Lot n° 44
Sélection Bibliorare

LEMAIRE DE BELGES (Jean). Sur le trepas de feu Monseigneur de Nemours ; Épitaphe de Gaston de Nemours ; La Concorde des deux langaiges [et 4 autres pièces de divers auteurs]. Manuscrit en français sur vélin, Paris, 1513.

Estimation : 25 000 / 35 000 €
Adjudication : 38 000 €
Description
In-folio (265 x 175 mm), 54 ff. non chiffrés incluant les gardes anciennes (6 cahiers de 8 ff. et 1 cahier final de 6 ff - la foliotation moderne omet les 2 premiers feuillets), écriture bâtarde à longue ligne à l’encre brune et rouge, justification variable mais environ 130 x 180 mm, réglure à l’encre rose, signatures par lettre à tous les cahiers sauf les deux premiers, pas de réclames.

Maroquin rouge à petite bordure dorée, dos à 5 nerfs, titre « Jean le Mayre » doré, coupes ornées et dentelle intérieure, tranches dorées, gardes anciennes de vélin conservées avec traces du galon et des rubans de velours noir de la reliure d’origine (Reliure de la fin du XVIIe siècle).

REMARQUABLE MANUSCRIT DE LEMAIRE DE BELGES PRÉPARÉ POUR ANNE DE BRETAGNE, très soigneusement calligraphié sur un beau vélin, DONT LES DEUX PREMIÈRES PIÈCES SONT INÉDITES.

Décoration : 6 grandes initiales carrées ornées en bleu rehaussé de blanc à fleurettes sur fond or, sauf la première (initiale or sur fond bleu à rinceaux blancs), au début de chaque pièce (1v, 7v, 9r, 28r, 31v,39r). Initiales or sur fond rouge ou bleu, parfois biparties, en 3 tailles. Titres et sous-titres rubriqués en rouge (sauf pour la Concorde des deux langaiges, voir infra).

JEAN LEMAIRE DE BELGES, « tour à tour poète, prosateur, historien, architecte, amateur de peinture et de musique, diplomate et grand voyageur,… le premier poète humaniste et le précurseur de Marot, de Rabelais, et surtout des poètes de la Pléiade » (Jean Frappier), passa successivement au service de Pierre et Anne de Beaujeu, puis de Marguerite d’Autriche, mettant à partir de 1510 son talent de polémiste au service du roi de France. Unissant le métier poétique des Rhétoriqueurs à l’apport de l’humanisme et de l’Italie, il est L’ÉCRIVAIN FRANÇAIS QUI REPRÉSENTE AVEC LE PLUS D’ÉCLAT LA PRÉ-RENAISSANCE.

Le manuscrit réunit sept pièces.

La première, Sur le trepas de feu Monseigneur de Nemours, est inédite et diffère de l’autre épitaphe de Gaston de Foix publiée par Lemaire en 1513 à la suite de L’Épistre du roy à Hector. Elle est explicitement revendiquée par l’auteur dans le titre (« Jehan Le Mayre de Belges, indiciaire et historiographe de la Royne, sur le trespas de feu Monseigneur de Nemours »). Elle contient 15 vers, dont l’un adressé à Anne de Bretagne : (Certes votre neveu, princesse tres inclite…) La seconde pièce, Epitaphe de feu de noble memoyre / Monseigneur Gaston duc de Nemours, beaucoup plus longue (35 strophes de 5 vers, la première de 7 vers), est également inédite. L’hypothèse de son attribution à Lemaire de Belges reste à confirmer, elle pourrait être également l’œuvre d’un autre des poètes qui ont chanté Gaston de Foix, comme Jean Harpedenne de Belleville. Là aussi, un vers s’adresse à Anne de Bretagne (Des princesses la fleur, Anne royne de France…).
GASTON DE FOIX, DUC DE NEMOURS, « né en 1489, appartient à cette génération héroïque, celle de François Ier, du connétable de Bourbon, du chevalier Bayard …Il fut d’ailleurs le premier à obtenir de hautes charges et de grandes victoires outre-monts jusqu’à ce fameux 11 avril 1512 où il trouva la mort devant Ravenne… Une mort fulgurante, qui fit du jeune général un héros tragique, voire romantique, avant l’heure » (Laurent Vissière, « Gaston de Foix dans les poèmes français contemporains », dans Voir Gaston de Foix (1512-2012), Paris, 2015, pp. 223-237).

