Lot n° 64
Sélection Bibliorare

Liszt (Franz). - Dante (Durante degli Alighieri, dit le). La Divine comédie. Traduction nouvelle par Pier-Angelo Fiorentino. Paris, librairie de Charles Gosselin, 1843. In-12, (4)-cix-(3)-398 pp., demi-basane verte, dos lisse fileté de noir avec le...

Estimation : 40.000 / 50.000
Adjudication : Invendu
Description
nom de l'auteur doré, quelques atteintes aux notes marginales lors du massicotage (reliure de l'époque). prÉparatoires À un oratorio Qui DevienDrait sa La Divine comédie, référence majeure du romantisme européen, fut dès les années 1830 l'un des trois livres de chevet de Liszt, avec la Bible et le Faust de Grethe. Il envisagea d'abord de travailler à une reuvre symhonique inspirée de ce chef-d'reuvre (février 1839), mais composa d'abord une pièce pour piano, Après une lecture du Dante (fantasia quasi sonata), dite couramment Dante-Sonate. Créée en décembre 1839, elle fut révisée en 1849 et parut en 1858 dans la deuxième partie (Italie) de ses Années de pèlerinage. Dans le même temps, Liszt conservait le désir de composer une reuvre plus ambitieuse sur le même sujet. Remarqué très tot par Victor Hugo et Lamartine, Joseph Autran (1813-1877) acquit la célébrité avec sa pièce La Fille d'Eschyle (1848) puis son recueil Les Poèmes de la mer (1852) - il fut élu à l'Académie française en 1868. C'est dans sa ville de Marseille que Joseph Autran rencontra Franz Liszt, lors de ses tournées de concerts dans le Sud de la France, en juillet-aout 1844 et mai 1845. Liszt, enchanté de l'article que Joseph Autran avait consacré le 27 juillet 1844 à son premier concert, et muni d'une lettre de recommandation de Jules Janin, rendit visite au poète et noua dès lors avec lui une relation amicale qui dura une dizaine d'années. Liszt joua pour lui en particulier, lui offrit un sabre hongrois, composa un chreur sur le poème d'Autran « Les aquilons », créé lors d'un concert à Marseille le 6 aout 1844, et source de la composition ultérieure de son poème symphonique Les Préludes. Surtout, il tint avec Joseph Autran de longues et fructueuses discussions littéraires et artistiques. Un vaste projet d'oratorio sur l'Enfer avec Joseph Autran. En 1845, Liszt songea à nouveau à travailler sur La Divine comédie, et s'en entretint à Marseille avec Joseph Autran. Celui-ci raconte dans ses Lettres et notes de voyages comment Liszt, sur l'orgue de l'église vide de la Major, « improvisa une symphonie ardente et magnifique sur la Divine comédie de Dante, dont nous venions de parler ensemble » (Lettres et notes de voyages, Paris, Calmann Lévy, 1878, p. 101). Ces discussions aboutirent à l'idée d'un oratorio qui mêlerait musique, texte sur un livret de Joseph Autran, et compositions picturales projetées en diorama - avec recours envisagé aux services de Buonaventura Genelli -, anticipant l'idée d'une reuvre d'art totale que Wagner théoriserait et mettrait en application. Liszt, très engagé dans le projet, envoya alors à Joseph Autran ses recommandations pour la composition du texte : « Je reçus [...] une lettre de Liszt accompagnée d'un exemplaire de la Divine comédie tout chargé de commentaires et de notes hiéroglyphiques pour moi, car la plupart de ces notes étaient des notes de musiques. Il me priait de tirer de là, si je le pouvais, un poème d'oratorio, ou même d'opéra mystique en trois parties » (Joseph Autran, op. cit., pp. 101-102). Cet extraordinaire volume porte des notes autographes sur 78 pages. Il fut remis à Joseph Autran par l'intermédiaire du facteur de piano marseillais, accompagné d'une lettre dans laquelle Liszt lui précise : « tous les endroits où vous trouverez ces signes (cinq portées de musique) ou une blanche il y a lieu selon moi à un développement lyrique... Ne faites d'ailleurs aucune attention au soulignement de certains motifs dans mon volume, que je n'ai fait que pour me rappeler le texte italien » (lettre à Joseph Autran du 14 mai 1845). Les pages annotées par Liszt comportent ainsi des passages avec quatre sortes d'indications : des mentions explicites, des notations musicales de blanches, d'autres notations musicales de portées, et des soulignements ou marques marginales. - recommandations et suggestions de liszt Pour la rédaction du livret : 10 mentions marginales exPlicites. Cesnotes,dontquelques-unessontbiffées,accompagnentetexplicitentparfoisd'autressignes,etsontprincipalement destinées à Joseph Autran : « symphonie » (p. 11) ; « il faut les faire chanter » (texte de Dante « dès qu'ils eurent devisé ensemble », p. 14) ; « il faut faire chanter... l'ange à l'entrée de chaque [cercle]. Peut-être vaudrait-il mieux en faire des chreurs car les solos deviendraient monotones » (pp. 15-16, biffé) ; « combinaisons de