Lot n° 113

SOUTINE (Chaïm). Lettre autographe signée « C. Soutine » à Élie Faure. Paris, « dimanche » 27 avril 1930, enveloppe avec cachet de la poste daté du 28, signée au verso.

Estimation : 6000 / 8000
Adjudication : Invendu
Description
► Un témoignage brûlant de son caractère emporté et orgueilleux. Tourmenté, emporté dans son travail d'artiste, Soutine n'était pas moins brutal avec ceux qu'il rencontrait, malmenant amis et mécènes, d'où de nombreuses brouilles.

« Monsieur, j'ai beaucoup pensé et réfléchi à votre lettre et j'aimerais mieux qu'elle me bafoue que toute cette admiration que vous me jetez à la figure. Au moment où l'on m'outrage, il ne falait pas parler de penture. Et vos sentiments d'amitié, que voulez-vous qu'ils viennent à ce moment-là ? La conversation à l'avenir n'a donc plus aucun sens. Croyez cependant que je garde de certaines moment un joli souvenir... » Cette lettre de rupture faisait suite à la déception amoureuse de Soutine qui s'était vu repoussé par la fille d'Élie Faure, déjà engagée à un autre.

▬ Joint,
• le brouillon autographe signé de la réponse d'Élie Faure :
« Soutine (et non Monsieur), vous êtes d'une injustice atroce, que vous regretterez – je l'espère pour vous – quand le calme sera rentré dans votre cœur. Nul ne vous a bafoué chez moi, nous avons été les uns et les autres victimes des circonstances et d'une imprudence commune où je ne vois rien qui puisse diminuer le respect que je vous garde et que vous me devez aussi... Est-ce là l'estime que vous inspirait ma fille ?...
Je vous connais mieux que vous ne vous connaissez vous-même, votre lettre n'existe déjà plus dans mon souvenir...
Je ne souffrirais pas de votre abandon si je pouvais penser une minute qu'elle représente votre réelle nature. C'est en vous-même que vous chercherez le pardon de l'avoir écrite, et, j'aime à le croire, l'y trouverez. Ce jour-là, je vous accueillerai en homme chez qui "l'admiration" était devenue, depuis que je vous connaissais, le complément nécessaire de l'amitié.

Si, dans cette amitié, vous n'avez, vous, senti que "l'admiration", ce serait pour moi une raison suffisante de vous retirer l'une et l'autre, car cela me montrerait qu'il n'y avait qu'un peintre exceptionnel là où j'avais cru trouver un homme. Et ce ne serait pas tant pis pour moi, mais tant pis pour vous. Jusqu'au jour – que j'espère proche – où vous vous apercevrez que l'humilité est la conquête même et le refuge de l'orgueil...

Je vous attends donc avec confiance, des mois et des années s'il le faut.

Vous étiez, vous êtes encore, hors mes deux fils, le seul homme que j'aime...

J'ai 57 ans. Je disparaîtrai peut-être sans que vous m'ayez pardonné le mal que nul chez moi n'a voulu vous faire, et dont je vous pardonne, moi, la vilaine interprétation. Mais si je meurs sans que vous soyez venu me dire que vous vous êtes trompé, non pas sur mon compte, mais sur le vôtre même, ce sera l'âme tranquille, avec la conviction que vous regretterez un jour de ne pas être revenu vers moi. Et c'est dans cette conviction qu'est la preuve de l'affection, du respect et de "l'admiration" qu'il ne dépend que de vous que je persiste à vous accorder.

De loin, votre peinture me dira si vous demeurez l'homme que je vois encore en vous. En attendant, je reste votre seul ami, et votre solitude est ma souffrance...»
Partager