Je ne t'ai jamais menti, Sylvia. J'ai éprouvé pour toi une tendresse immense. Plus certaine que tu ne l'as cru. Sans doute n'était-ce pas l'amour. Mais ça n'enlevait rien de sa force. Ce qui causait mes absences, mes silences, mes tensions, mes disparitions, tout ce que tu m'as toujours si fort reproché, ç'a été que la force des choses faisaient entrer cette tendresse, ce désir aussi que j'avais de toi, en litige avec mon devoir de capitaine de mon navire. […]
Sylvia mon petit si je n'ose pas téléphoner c'est par panique. J'aurais tant besoin de ton aide, de ta compréhension, de ton amitié et j'ai peur d'entendre de toi des paroles qui augmenteront mon désarroi. "

Provenance :
•Silvia Hamilton-Reinhardt (vente à Paris, le 20 mai 1976, n° 52) Resté depuis dans la même collection -
Bibliographie : Antoine de Saint-Exupéry, Œuvres complètes, II, éd. M. Autrand et M. Quesnel, Bibliothèque de la Pléiade, 2009, p. 924-925, n° 5 (citation très partielle) -
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