La troisième pièce, la plus importante du recueil dont elle occupe environ la moitié (21 ff.), est la célèbre CONCORDE DES DEUX LANGAIGES : « L’aube radieuse du Temple de Venus et la clarté élyséenne du Temple de Minerve, surgies d’une même œuvre dès les premières années du XVIe siècle, nous paraissent composer en se mêlant la lumière de notre Renaissance, éprise à la fois de joie sensuelle, de beauté plastique et d’idéalisme » (Frappier). On n’en connaissait jusqu’ici qu’un seul manuscrit, élaboré et décoré à Lyon en 1511 (B.M. de Carpentras), et elle a été imprimée en 1513.

Dans le prologue, deux nobles débattent des mérites respectifs des deux langues, et chargent l’auteur de prouver que le français vaut bien l’italien pour le «tumulte amoureux». Saluant en Pétrarque le vrai maître de la poésie amoureuse, l’auteur se rend d’abord au Temple de Vénus (616 vers en « terza rima » - que Lemaire est le premier francophone à utiliser), un séjour de volupté régenté par son archiprêtre Genius, sis « aux confluents d’Arar et Rhodanus ».

Transposition poétique, avec une discrète allusion à une « amour lionnoise », des plaisirs érudits du groupe lyonnais de Fourvière (Champier, Perréal) auquel Lemaire reste très attaché, ce « TRIOMPHE ÉROTIQUE EN RIME TIERCE … robuste invitation à l’amour physique à l’hédonisme exubérant et raffiné qui rejoint Rabelais », se clôt sur une injonction très explicite à suivre la nature : « à l’exemple de Mars / qui s’accointoit de Venus blanche et tendre/et mettoit ins escus et bracquemars ».

L’auteur se rend alors au plus sage Temple de Minerve, où français et toscan vivent en harmonie, qu’il exalte en alexandrins. Le poème se clôt sur une version qui ne figure ni dans le manuscrit de 1511 ni dans l’édition de 1513 : le temple de la déesse qui obtient la « tresnecessaire concorde des deux langaiges… lequel est tout TAPISSÉ DE FLEURS ET D’HERMINES » est donc le palais d’ANNE DE BRETAGNE.

Les quatre pièces suivantes ne sont pas de Lemaire de Belges, mais de poètes ses contemporains avec qui il entretint des relations d’amitié et d’estime. C’est Guillaume Crétin qui sut découvrir les dons poétiques de Lemaire de Belges, auquel il accorde avec Jean d’Auton le premier rang parmi les jeunes poètes. Tandis que Castel figure parmi ses maîtres.

Dans les deux lamentations, on est loin du genre convenu de la poésie funèbre, puisque Crétin connaît ceux qu’il pleure avec un accent très personnel.
La Plainte sur le trespas de feu maistre Jehan Braconnier dit Lourdault, chantre (ff. 28r à 31v),
pleure le chanteur favori de Louis XII, mort peu avant le 22 janvier 1512. Elle donne une liste des MUSICIENS CONTEMPORAINS et révèle des relations assez intimes entre Crétin et un autre grand musicien de la Cour, le compositeur ANTOINE DE FÉVIN récemment disparu. Le poème fourmille d’informations et de résonances musicales :

« ce fut celuy dont la voix resonna de telle sorte et si treshault sonna / que tuyau d’orgue onc ne fist telz accordz…»
Notre version, inédite, est très proche du manuscrit de présentation dédié à Jean duc d’Albanie (BNF, FR 12406), mais elle lui est antérieure puisque ce dernier manuscrit est daté entre 1515 et 1517.