rhytmes opposés » (texte de Dante, sur les avares et les prodigues : « Je vis là une foule d'âmes [...] qui, de part et d'autre, avec de grands hurlemens, roulait des fardeaux en les poussant de la poitrine. Elles se heurtaient l'une contre l'autre, puis chacune d'elles au même endroit retournait en arrière en criant : - Pourquoi les retiens-tu et pourquoi les lâches-tu », p. 22) ; « Chreur important - il faudra personnifier les hérétiques - et les faire chanter - il y a là un beau quatrain entre Manichée, Arius et quelques autres au choix » (sur les hérésiarques, p. 32) ; « Il y aurait un chreur de chasseurs fantastiques à faire avec ces centaures » (p. 40) ; « Chreur de conquérans et de brigands mêlés - avec de courtes strophes » (p. 41) ; « Orchestre et récit[atif] parlé » (p. 42), etc. - ProJets de chreurs et solos : 16 Passages marqués d'une ou Plusieurs Blanches. Sont ainsi indiqués les premières paroles de Virgile (p. 2), celles de Caron (p. 10), de Minos (p. 15), de Francesca da Rimini et de son amant (p. 17), du pape Nicolas III (p. 64), d'Ulysse (p. 90), de Mahomet (p. 96), d'Ugolin (p. 113), etc. - relevés d'indications sonores dans le texte même de dante : 10 Passages marqués d'une Portée. Il s'agit là surtout de phrases comportant des mentions de bruits ou musiques ou encore décrivant des ambiances particulières : « un bruit terrible [...] de mille plaintes » (p. 11) ; « le fracas d'un son plein d'épouvantement » (p. 30) ; « des plaintes si amères [...] des cris de malheureux et de torturés » (p. 32) ; « nous entrions dans un bois qui n'était marqué d'aucun sentier » (p. 42), « je vis des âmes qui allaient autour de ce vallon du pas des processions » (p. 66) ; « le marteau retentit de la proue à la poupe » (p. 70) ; « j'ai vu [...] férir dans les tournois et courir dans les joutes, au son des trompettes et des cloches, des tambours et des signaux de forteresses [...] mais jamais je n'ai vu ni cavaliers, ni fantassins [...] s'avancer au son d'un si étrange hautbois. Nous marchions avec les dix démons » (p. 73), etc. -indications d'images saisissantes ou de formules fraPPantes dignes de mémoire. Par exemple : « consume-toi en toi-même » (p. 22) ; « et comme les grues vont chantant leur lai, et forment dans l'air de longues files, ainsi je vis venir, trainant leurs plaintes, des ombres emportées par la tourmente » (p. 16). Parmi les passages ainsi marqués, plusieurs se situent dans l'introduction et les notes du traducteur. Celui-ci, l'écrivain italien Pier-Agnelo Fiorentino (1806-1864) était alors fixé à Paris, où il reuvrait comme critique théâtral et musical sous le pseudonyme de Rovray - il collabora également avec Dumas père, notamment au Comte de Monte-Cristo. Le projet de 1845 envisagé par Liszt avec Joseph Autran n'aboutit pas, le poète n'ayant pas donné suite aux appels de Liszt : « J'aurais peut-être du tenter la chose. Pourquoi ne le fis-je pas ? Je n'en sais rien. » (Joseph Autran, op. cit., p. 102). Le compositeur reprit sa réflexion sur La Divine comédie en 1847, et revint à l'idée d'une reuvre symphonique, qu'il esquissa à Woronince chez sa maitresse la princesse zu Sayn-Wittgenstein. Celle-ci lui offrit un soutien financier pour un spectacle grandiose, malheureusement, les révolutions de 1848, l'invasion de la Pologne par les Russes et la ruine de la princesse amenèrent Liszt à reconcentrer ses ambitions sur la seule musique : la Symphonie pour la Divine comédie de Dante, dite couramment Dante-Symphonie, fut ainsi composée en 1855-1856, en trois parties parmi lesquelles L'Enfer tient la plus large place : dans celui-ci sont inscrits des passages du texte de Dante, non en exergue, mais dans la partition même, comme chantés par un instrument, en souvenir du projet d'oratorio : Liszt cite ainsi les célèbres vers du chant III « Per me si va nella città dolente / per me si va nel'eterno dolore, / per me si va tra la gente perduta, /... lasciate ogni speranza voi ch'entrate » et ceux non moins célèbres du chant V prononcés par Francesca da Rimini : « Nessun maggior dolore / Che ricordarsi del tempo felice / Nella miseria ». cette reuvre maJeure du réPertoire symPhonique, créée à dresde en 1857, est le fruit d'un comPagnonage de Près de trente ans avec l 'reuvre de dante dont le Présent volume se révèle être un témoignage unique. Provenance : JosephAutran, avec notes autographes à l'encre au verso de la dernière garde volante (liste des 7 péchés capitaux). - Comtesse de Miramon Fitz-James, petite-fille de Joseph Autran avec notes autographes signées de de son mari Bérenger, auteur d'un article sur Liszt et Autran dans la Revue de musicologie (au verso blanc du feuillet de titre).
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