La Plaincte sur le trespas du saige et vertueux chevalier…Messire Guillaume de Byssippat (ff. 39r à 51r) dresse un portrait très vivant de cet illustre soldat, tombé sous les murs de Bologne en 1512, musicien, lettré, issu d’une famille de corsaires et marins originaires de Byzance (Pierre-César Renet, « Les Bissipat du Beauvaisis, princes grecs exilés en France », Mémoires de la Société académique de l’Oise, t. XIV, 1889, pp. 31-98). Crétin convoque les muses et le cercle de ses amis écrivains, Jean d’Auton et Lemaire, « qui en nostre art estes des plus expers ».
Le manuscrit Burrus donne une leçon très proche de celle du Ms BNF Fr. 2283, mais il comprend bien les vers 521 à 540 décrivant la mort du héros.
Pour les rares divergences, il est plus proche de la version imprimée à la suite de la Concorde des deux langages en 1513 que du manuscrit.

Avec L’Exil de Gennes la Superbe composée par Reverend abbé dangle frère Jehan d’authon (ff. 31 v à 36v), on est toujours dans le cercle des amis de Lemaire. L’Exil de Gennes condamne en 1507 la révolte des Génois contre l’autorité du roi de France.

Dans Le moine Castel à Monseigneur de Gaucourt (13 strophes de 8 vers, suivies de 4 vers, ff. 37 r à 38v), le petit-fils de Christine de Pisan « qui a bon appetit / destre prelat », demande en 1465 sur le mode plaisant à Charles de Gaucourt son aide dans l’obtention de profitables bénéfices. « Il y a de la vivacité, même de la grâce dans ces pièces… et certains traits font déjà penser à Marot » (R. Bossuat).

►LE DERNIER MANUSCRIT D’ANNE DE BRETAGNE, RESTÉ INCONNU JUSQU’ICI.

Les trois premières pièces s’adressent ou comportent des allusions directes à Anne de Bretagne, protectrice de Lemaire. Le manuscrit Burrus a été composé pour laisser place à un enlumineur qui aurait peint les espaces laissés blancs (une pleine page en face de la première pièce et de la Concorde des deux langaiges). Lemaire de Belges avait été nommé en mars 1512 indiciaire de la reine et effectua à l’été 1512 un séjour en Bretagne. Hélas la mort de la reine Anne, le 9 janvier 1514, mit fin à ses espoirs, et il ne dut pas survivre longtemps à sa protectrice car on perd sa trace après cette date.

Notre manuscrit a été préparé pour la reine, dont seule la mort a empêché qu’il soit terminé et qu’il lui soit remis. Il ne figure pas dans le recensement des manuscrits d’Anne de Bretagne dressé en dernier lieu par Cynthia Brown, qui signale 29 manuscrits ayant certainement appartenu à la reine (12 manuscrits religieux et 17 à sujet littéraire ou historique- dont 3 de Lemaire de Belges), presque tous conservés dans des institutions (un seul en main privée). Par son contenu et sa date de rédaction, il est donc le dernier manuscrit destiné à Anne de Bretagne.

Ex-libris de Maurice Burrus au contreplat.

Très petits trous de vers en haut et en bas du dos, légères griffures sur les plats.

Jean Lemaire de Belges, La concorde des deux langages. Édition critique publiée par Jean Frappier, Paris, Droz (TLF), 1947 - Lemaire de Belges, « Epistre du roy à Hector » et autres pièces de circonstances (1511-1513), éd. A. Armstrong et J. Britnell, Paris (STFM), 2000 - F. Cornillat, « Comme ung aultre lion : échec poétique et Renaissance lyonnaise dans la Concorde des deux langages », dans G. Defaux dir., Lyon et l’illustration de la langue française à la Renaissance, 2003, pp. 363-390. - Œuvres poétiques de Guillaume Crétin, éd. Kathleen Chesney, 1932, pp. 210-216 et pp. 73-93 - Cynthia J. Brown, The Queen’s library : image-making at the court of Anne of Brittany, 1477-1514, Philadelphia, 2011.
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